Secrets d'Histoire

JEAN-FRANÇOIS DUBOST

« MARIE DE MÉDICIS FONCE DANS TOUS LES PIÈGES, TÊTE BAISSÉE »

- Propos recueillis par Coline Bouvart

Comment décririez-vous les relations entre Louis XIII et Marie de Médicis ?

Déjà, avec beaucoup de prudence ! Je me méfie de toute interpréta­tion psychologi­sante, d’autant plus biaisée qu’on connaît déjà la fin : ça s’est très mal terminé! Il y a deux moments de crise: l’assassinat de Concini en avril 1617, et la journée des Dupes en novembre 1630. Ces deux épisodes se soldent par l’éviction de la reine du Conseil et son exil. Partant de ce constat, on a monté en épingle une supposée préférence de Marie de Médicis pour son autre fils, Gaston d’Orléans, né en 1608, c’est-à-dire au moment où le Dauphin passe aux hommes et où son éducation échappe à l’autorité immédiate de la reine. Il est donc possible que Marie de Médicis ait alors reporté son affection sur son fils cadet. D’autant qu’il reçoit le prénom de Jean-Baptiste (Gaston) qui souligne l’héritage florentin (c’est le saint patron de Florence dont est originaire Marie de Médicis), alors que le prénom Louis renvoie à l’héritage paternel. Les génération­s suivantes adoptent le même schéma: par exemple, le frère cadet de Louis XIV est dénommé Philippe, prénom qui renvoie à la lignée maternelle espagnole. Ipso facto, Gaston est plus proche de sa mère, qui ne le quitte qu’en 1615-16 pour le voyage en Guyenne. Que Louis XIII en ait conçu de la rancoeur, de la jalousie, c’est possible, et même probable, mais ce n’est pas le propos de l’historien. Toutefois, on peut noter une différence d’attitude plus que de traitement de la mère entre ses deux fils.

Leurs relations vont se détériorer...

Cette différence d’attitude s’est traduite dans des choix politiques lourds et lorsque le conflit avec le roi et Richelieu se durcit à partir de 1629, les

choses prennent un tour dramatique. Marie de Médicis en vient à souhaiter la mort de Louis XIII pour voir lui succéder son frère : en 1630 à Lyon, le roi est si malade qu’on le pense perdu. Lorsqu’il se rétablit miraculeus­ement, Marie de Médicis fait une crise de nerfs, une « suffocatio­n de la matrice », comme on dit alors.

Jusqu’alors, le roi compose avec sa mère… Dans les années 1620, il fait le choix politique de gouverner avec son appui car elle a une clientèle importante parmi la noblesse et l’aristocrat­ie. Richelieu se constitue la sienne, concurrent­e, sur laquelle Louis XIII préfère s’appuyer. En s’apercevant à partir de 1628 que son ancienne créature, qu’elle avait fait « prince de l’Église » en lui obtenant le titre de cardinal, noyaute son entourage, Marie de Médicis décide de lui retirer toutes ses fonctions au sein de sa Maison : elle espère que cette disgrâce l’oblige à se retirer. C’est la fameuse journée des Dupes. Personne n’a été témoin des échanges entre les trois protagonis­tes, mais à la fin, Richelieu se trouve conforté au pouvoir, et le parti de la reine, décapité.

Quel bilan peut-on faire de la régence de Marie de Médicis ?

Il faut tout d’abord distinguer la période où elle est régente, de 1610 à 1614, puis celle où elle est chef du Conseil à la demande de Louis XIII devenu majeur. Une régence est une parenthèse pendant laquelle le ou la régent(e) a pour mission de transmettr­e un pouvoir royal intact au roi à sa majorité, et d’assurer la continuité avec le règne précédent. Henri IV avait rétabli la paix civile : Marie de Médicis cherche donc à la maintenir, quel qu’en soit le prix, même si cela suppose de l’acheter à prix d’or aux princes du sang. Lorsqu’elle devient chef du Conseil après 1614, Marie de Médicis infléchit sa politique pour renforcer le pouvoir absolu du monarque. On peut donc dire qu’en rétablissa­nt la paix, en faisant appliquer loyalement l’édit de Nantes, Marie de Médicis a assuré une bonne régence. En 1617, Louis XIII constate que la politique absolutist­e de la reine et de ses favoris est dangereuse car elle provoque une guerre civile. Il fait donc éliminer Concini et sa femme Leonora Galigaï, et écarte sa mère.

« Balourde », « grosse banquière », « reine influençab­le », l’Histoire n’a pas été tendre avec Marie de Médicis. Était-elle dépourvue de tout sens politique ?

C’est une femme qui a vécu 67 ans et dont le caractère influençab­le s’est incontesta­blement renforcé en vieillissa­nt. À la fin de sa vie, en exil, c’est une marionnett­e entre les mains de son entourage. Ce caractère influençab­le et impulsif apparaît de manière presque pathétique à partir de la journée des Dupes. Elle fonce ensuite dans tous les pièges, tête baissée. On a souvent projeté sur le début de sa vie les réactions qu’elle a eues à la fin. Son parcours, ne l’oublions pas, a été lu pendant plus de trois siècles à l’aune des Mémoires de Richelieu qui avait tout intérêt à la noircir.

A-t-elle commis des erreurs ?

La fin de sa vie est un enchaîneme­nt d’erreurs politiques. D’abord, pour avoir cru qu’elle pourrait jouer le rôle d’une Catherine de Médicis, en oubliant que cette dernière avait in fine été écartée du pouvoir par Henri III. Ensuite, ses réflexes politiques sont ceux de la fin du xvie-début du xviie siècle : elle n’a pas su s’adapter, notamment en réalisant que l’édit d’Alès de 1629, qui privait les protestant­s de toute force militaire (places fortes, garnisons), l’empêchait désormais de pouvoir compter sur ce renfort en cas de révolte. Enfin, Marie de Médicis a imparfaite­ment intégré la culture de la loi salique, se référant plutôt à des exemples où les femmes jouaient un rôle politique majeur, comme le grand-duché de Toscane avec Christine de Lorraine, ou les Pays-Bas espagnols avec Isabelle-Claire-Eugénie. Son imaginaire politique se heurte à celui de la loi salique qui survaloris­e le pouvoir du roi absolu et en exclut les femmes. Comme en témoigne le cycle pictural de Rubens, Marie de Médicis est restée prisonnièr­e de cet imaginaire.

 ?? ?? Portrait de la régente Marie de Médicis (1575-1642) en 1616, de Frans II Pourbus (v. 1570-1622).
Portrait de la régente Marie de Médicis (1575-1642) en 1616, de Frans II Pourbus (v. 1570-1622).
 ?? ?? La fontaine Médicis du jardin du Luxembourg à Paris, bâtie en 1630 par Thomas Francine (1571-1651) à la demande de la veuve de Henri IV, Marie de Médicis.
La fontaine Médicis du jardin du Luxembourg à Paris, bâtie en 1630 par Thomas Francine (1571-1651) à la demande de la veuve de Henri IV, Marie de Médicis.
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 ?? ?? Jean-François Dubost, professeur d’Histoire moderne à l’université Paris EstCréteil Val de Marne, auteur de Marie de Médicis, la reine dévoilée, (éd. Payot).
Jean-François Dubost, professeur d’Histoire moderne à l’université Paris EstCréteil Val de Marne, auteur de Marie de Médicis, la reine dévoilée, (éd. Payot).

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