Blanche et Louis VIII, un mariage politique heureux
Aliénor d’Aquitaine est une dame âgée lorsqu’elle entreprend son voyage vers la Castille, au début de l’année 1200. À 80 ans, la reine douairière est chargée de se rendre de l’autre côté des Pyrénées pour y rejoindre son gendre, le roi Alphonse VIII, et ses petites-filles. À l’issue de cette visite, l’une des infantes quittera son pays natal pour être mariée au futur Louis VIII, héritier du roi de France Philippe II Auguste.
L’aînée, Bérengère, est déjà mariée au roi Alphonse IX de Léon. La seconde, Urraque, âgée de 13 ans, et la troisième, Blanche, d’un an sa cadette, sont en revanche deux sérieuses candidates au trône de France. Aliénor les rencontre à Burgos. Des deux infantes, c’est Blanche qui est choisie. Certains racontent qu’elle le doit à son prénom, plus doux et plus facile à prononcer en français que le guttural « Urraque ». Il se dit même que Blanche, quoique très élégante, fût un peu moins belle que sa soeur. Malgré tout, elle semblait posséder toutes les qualités que l’on attendait d’une future souveraine. Son contemporain Guillaume le Breton la décrit en ces termes angéliques : « Candide en sa candeur, blanche de coeur et de visage, et annonçant par son nom le mérite dont elle brillait en elle comme à l’extérieur. Elle tenait à une race royale par l’un et l’autre de ses père et mère, et s’élevait encore au-dessus d’eux par la noblesse de son âme. » Au Moyen Âge, nul n’espérait mieux d’une reine qu’une telle délicatesse ! Pourtant, au fil des ans, Blanche de Castille saura faire preuve d’autorité, de détermination et de bravoure, traits de personnalité que les chroniqueurs de l’époque qua
lifieront sans surprise de tout à fait… masculins. Matthieu Paris dira ainsi qu’elle était « femme par le sexe, mais mâle par le caractère ».
« Candide en sa candeur, blanche de coeur et de visage, et annonçant par son nom le mérite dont elle brillait en elle comme à l’extérieur. Elle tenait à une race royale par l’un et l’autre de ses père et mère, et s’élevait encore au-dessus d’eux par la noblesse de son âme. »
L’union des Capétiens et des Plantagenêts
Après deux mois passés en Castille, Aliénor d’Aquitaine repart donc en France accompagnée de la jeune Blanche. Plus de mille kilomètres séparent Burgos de Château-Gaillard, où la future reine doit être accueillie par son oncle Jean sans Terre. Pour voyager sans danger sur les routes hostiles du Moyen Âge, le cortège est escorté par de nombreux gardes et chevaliers. Blanche et sa grand-mère traversent ainsi la Castille, la Navarre, les Pyrénées, le Pays basque, les Landes, jusqu’à atteindre Bordeaux. Là, Aliénor confie sa petite-fille à l’archevêque Élie de Malemort, qui célébrera le mariage le 23 mai 1200 à Portmort, en Normandie. Le prince Louis a alors 13 ans, Blanche en a 12. Fruit d’un accord passé entre les rois de France et d’Angleterre – les termes en sont définis dans le traité du Goulet, signé le 22 mai 1200 –, l’union des deux enfants scelle la réconciliation temporaire des
Capétiens et des Plantagenêts. Depuis l’accession au trône d’Angleterre d’Henri II Plantagenêt, duc de Normandie, comte d’Anjou et duc d’Aquitaine, en 1154, une rivalité féroce oppose ces deux familles. À l’aube du xiiie siècle, le domaine royal français ne pèse pas bien lourd à côté de l’immense empire Plantagenêt, qui s’étend de la frontière anglo-écossaise jusqu’aux Pyrénées, recouvrant toute la moitié ouest et le centre de la France. Extrêmement favorable au roi capétien, le traité du Goulet est certainement l’une des
premières erreurs de Jean sans Terre à la tête de l’Angleterre. Philippe Auguste lui accorde la suzeraineté de la Bretagne. En échange, le monarque anglais lui concède le comté d’Évreux et le Vexin normand (excepté la châtellenie des Andelys, où se trouve Château-Gaillard), il se reconnaît vassal du roi de France pour ses fiefs continentaux et offre la main de Blanche au futur Louis VIII. Sans doute le sulfureux Jean sans Terre mise-t-il sur l’esprit de famille de sa nièce pour en faire une alliée à la botte du clan Plantagenêt… C’est sans compter sur l’intégrité de Blanche de Castille! Sa vie durant, elle restera fidèle aux Capétiens et témoignera une loyauté indéfectible à son pays d’adoption.
