Secrets d'Histoire

LE COUP DE MAJESTÉ DU 24 AVRIL 1617

- Propos recueillis par Coline Bouvart

Le plan est d’attirer Concini (portrait de Denis Lecocq, 1834) dans un guetapens au Louvre, en le séparant de son escorte pour éviter une bataille rangée. Le baron de Vitry, capitaine des gardes du corps, se porte volontaire. Mais que doit-il faire si le maréchal résiste ? « Le roi entend qu’on le tue », répond Déageant, grand commis de l’État, et cheville ouvrière de la conjuratio­n. Louis XIII baisse les yeux… Le 24 avril, le favori se présente devant la porte de Bourbon et le piège se referme. « De par le roi, je vous arrête ! » Stupeur, réflexe pour saisir son épée, et le voilà mort de trois coups de pistolet à bout portant, suivis de coups de dague et de poignard. Le soir, le peuple en furie déterre le corps, le dépèce et en fait rôtir les meilleurs morceaux…

Jusqu’à sa mort en 1642, Richelieu s’employa à combattre les intrigues de la Cour, à imposer l’obéissance aux Grands du royaume, à réinventer une politique d’alliances, pour établir la gloire de Louis XIII et faire naître la France moderne. Était-il réellement le maître du jeu comme l’a longtemps prétendu la légende?

Comment décririezv­ous Richelieu ? Ce qui le caractéris­e selon moi, c’est qu’il n’a jamais douté de son talent politique, et qu’il avait, pour l’exercer, le don des idées claires et d’une expression logique. Mais il y a aussi beaucoup de mythes à revisiter. On dit ainsi souvent que c’est un ambitieux au parcours fulgurant; c’est faux, car il a consacré une grande partie de sa vie à la conquête du pouvoir… Né en 1585, il a connu des traversées du désert et la disgrâce avant d’entrer enfin au Conseil du roi en 1624. On prétend également qu’il était de petite noblesse. Son père était le grand prévôt de France, autrement dit le policier en chef des maisons royales et de la cour d’Henri III, qui meurt inopportun­ément au moment où, pour de simples raisons circonstan­cielles, sa fortune était au plus bas.

Qui propage la légende noire de Richelieu ? Ses contempora­ins déjà, car il meurt détesté de tous : s’il est parvenu, avec Louis XIII, à replacer la France au coeur de l’échiquier européen, cela s’est fait au prix d’une pression fiscale insupporta­ble. Au xixe siècle, Alexandre Dumas et Alfred de Vigny vont propager l’image du cardinal rouge, arriviste sans scrupule et machiavéli­que. On revient sur cette image au xxe siècle. En réalité, il faut garder en tête que s’il est ministre et politique, Richelieu est aussi cardinal et que, sous l’Ancien Régime, politique et religion sont indissocia­bles. S’il n’est pas un

homme charitable au sens actuel de pitoyable et s’il ne se soucie que secondaire­ment des moyens et du bonheur des peuples, il est animé par une foi sincère et a surtout des ambitions politiques et religieuse­s. Son fameux testament politique expose clairement que, si la raison doit être la règle et la conduite d’un Estat, le premier fondement du bonheur d’un Estat est l’establishm­ent du règne de Dieu.

Richelieu a-t-il trahi Marie de Médicis ?

Il est parvenu au pouvoir en s’attirant les faveurs de la régente qui lui a permis d’entrer dans l’orbite du roi. Leur alliance explose lors de ce qu’on a appelé le Grand Orage, lorsqu’il a fallu choisir entre la politique de Marie de Médicis, une reine dévote qui voulait suivre l’Espagne et importer la contre-réforme catholique, et celle de Richelieu qui défendait la prééminenc­e de la France en Europe, en se tournant contre l’Espagne. Cette trahison que les polémistes ne cesseront jamais de lui reprocher pèsera toute sa vie sur ses épaules, à tel point qu’il affirmera hautement dans son testament n’avoir pas trahi Marie de Médicis : c’est le seul point sur lequel il fait alors intervenir sa conscience… Cependant, il faut nuancer. D’abord, on sait que la trahison est le grand moteur de l’Histoire! Plus sérieuseme­nt, si Richelieu a poussé Marie de Médicis hors du jeu politique, il y a eu une pleine entente entre lui et le roi pour le faire. C’est un drame familial qui s’est joué lors de la fameuse journée des Dupes.

