Secrets d'Histoire

Louis XIII règne, Richelieu gouverne

- Par Joëlle Chevé

Dès le xviiie siècle, Louis XIII est décrit comme un roi fantoche, entièremen­t dominé par le cardinal de Richelieu. « On ne le regarda jamais comme un grand roi, parce qu’il avait un grand ministre. » Depuis quelques décennies, les travaux des historiens ont permis de renverser la formule : Louis XIII fut un grand roi parce qu’il se dota d’un grand ministre !

Rien ne laissait augurer d’une entente entre deux personnali­tés aussi différente­s, pour ne pas dire opposées, que celles de Louis XIII et de Richelieu. Ce dernier a été l’homme de Marie de Médicis, une bonne raison de se méfier pour le jeune roi. Son rôle dans leur réconcilia­tion a dissipé en partie ses prévention­s. Toutefois, son choix de le conserver comme principal ministre est très pragmatiqu­e.

Un duo improbable

Depuis 1624, Richelieu, admis au Conseil, a démontré ses qualités exceptionn­elles de négociateu­r et d’homme d’action, et partage avec Louis XIII le sens de la grandeur et de l’unité de la France. Et surtout il a compris que ses qualités politiques ne valent que par son entière obéissance au roi dont il est la « créature », le « serviteur ». De cette double lucidité naît une étroite collaborat­ion, tissée d’admiration réciproque mais aussi de méfiance, principale­ment du côté de Richelieu. Détesté de la reine mère et de Gaston d’Orléans, du parti dévot et des protestant­s ainsi que des grands seigneurs rebelles, le cardinal vit dans la terreur, non seulement des complots, mais de la disgrâce royale. C’est ainsi qu’il truffe l’entourage du roi d’espions à sa solde et détruit tous ceux qui menacent son crédit, la duchesse de Chevreuse, Marie de Hautefort, et plus tard

Cinq-Mars, qu’il a placé auprès du roi mais qui l’a trahi (1642). De son côté, Louis XIII, moins rusé, plus franc, se confie à Richelieu avec un abandon parfois stupéfiant, notamment sur ses déboires sentimenta­ux.

Toutefois, il n’y a pas de véritable amitié entre eux. Les goûts de luxe du cardinal, son avidité financière, ses manières courtisane­s sont très éloignées d’un Louis XIII qui déteste le faste parfois jusqu’à l’avarice et aime la compagnie des gens simples voire rustres. Reste que pas un instant, il ne lui laisse oublier qu’il est le « maître de la boutique » et qu’il peut d’un mot l’exiler et le renvoyer au néant. Un attelage inédit dans l’histoire du royaume, d’une incroyable instabilit­é affective – Richelieu est un inénarrabl­e comédien, qui pleure quand il veut et démissionn­e à tout-va! – mais d’une grande cohérence dans ses choix politiques.

Contrôle et répression

Le cardinal vit dans la terreur des complots et de la disgrâce royale. C’est ainsi qu’il truffe l’entourage du roi d’espions à sa solde et détruit tous ceux qui menacent son crédit.

La mise au pas des Grands a construit la légende noire de « l’homme rouge »! C’est oublier que Louis XIII s’est montré le plus intransige­ant. Richelieu appartient à la noblesse et partage son idéologie de race et sa revendicat­ion d’en faire la conseillèr­e pri

vilégiée du trône. N’en est-il pas l’exemple vivant? Il ne souhaite pas l’abaisser mais la faire rentrer dans l’obéissance et la fidélité au roi, tout en ménageant les plus puissants, tel le prince de Condé. Pour sa part, Louis XIII ne transige pas avec les crimes d’État mais nombre de ses proches sont impliqués, à commencer par son frère Gaston d’Orléans. Celui-ci sera pardonné six fois pour des raisons dynastique­s évidentes – pendant plus de vingt ans, il est l’héritier du trône. Pour Chalais, Marillac,

De Thou, Cinq-Mars, le roi sera inflexible, et plus encore pour le duc de Montmorenc­y, décapité à la stupéfacti­on générale dans la cour du Capitole à Toulouse en 1632. La duchesse de Chevreuse et Marie de Hautefort sont exilées pour avoir intrigué avec Gaston et Anne d’Autriche, et cette dernière échappe de peu à la répudiatio­n en 1637 pour correspond­ance secrète avec sa famille espagnole. Quant aux gentilshom­mes ne respectant pas l’interdicti­on des duels, le roi et Richelieu, dont le frère Henri est mort en duel en 1619, marchent d’un même pas. Plus de 2 000 châteaux démantelés, des dizaines de pendaisons et, là encore, en 1627, l’exécution d’un autre membre de la puissante famille des Montmorenc­y. Sans compter la répression des grands soulèvemen­ts paysans des années 1630 sur fond de peste et la mise au pas des Parlements. « Vous n’êtes établis que pour juger entre Maître Pierre et Maître Jean […] et si vous continuez vos entreprise­s, je vous rognerai les ongles de si près qu’il vous en cuira. » Mise au pas des magistrats qui se double d’un contrôle plus étroit des gouverneur­s de province et des assemblées et administra­tions locales par des intendants de police et de justice, agents très actifs de la centralisa­tion monarchiqu­e.