L’amour fortuit
« Il est la moitié d'un homme béni de Dieu qu'elle est appelée à compléter; elle est la moitié parfaite d'un tout parfait, dont la plénitude de perfec
tion réside en lui. Oh! comme ces deux ruisseaux d'argent, lorsqu'ils seront réunis, vont faire la gloire des rivages qui les contiendront ! » D’un mariage diplomatique peut parfois naître une véritable idylle. William Shakespeare définit ainsi celle de Blanche et Louis dans Le Roi Jean. Si cette pièce, consacrée au règne de Jean sans Terre, emprunte beaucoup à l’imaginaire pour décrire les relations du souverain anglais avec la France, elle dit vrai quant à l’harmonie entre la princesse castillane et le dauphin. Leur couple sera soudé jusqu’à la fin, faisant parfois de l’ombre au roi Philippe Auguste. Les époux se resteront fidèles et donneront naissance à 12 enfants, dix garçons et deux filles, dont cinq environ atteindront l’âge adulte. Ainsi, à partir de 1205 et pendant plus de vingt ans, Blanche passe le plus clair de son temps enceinte. Elle vit le plus souvent au palais de la Cité à Paris, ou dans ses châteaux d’Île-de-France (Fontainebleau, Melun, Étampes, Senlis, Vincennes…). En 1214, elle donne naissance au futur roi Louis IX au château de Poissy.
L’appel du trône d’Angleterre
Bien qu’elle ne prenne pas vraiment part au pouvoir sous le règne de Philippe Auguste, Blanche de Castille ne peut être réduite à son rôle d’épouse et de mère. Le 20 mai 1216, le prince Louis part ravir la couronne d’Angleterre au nom de son épouse, alors que le pape y est opposé. Outre-Manche, il est rallié par les barons anglais, qui souhaitent le voir monter sur le trône à la place de l’impopulaire Jean sans Terre. L’opportunité est belle, mais de courte durée. Le petit frère de Richard Coeur de Lion meurt le 19 octobre, cédant sa place à son fils de 9 ans. Henri III est couronné dès le 26 octobre, et les Anglais n’ont plus guère de raison de s’y opposer.
La régence est assurée par le chevalier Guillaume le Maréchal, à qui Louis continue de livrer bataille. Seul contre tous, il se tourne vers son clan pour obtenir des renforts. Philippe Auguste, dont les rapports avec Rome sont déjà compliqués, refuse d’aider son fils dans cette entreprise. À l’âge de 29 ans, Blanche doit donc tenir tête au roi pour soutenir son mari. Elle parvient à réunir de l’argent, des vassaux et des chevaliers. Elle constitue une flotte de 80 bateaux, qui échoue aux côtes anglaises. L’expédition est un échec… Louis, humilié, doit déposer les armes et renoncer au trône. Il capitule le 11 septembre 1217. Blanche ne sera certes jamais reine d’Angleterre, mais elle révèle alors au peuple de France tout ce dont elle est capable.
Enfin reine de France !
En France, Louis et Blanche de Castille n’exercent pas d’influence réelle pendant leurs vingt-trois premières années de mariage. Jusqu’à sa mort le 14 juillet 1223, Philippe Auguste, roi caractériel et lunatique, tient son fils à l’écart du pouvoir par crainte d’être éclipsé. Les époux sont sacrés à Reims le 6 août 1223. Elle a 35 ans, lui 36. La Castillane reçoit l’onction et la couronne. Officiellement, elle est ainsi associée à l’autorité de son mari, comme le seront les reines de France jusqu’à Marie de Médicis. Mais dans les faits, Blanche aura bien peu de prérogatives du vivant de Louis VIII.
Après les quarante-trois ans de règne de Philippe Auguste, le système monarchique prend de plus en plus nettement le pas sur la féodalité. Le pouvoir du souverain ne cesse de croître tandis que celui de son entourage et des vassaux s’amenuise. Et c’est bien ce qui causera le mécontentement des barons français tout au long de la régence de Blanche.
La mort du lion
Le 8 novembre 1226, après une croisade contre les albigeois dans le Midi, Louis VIII meurt prématurément des suites d’une dysenterie, à l’âge de 39 ans. Trente-six ans sous la coupe de son père, puis trois ans d’un règne oublié (malgré la conquête de l’Aquitaine et du BasLanguedoc)… Celui qu’on avait surnommé le « lion » après sa première campagne menée seul en Artois ne marquera pas l’Histoire autant que son épouse. Envers et contre tous, Blanche de Castille se charge de prendre les rênes du royaume capétien; un domaine royal dont Philippe Auguste a quadruplé la superficie en y annexant la Normandie, le Maine, l’Anjou, la Touraine, mais aussi l’Artois, l’Amiénois, le Valois, le Vermandois, et les comtés d’Alençon, de Beaumont, de Clermont…