Louis XIII y choisit son ministre et non sa mère et c’est lui qui prend la décision. Durant tout son règne, il assume pleinement son rôle de décideur. Richelieu n’est que son second, c’est d’ailleurs sans doute l’un des problèmes de ce couple!

Quelle dynamique anime justement les relations entre Louis XIII et son ministre ? Si au soir de la journée des Dupes, Louis XIII décide de soutenir Richelieu quoi qu’il arrive, et le fera jusqu’au bout, on peut dire que c’est un couple sans plaisir. Chacun sait ce qu’il doit à l’autre même si ce n’est confortabl­e ni pour l’un ni pour l’autre. La politique de Richelieu est celle que veut le roi, soucieux avant tout de sa gloire et d’être le plus grand monarque d’Europe. Louis XIII était peu communicat­if et avait du mal à s’exprimer, il devait envier l’aisance et le talent de Richelieu. Quant au cardinal, il était conscient d’être plus brillant et plus rapide intellectu­ellement que le roi, mais également du fait que Louis XIII était roi par la grâce de Dieu, et qu’il ne serait donc jamais que son second et ne pourrait exercer directemen­t le pouvoir. Il l’exprime toujours dans son testament politique: « Aussitôt qu’il a plu à Votre Majesté me donner part au maniement de ses affaires, je me proposai de n’oublier aucune chose qui pût dépendre de mon industrie pour faciliter les grands desseins qu’Elle avait, aussi utiles à cet État que glorieux à sa personne. » Richelieu enfin était un anxieux actif, et dépendre de la grâce du roi l’a certaineme­nt usé avant l’âge.

C’est ce qu’on appelle le Ministéria­t…

Le xviie siècle est le siècle des favoris, comme Olivares en Espagne, Buckingham en Angleterre… Ces seconds soutiennen­t la politique du souverain et lui servent de bouclier ou de bouc émissaire. Richelieu est un cas particulie­r car il ne s’agit pas d’une faveur de sympathie, mais d’un choix de raison : Louis XIII contraint sa sympathie et suit sa raison pour soutenir avant tout son ministre. Il n’y a que lors de la conspirati­on de Cinq-Mars que Louis XIII a failli lâcher Richelieu. Mais il finit par sacrifier son favori de coeur pour sa gloire et pour la politique qu’il a voulue pour lui et pour son fils.

Si Richelieu a parfois éclipsé Louis XIII dans l’imagerie populaire, il faut donc réhabilite­r ce couple complèteme­nt indissocia­ble...

Louis XIII a eu le malheur de régner entre deux rois plus brillants. C’était incontesta­blement un très grand roi, sûrement l’un des plus grands de l’Histoire de France. Et on a vu que Richelieu n’était rien sans lui. Mais leur politique était si impopulair­e que le cardinal a parfaiteme­nt joué son rôle de favori. Il a servi de bouclier au roi, attirant sur lui toutes les critiques et la haine. Il a également par ses écrits présenté ses options politiques, quitte à éclipser un peu le roi face à l’Histoire. Mais c’était bien la politique de Louis XIII. Il résume parfaiteme­nt sa situation quand devant La Rochelle, placé par le roi à la tête de l’armée, il écrit : « J’étais un zéro, qui en chiffre signifie quelque chose quand il y a des nombres, et maintenant qu’il a plu au roi me mettre à la tête, je suis le même zéro qui, par mon jugement, ne signifiera rien. »

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 ?? ?? Portrait en pied de Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu (1585-1642), ministre de Louis XIII, de Philippe de Champaigne (1602-1674).
Portrait en pied de Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu (1585-1642), ministre de Louis XIII, de Philippe de Champaigne (1602-1674).
 ?? ?? Le château de Brissac (Maine-etLoire), ancien château fort du siècle renconstru­it au siècle, est le théâtre du début de la réconcilia­tion entre Louis XIII et sa mère Marie de Médicis, lors d’une première entrevue, le 13 août 1620.
Le château de Brissac (Maine-etLoire), ancien château fort du siècle renconstru­it au siècle, est le théâtre du début de la réconcilia­tion entre Louis XIII et sa mère Marie de Médicis, lors d’une première entrevue, le 13 août 1620.
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 ?? ?? Françoise Hildesheim­er, archiviste et historienn­e, est l’autrice de Richelieu
(éd. Flammarion, 2021).
Françoise Hildesheim­er, archiviste et historienn­e, est l’autrice de Richelieu (éd. Flammarion, 2021).

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