L’avènement d’Alexandre : un demi-dieu est né
Alexandre naît en 356 av. J.-C. à Pella, en Macédoine. Très tôt, le roi Philippe II décèle les qualités exceptionnelles de son fils. Il lui transmettra son art de la guerre et s’attachera à faire de lui un souverain cultivé, capable de se faire accepter des Grecs et de régner sur l’empire qui l’attend. Sa mère Olympias, mystique et religieuse, lui inculquera quant à elle le goût de l’occulte et le convaincra de son origine divine.
Nous sommes en 356 av. J.-C., 6 du mois d’hécatombéon. Dans la capitale macédonienne, la reine Olympias est en train de mettre au monde un fils. Au même moment, de l’autre côté de la mer Égée (dans l’actuelle Turquie), le temple d’Artémis brûle dans la cité grecque d’Éphèse. Les mages accourent aussitôt dans les rues en se frappant le visage. Avec effroi, ils annoncent que ce jour funeste a « enfanté pour l’Asie le fléau le plus redoutable », (Plutarque, La Vie des hommes illustres. Alexandre). Car depuis un demi-siècle déjà, la Grèce ne brille plus comme autrefois. Et tandis que sa lumière s’éteint peu à peu, elle assiste, impuissante, à la naissance de cet héritier qui viendra souffler sur ses cendres.
Promesses sacrées
Ce n’est pas là le seul présage mystérieux qui entoure la naissance d’Alexandre III de Macédoine, dit Alexandre le Grand. L’écrivain romain Plutarque rapporte que la nuit de ses noces, Olympias a rêvé que son ventre était frappé par la foudre et qu’un feu s’allumait autour d’elle. Quelque temps plus tard, Philippe
se vit en songe marquer le ventre de son épouse d’un sceau portant l’empreinte d’un lion. Et « on vit aussi, pendant qu’Olympias dormait, un dragon étendu à ses côtés ». S’agissait-il de Zeus? Alexandre serait-il véritablement envoyé des Dieux parmi les mortels? En tout cas, Olympias ne se privera jamais de rappeler à son fils son ascendance divine: descendant d’Achille par sa mère et d’Héraclès par son père, l’enfant ne peut qu’être promis à un avenir extraordinaire. De plus, sa naissance survient alors que Philippe II vit des jours glorieux. Il s’est emparé de la ville de Potidée, son char royal vient de remporter les Jeux olympiques, et son général Parménion (v. 400-330 av. J.-C.) a défait un peuple du nordouest de la Grèce, les Illyriens. Enthousiasmé par tant d’heureuses nouvelles, le roi consulte les devins. Ils lui « affirment que ces trois victoires, présidant à la naissance de son fils, sont le signe que celui-ci sera invincible », (Joël Schmidt, Alexandre le Grand, éd. Gallimard, 2009). L’enfant se nommera donc Alexandros, qui signifie en grec « celui qui vainc les hommes ».
Le disciple d’Aristote
Très érudit et attaché à la culture hellénique, Philippe II – qui a grandi à Thèbes – met un point d’honneur à ce que son fils reçoive la meilleure éducation possible. Plusieurs pédagogues ont la charge d’instruire le futur roi: Léonidas, un parent d’Olympias originaire d’Épire, l’Arcananien Lysimaque – personnage orgueilleux qui n’hésite pas à se comparer au gouverneur d’Achille, Phoenix – et, surtout, le grand philosophe grec Aristote (384-322 av.J.-C). Selon la légende, dès la naissance de son héritier, Philippe II se serait adressé à l’écrivain en ces termes : « Je vous apprends qu’il m’est né un fils. Je remercie les dieux, non pas tant de me l’avoir donné que de l’avoir fait naître dans le même temps qu’Aristote. J’espère qu’élevé par vos soins et formé par vous, il sera digne un jour de son père et de l’empire qui lui est destiné. » Dès l’âge de 13 ans, aux côtés de son prestigieux précepteur, Alexandre se révèle curieux de tout. Il se passionne pour la morale, la politique, la mythologie, les sciences, l’histoire de la Grèce, la littérature…
Il se passionne pour la morale, la politique, la mythologie, les sciences, l’histoire de la Grèce, la littérature…
Il lit Sophocle, Euripide, Homère… Songez que les Macédoniens sont alors considérés comme des barbares par le peuple hellène! C’est pourtant bien son esprit brillant et son appétit intellectuel qui feront d’Alexandre un chef admiré par-delà les frontières, parvenant à imposer son autorité tout en respectant les habitudes culturelles des territoires conquis. Même s’il est en désaccord avec lui à l’âge adulte, Alexandre restera profondément marqué par l’enseignement d’Aristote. Ainsi ne quitte-t-il jamais l’exemplaire de l’Iliade que celui-ci lui a offert, l’emportant même lors de ses campagnes militaires. Selon Plutarque, « il l’avait toujours sous son oreiller avec son épée ».
