RAYON DE SOLEIL
La façade du château arbore une belle couleur ensoleillée, que l’on retrouve sur nombre de bâtiments administratifs à Vienne, baptisée « jaune Schönbrunn » ou « jaune MarieThérèse ». À l’époque de l’Impératrice, il s’agissait d’une couleur ocre doré, qui se transforma avec le temps en ocre plus clair, avec du beige clair pour souligner les encadrements. Pendant la première moitié du xixe siècle, le gris clair fut à la mode, avant que le jaune ne reprenne le dessus.
par modifier l’aile orientale en créant des salles d’audience et en agrandissant les appartements impériaux. La nécessité d’ajouter toujours plus de chambres pour la nombreuse descendance de Marie-Thérèse et François-Étienne interviendra jusqu’en 1765. En 1746, ils ont déjà six enfants et dix ans plus tard, sept de plus (trois sont morts très jeunes). Il faut de la place pour loger son « poulailler » comme elle aime à appeler sa progéniture. Le Schönbrunn qui s’offre au visiteur d’aujourd’hui est celui voulu par Marie-Thérèse, même si çà et là quelques modifications sont intervenues: la grille d’entrée est encadrée de deux obélisques surmontés d’aigles, qui n’ont rien à voir avec les Habsbourg : Napoléon les fit poser après Austerlitz en 1805. Les deux fontaines qui ornent l’imposante cour d’honneur, représentant les fleuves et les pays de l’Empire, ont été commandées par l’Impératrice. La façade est impressionnante, d’autant qu’elle a été privée au début du xixe siècle de sa parure rococo qui adoucissait ses lignes quelque peu austères. Le pavillon principal et les deux ailes abritent 1441 pièces! Une infime partie est ouverte aux visiteurs, beaucoup abritent aujourd’hui des locaux du gouvernement. Déjà sous le règne de Marie-Thérèse, un millier de personnes y vivait.
Du rococo à tous les étages
Intime ou d’apparat, Schönbrunn se dévoile au premier étage: l’escalier bleu y conduit, autrefois salle à manger avant que MarieThérèse ne décide d’en faire l’accès officiel des appartements impériaux. Fleuron de cet étage, situé dans le corps central du château, la Grande Galerie est éblouissante avec ses 43 m de long sur 10 de large, deux lustres de 72 bougies, des murs blancs rythmés par des dorures et des miroirs, chapiteaux corinthiens, trophées, motifs végétaux et fines épées qui constituent un exubérant exemple du style rococo dont MarieThérèse était friande. Au plafond, des fresques signées Gregorio Guglielmi célèbrent la majesté des Habsbourg dans des cieux poudrés de nuages roses. Celle qui représente La Guerre a été restaurée. En 1945, elle a été traversée par une bombe! Toujours utilisée de nos jours pour les grandes réceptions, cette galerie a été le témoin d’événements historiques, comme en 1961 la rencontre de Kennedy et de Khrouchtchev.
Si la Grande Galerie ouvre sur la cour d’honneur, la Petite Galerie est, elle, tournée vers les jardins. Dimensions plus modestes mais décoration similaire, en blanc et or, pour cet espace que Marie-Thérèse réservait aux petits banquets ou
aux fêtes organisées pour ses enfants, comme en témoigne un buste de Marie-Antoinette. De part et d’autre, deux cabinets chinois attestent du goût de l’impératrice pour les arts de l’Asie, qu’on retrouve à maintes reprises dans les salons de Schönbrunn. La salle du carrousel et le salon des cérémonies célèbrent le faste de la cour des Habsbourg par leur décoration et les grandes toiles commandées à un des peintres préférés de Marie-Thérèse, Martin van Meytens. Dans la première, le peintre a représenté un carrousel de dames, organisé en 1743 pour célébrer la reconquête de Prague; Marie-Thérèse et des dames de la cour défilent à cheval ou en carrosse dans le manège de l’école d’équitation de la Hofburg. Dans le second, il s’est attaché à retranscrire la magnificence du mariage du futur Joseph II, fils de l’impératrice, avec Isabelle de Bourbon-Parme.
