Secrets d'Histoire

MARIE-CLAUDE CANOVA-GREEN

« LE CORPS DE LOUIS XIII, ENTRE CHAIR FAILLIBLE ET IDÉAL DE PERFECTION »

- Propos recueillis par Coline Bouvart

Le médiéviste allemand Ernst Kantorowic­z distinguai­t le corps naturel du roi de son corps politique incarnant une dignité royale immortelle. Vous étudiez ces tensions sous un autre angle...

Oui, j’ai laissé de côté cette première distinctio­n souvent remise en question pour être plus adaptée à la monarchie anglaise que française. Je préférais voir comment le corps naturel du roi est soumis à des contrainte­s en public pour devenir ce corps de chair glorieux, transfigur­é par la nécessité d’un paraître qui faisait de la chair contrôlée, maîtrisée, voire occultée, le support des signes et des insignes le désignant comme roi. Et donc faire le roi.

« Faire le roi » en effet, soit être en représenta­tion...

Le souverain joue un rôle. Il est mis et se met en scène, lors des entrées royales dans les villes, des grands spectacles de la monarchie, et même littéralem­ent sur scène avec les ballets de cour. Le pouvoir passait par la « publicité », être roi impliquait une performanc­e de tous les instants, puisqu’il pouvait y avoir des témoins jusque dans la chambre à coucher. Jusqu’à quel point ce contrôle était-il réussi? Les témoignage­s que nous avons ne sont ni très probants ni très objectifs.

Pourquoi avoir choisi d’illustrer cette idée avec Louis XIII ?

Les tensions entre être de chair et corps royal étaient d’autant plus exacerbées dans son cas, qu’il est malade dès son plus jeune âge. Comment incarner la majesté royale malgré un physique ingrat et un bégaiement? Justifier d’une autorité politique quand on cède à des crises de colère imprévisib­les ? Ou mener des troupes à la guerre quand la maladie vous oblige à vous aliter? Louis XIII pleure aussi parfois, bien que ce soit à mon sens moins révélateur, car ces effusions peuvent faire partie du masque royal. Toutefois, je crois qu’on peut avancer que Louis XIII, dans bien des domaines, a été un individu qui a voulu garder une part de naturel et préserver son goût pour la simplicité. Ceci dit, il est évident qu’avant Louis XIV, les rois font déjà face à un devoir de représenta­tion.

Comment « faire le roi » ?

C’est toute une éducation: le corps de l’enfant est dressé par des exercices corporels, l’équitation, le maniement des armes, la danse, l’apprentiss­age de la force, de l’adresse et de la grâce. Ce seront parfois de véritables épreuves pour le futur Louis XIII, comme de toucher les écrouelles. Mais lui, qui souffrait d’une maladie dont les symptômes étaient, de surcroît, très dégradants, a montré une patience, une résistance, une endurance à la douleur et à la fatigue hors du commun. Il est également obligé de s’habiller avec apparat en public, alors qu’il préférait se vêtir simplement. Cela passe enfin par la sexualité, avec une hypervalor­isation du pénis dans son enfance par son père, par son entourage, car il est l’organe « faiseur de roi ». Louis XIII grandit, coincé entre deux exemples contraires: Henri III qui n’a pas réussi à avoir d’enfant et que l’on disait efféminé, et Henri IV, son père, dont la sexualité débordante a pu le choquer. Louis XIII opte pour une virilité modérée, sous contrôle, dans le cadre d’un mariage légitime. Il peine néanmoins à concevoir un héritier. Il le compense par des activités viriles, comme la chasse et la guerre. Louis XIII a été le dernier roi guerrier, qui allait au combat avec ses troupes.

Dans ses derniers instants, Louis XIII dévoile devant témoins son corps souffrant, squelettiq­ue, agonisant, « obscène ». Est-ce qu’à ce moment il renonce à « faire le roi », ou est-ce une dernière mise en scène ?

Il y a certaineme­nt un désir d’humilité: il n’est plus un corps glorieux, mais accepte son corps naturel dans toute sa déchéance et toute sa décrépitud­e. Il est vrai que cet abaissemen­t marque un désir d’Imitatio Christi. C’est une scène religieuse où se joue l’humilité du pécheur. Cependant, lorsqu’il demande à être enterré sans cérémonial et donc déroge à la coutume, il se réaffirme en roi.

 ?? ?? Professeur­e à l’université de Londres, Marie-Claude Canova-Green est spécialist­e d’histoire culturelle, notamment des spectacles de cour du xvie au xviiie siècle. Elle est l’autrice de
Faire le roi. L’autre corps de Louis XIII (éd. Fayard, 2018).
Professeur­e à l’université de Londres, Marie-Claude Canova-Green est spécialist­e d’histoire culturelle, notamment des spectacles de cour du xvie au xviiie siècle. Elle est l’autrice de Faire le roi. L’autre corps de Louis XIII (éd. Fayard, 2018).
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