1933-1940 : une rebelle à la Maison Blanche
Franklin a atteint le but de son existence, mais qu'en est-il d'Eleanor ? Vivre dans l’ombre d’un grand homme, ça n’est pas son truc. Elle essaie de rentrer dans le rang, par respect pour la fonction présidentielle, mais trouve vite des moyens détournés de s’engager à nouveau du côté des délaissés, les pauvres, les femmes, les Noirs. À la Maison Blanche, ses prises de position sur tous les fronts ne manquent pas d’agacer...
Eleanor connaît déjà la Maison Blanche. Petite, elle venait y voir son oncle Theodore. Elle n’ignore donc rien des usages du lieu et du rôle d’une First Lady, qui consiste surtout... à se taire. Des années plus tard, après la mort de son époux, elle avouera qu’elle n’était pas ravie de son accession à la présidence. Mais femme de devoir, elle admire son mari pour son courage, sa ténacité et son optimisme, tout comme lui apprécie chez elle sa loyauté et son engagement. Elle met donc un frein à ses activités de militante et se consacre à bien tenir son rôle.
Chroniques de la Maison Blanche
Eleanor est une hyperactive qui s’intéresse à tout et à tout le monde. Répondre au courrier ne saurait lui suffire, même si elle reçoit 300000 lettres par an. La voilà donc qui innove et lance une réunion de presse hebdomadaire, réservée aux seules femmes journalistes, trop souvent négligées par leurs confrères. Très vite, elle accepte de donner des conférences dans les différents États. Elle a promis à Franklin de ne pas parler de politique, mais en profite pour rencontrer des Américains de toute classe, ce que ne peut faire son mari en fauteuil roulant. Ses yeux, ses oreilles et ses jambes...
Elle qui a déjà collaboré à des magazines se voit proposer une chronique journalière, du lundi au vendredi, pour faire connaître aux Américains la vie quotidienne à la Maison Blanche. Malgré la réticence de Franklin, elle accepte. La rubrique My Day, qui connaît un grand succès, durera trente ans et Eleanor ne manquera que très peu ce rendez-vous journalier. De son côté, Franklin l’orateur se lance dans des conversations hebdomadaires radiophoniques au coin du feu, pour expliquer sa politique. Elles commencent toutes par « My friends… ». Le couple Roosevelt invente une communication politique très moderne.
Des politiciens veulent la faire taire
La Dépression, les violences faites aux femmes, la question noire… les combats sont nombreux. La pauvreté, Franklin s’y attelle avec l’instauration d’un État-providence appuyé sur trois piliers : l’aide aux chômeurs, la sécurité sociale, la justice fiscale. Eleanor ne manque pas de lui rappeler les autres sujets, laisse des petits mots sur des feuilles volantes, fait irruption dans son bureau en pleine réunion pour lui parler d’une idée. Elle est sur tous les fronts. Trop. Très populaire auprès de
l’opinion – elle est déclarée en 1937 par la chaîne NBC « femme la plus remarquable de l’année » – elle agace dans les bureaux feutrés de Washington. Non qu’elle influence trop le Président, qui partage quelques-unes de ses idées, mais suit d’abord son propre jugement. Elle est une affective, lui un pragmatique. Le Président, c’est lui, elle n’est qu’un franc-tireur. Qu’importe, certains politiciens la détestent et écrivent même à Roosevelt pour lui demander de la faire taire, regrettant même qu’on ne puisse pas lui appliquer la peine de mort!
Montée du fascisme et chasse aux sorcières
Un exemple de leur collaboration? Le projet «Arthurdale»: un village communautaire de 200 maisons, avec école, petite industrie, réservé aux mineurs et agriculteurs sans emploi est construit au coeur de la Virginie. Eleanor y investit beaucoup de son temps, Roosevelt de son argent. Qualifié de « communiste » par certains, le projet finit par capoter, le village ne parvenant pas à l’autosuffisance. À l’inverse, la question noire les divise. Si Eleanor veut promulguer une loi contre le lynchage, Roosevelt, qui a besoin des démocrates sudistes pour soutenir son programme social, fait la sourde oreille.
Le couple présidentiel est préoccupé par la montée des fascismes en Europe, les visées de l’URSS sur la Finlande. Aux États-Unis, un mouvement qu’on appellera « maccarthysme » lance de lourdes enquêtes et représailles à l'encontre d'artistes, d'écrivains et de citoyens soupçonnés de communisme, souvent sur dénonciation. Eleanor prend leur défense. Elle s’entiche même de l’un d’entre eux, John Lash, qui a l’âge d’être son fils et deviendra plus tard son biographe. Il n’en faut pas plus pour que le FBI s’en inquiète: pendant la guerre, le Bureau n’hésitera pas à faire filer la femme du Président et à essayer de le convaincre qu’elle a une liaison avec le jeune communiste. Décidément, Eleanor ne fait pas l’unanimité.