Une décoration féminine et raffinée
Schönbrunn sait aussi se faire plus intime. Marie-Thérèse y a vécu en mère et en épouse, loin d’une étiquette aussi rigoureuse que celle qui régnait à Versailles. Avec François, elle a partagé la même chambre à coucher, fait rarissime à l’époque chez les têtes couronnées. Après la mort de son époux, elle se réfugie dans les appartements Bergi, situés au rez-de-chaussée de l’aile gauche, où il fait plus frais qu’à l’étage. Ils portent le nom d’un peintre de Bohême, qui les a décorés de peintures de paysages imaginaires en trompel’oeil, avec plantes et animaux exotiques. C’est au premier étage de cette aile que MarieThérèse a donné la pleine mesure de son goût pour une décoration féminine et raffinée, dans une enfilade de cabinets plus précieux les uns que les autres. Le cabinet des porcelaines, où elle aimait
travailler, fait référence à des moulures bleues qui imitent la porcelaine avec des dessins de fleurs et d’oiseaux. Sur les murs, une collection de plus de 200 lavis, oeuvres de François de Lorraine et des filles du couple. Le cabinet chinois, ancien salon privé de François, est remarquable pour son papier peint dans lequel s’insèrent des estampes bleu sombre, qui racontent la vie quotidienne en Chine. C’est ici que Charles Ier signa en 1918 la proclamation de la République et la fin du règne des Habsbourg. Le salon Vieux-Laque est le plus émouvant, car Marie-Thérèse l’a transformé en mausolée à la gloire de son époux, et y a fait installer autour de son portrait en pied une exceptionnelle collection de panneaux de laque provenant de la manufacture impériale de Pékin, enchâssés dans des boiseries en noyer.
Entre l’intime et le protocolaire
Bien que marquée par la présence de l’empereur François-Joseph et son épouse Élisabeth de Bavière, l’aile droite garde quelques souvenirs de la progéniture de Marie-Thérèse. La chambre des enfants avec les portraits de six archiduchesses; le cabinet du petit déjeuner, décoré de napperons brodés par l’impératrice et ses filles, et présentés en médaillon. Ces détails témoignent que les séjours à Schönbrunn ont obéi autant à la vie de famille qu’aux obligations dues à l’exercice du pouvoir, un mélange entre l’intime et le protocolaire, la vie publique et le domaine privé, qui fait tout le charme du château. Dans cette aile ouest se situe la galerie des Glaces, qui n’a de commun avec son homologue versaillaise que le nom. Ce salon d’apparat gagne en charme rococo ce qu’il perd en dimensions, tout resplendissant de ses sept miroirs qui jouent à se refléter à l’infini. MarieThérèse y reçoit ses nouveaux ministres, venus lui prêter allégeance, ou y organise des concerts. C’est ici que le tout jeune Mozart a donné une de ses premières prestations, à l’âge de 6 ans. On raconte qu’il a glissé de son tabouret et a été rattrapé par la petite Antonia, future Marie-Antoinette, dont il est aussitôt tombé amoureux, avant de grimper sur les genoux de l’impératrice, sans aucun souci de l’étiquette. Marie-Thérèse aime la musique, la danse et le théâtre, est elle-même une excellente chanteuse, et transmet ses passions à ses enfants, notamment à Marie-Antoinette et le futur Joseph II. Elle s’empresse donc de faire
construire un théâtre en 1747 pour égayer les soirées de Schönbrunn : « Il nous faut des spectacles, sans cela la vie dans une aussi grande résidence est impossible. » Ce théâtre est toujours dans la cour d’honneur du château. Il a accueilli le Don Juan de Mozart, et le maître y a créé pour Joseph II un opéra peu connu, Le Directeur de théâtre.
Fontaines, obélisque, statues et ruines romaines
Les jardins de Schönbrunn sont un délicieux but de promenade. Ils le sont déjà sous le règne de Joseph II, qui en a ouvert les portes à la population de Vienne, au grand dam de l’aristocratie qui goûtait peu ce partage avec le peuple. Sa mère Marie-Thérèse les a embellis pendant la fin de son règne. Dès 1750, elle fait agrandir les parterres, dessinés en 1695 par Jean-Nicolas Jadot, élève de Le Nôtre, et jardinier à Versailles. Passionné de sciences naturelles, son mari a développé le jardin botanique et a créé en 1752 une ménagerie, ancêtre du zoo actuel, à l’ouest du parc, qui abritait alors un chameau et un rhinocéros. Après la mort de François, Marie-Thérèse a continué à se passionner pour ses jardins en les agrémentant de statues, fontaines et autres monuments, selon les principes du néoclassicisme alors en vogue. Schönbrunn possède même de fausses ruines romaines sur le thème des thermes de Titus, rappel du lien qui unit les Habsbourg au Saint-Empire romain germanique.
Le plus emblématique, car le plus visible de tous ces monuments, reste la Gloriette. Édifiée en 1775 sur le plus haut point de vue du jardin, à l’emplacement du premier projet de château en 1690, elle ferme la perspective du parc et offre un superbe panorama sur Vienne. Un corps central avec trois hautes fenêtres et, de chaque côté, deux colonnades doubles constituent ce qui se voulait une sorte de temple de la renommée, à la gloire de la guerre juste, celle qu’on mène pour obtenir la paix, une allusion à la guerre de Succession d’Autriche et la guerre de Sept Ans contre Frédéric de Prusse, deux conflits qui ont marqué le règne de Marie-Thérèse. La Gloriette abrite aujourd’hui un ravissant café, où déguster un chocolat viennois avec Schönbrunn en point de mire reste un moment privilégié, hors du temps.