Le physique d’un héros
S’il affectionne les discussions intellectuelles, Alexandre n’en oublie pas pour autant de travailler son corps. Bien qu’il n’y prenne pas particulièrement goût, le prince s’astreint aux exercices physiques qu’exige son rang. Sa stature athlétique, malgré une infirmité au cou faisant légèrement pencher sa tête vers la gauche, participe de sa légendaire beauté, immortalisée par le sculpteur grec Lysippe (v. 395-v. 305 av. J.-C.). L’héritier du trône de Macédoine a le teint clair, le regard vif et pénétrant, et le philosophe Aristoxène vante même son odeur agréable. Il est séduisant, doué, téméraire, passionné, instruit et avide de pouvoir… Son charisme presque mystique, maintes fois décrit par les historiens, est véritablement celui d’un empereur ! Négligeant d’ailleurs les plaisirs et les femmes désireuses de le séduire, Alexandre le Grand ne courtisera jamais que la gloire.
Guerrier de père en fils
« La vie de Philippe de Macédoine engage en quelque sorte celle de son fils dans la série des conquêtes qui lui apportera une gloire qu’aucun
guerrier, même parmi les plus prestigieux, ne pourra égaler dans toute l’histoire du monde », (J. Schmidt, Alexandre le Grand). Avant même le règne flamboyant d’Alexandre, le roi Philippe II a fait de la Macédoine un empire capable de tenir tête aux cités grecques et d’inquiéter l’Empire perse. Lorsqu’il vole la couronne à son neveu en 359 av. J.-C., les cités grecques sont déjà affaiblies par des années de conflit, entre elles d’une part, et contre la Perse d’autre part. Athènes n’est plus le modèle de démocratie et la puissance à l’influence intellectuelle, militaire et artistique qu’elle était au ve siècle av. J.-C., avant la guerre du Péloponnèse. Pourtant, malgré les mises en garde de l’orateur Démosthène, la fière cité ne prend conscience que trop tard de la menace que représente l’ambitieux monarque barbare. L’Asie, elle aussi, perd peu à peu de sa superbe, tandis que la Macédoine ne fait que grandir. Non seulement ce petit pays est riche – il possède du bois, de l’argent et de l’or –, mais il a désormais à sa tête un virtuose du combat. Fin tacticien militaire, Philippe II met sur pied une armée puissante qui lui permet d’étendre son territoire en s’emparant des cités grecques bordant la mer Égée: Amphipolis, Pydna, Potidée, Méthone et Olynthe. Le rythme de ses conquêtes est tel qu’il inquiète même Alexandre! celui-ci en vient à craindre qu’il ne lui reste bientôt plus rien à accomplir…
Les premières batailles et l'accession à la couronne
Alexandre fait ses premières armes au sein de la troupe de cavaliers d’élite créée par Philippe II : les Compagnons. En 338 av. J.-C., il combat aux côtés de son père lors de la bataille de Chéronée, qui les oppose aux Thébains et aux Athéniens. Alexandre se voit confier le commandement du plus fort contingent macédonien, la cavalerie de l’aile gauche (l’aile offensive). Leur victoire écrasante permet ainsi au roi barbare de soumettre définitivement la Grèce, et à Alexandre de révéler son esprit guerrier. Plutarque écrit à ce sujet que « Philippe était ravi d’entendre les Macédoniens donner à Alexandre le nom de roi, et à lui-même celui de général. » Pourtant, le père et le fils ne tardent pas à se faire la guerre à leur tour… Dès 337 av. J.-C., Philippe II et Olympias divorcent. Le roi se remarie à la jeune Cléopâtre, et lorsque l’oncle de celle-ci ose contester la légitimité d’Alexandre en tant qu’héritier au cours du festin célébrant les noces, le prince ne peut contenir sa fureur. « Me prends-tu donc pour un bâtard ? », explose-til. Puis, voyant son père courir vers lui une épée à la main et tomber ivre à terre, il s’exclame: « Macédoniens, voilà l’homme qui se préparait à passer d’Europe en Asie. Il se laisse tomber en passant d’un lit à un autre. » Cet affront lui vaut l’exil, ainsi qu’à sa mère.
Malgré une brève réconciliation entre les deux hommes, les relations familiales restent tendues jusqu’à l’assassinat de Philippe – par un noble macédonien nommé Pausanias –, en 336 av. J.-C. La mère et le fils ont-ils joué un rôle dans sa mort ? Cela demeure possible, mais rien ne le confirme… Quoi qu’il en soit, la couronne revient désormais à Alexandre. À seulement 20 ans, il affirme déjà haut et fort son ambition de poursuivre l’extension du royaume.