Un règne guerrier jusqu’à la fin

Si Louis XIII revendique une politique soucieuse de la misère du peuple, il faut bien admettre que son règne est avant tout celui d’un roi de guerre, toujours en campagne, et qui rançonne littéralem­ent ses sujets pour financer ses troupes. Guerre contre les protestant­s, qu’il a entamée dès le début de son règne et à laquelle Richelieu met fin en faisant tomber en 1628 leur principale citadelle, La Rochelle, soutenue par l’Angleterre et la Hollande. Par la paix d’Alès, Louis XIII confirme l’édit de Nantes et accorde son pardon aux huguenots mais les prive de leur droit d’assemblée et de toute place de sûreté. À l’extérieur, la lutte contre les Habsbourg est l’obsession du règne, dans le contexte de la guerre de Trente Ans qui, à partir de 1618, embrase toute l’Europe et menace la France d’une prépondéra­nce impériale. Guerre larvée tout d’abord, notamment en Italie, mais qui suscite une forte opposition dans le royaume dès lors que le « roi très chrétien » recherche l’alliance de puissances protestant­es, Danemark, Suède, Hollande. En 1635, face aux visées expansionn­istes de l’empereur Ferdinand II soutenu par son cousin espagnol Philippe IV dont les troupes menacent la France sur ses frontières nord, sud et est, Louis XIII entre en guerre ouverte. En 1636, la prise de Corbie ouvre la route de Paris aux Espagnols. L’heure est grave, Richelieu doute, mais il contre-attaque. Corbie retombe aux mains des Français et Louis XIII rend grâce à Dieu et consacre son royaume à la Vierge. La naissance providenti­elle du futur Louis XIV le conforte dans sa conviction de continuer une guerre « juste » qui laissera cependant le pays exsangue et livré aux publicains de toute espèce. Le cardinal en arrive même à financer les travaux de l’alchimiste Nicolas Flamel sur la transmutat­ion du plomb en or! Ni Richelieu ni Louis XIII ne verront la fin de la guerre contre les Habsbourg. Ils disparaiss­ent à six mois d’intervalle en 1642-1643, alors que leur binôme politique est très fragilisé par l’impopulari­té du premier et par les doutes et les remords du second quant à la légitimité de son combat contre l’Espagne catholique. Un nouveau couple en politique leur succède dont rien ne présageait qu’il s’inscrirait dans leur sillage : la très espagnole Anne d’Autriche et le très italien Mazarin…

 ?? ?? Représenta­tion du roi de France Louis XIII entre deux figures de femmes symbolisan­t la France et la Navarre, de l’atelier de Simon Vouet, vers 1638.
Représenta­tion du roi de France Louis XIII entre deux figures de femmes symbolisan­t la France et la Navarre, de l’atelier de Simon Vouet, vers 1638.
 ?? ?? Poussin, arrivant de Rome, est présenté à Louis XIII par le cardinal de Richelieu, de Jean Alaux (1786-1864). La scène représente la première rencontre du peintre Nicolas Poussin avec le roi Louis XIII en 1640.
Poussin, arrivant de Rome, est présenté à Louis XIII par le cardinal de Richelieu, de Jean Alaux (1786-1864). La scène représente la première rencontre du peintre Nicolas Poussin avec le roi Louis XIII en 1640.
 ?? ?? Le conseil d’État et les jardins du Palais-Royal, à Paris.
Le conseil d’État et les jardins du Palais-Royal, à Paris.
 ?? ?? Richelieu sur la digue de La Rochelle, de Henri Motte, 1881. La digue a été construite par le cardinal lors du siège de 1627-1628, pour empêcher le ravitaille­ment du dernier bastion protestant.
Richelieu sur la digue de La Rochelle, de Henri Motte, 1881. La digue a été construite par le cardinal lors du siège de 1627-1628, pour empêcher le ravitaille­ment du dernier bastion protestant.
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 ?? ?? Le Cardinal Richelieu étudie le plan d’attaque pour le siège de La Rochelle de 1627-1628, de Louis Debras (1820-1899).
Le Cardinal Richelieu étudie le plan d’attaque pour le siège de La Rochelle de 1627-1628, de Louis Debras (1820-1899).
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Portrait équestre de Louis XIII, de Claude Deruet (1588-1660).

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