1935-1951 : le roi nu
Léopold est effondré : l’homme se noie dans le chagrin, le roi continue à gouverner, vaille que vaille. Privé de sa bonne fée, il accumule les impairs et creuse sans le vouloir un fossé entre lui et son peuple. Les Belges vouent un véritable culte à Astrid et s’éloignent de leur roi. Jusqu’au jour où, en 1941, ils apprennent que Léopold vient de se marier en secret avec une roturière...
Frappé en plein coeur par le deuil, Léopold révèle une nature que le caractère enjoué d’Astrid avait occultée. Son âme tourmentée et renfermée avait trouvé une raison de vivre dans l’union avec celle dont il comparait la beauté fragile à celle d’un papillon.
Naissance de la légende d’Astrid
S’il assume sans faillir les devoirs de sa charge, en privé il se mure dans le silence et la lecture des pensées de saint Augustin. Retiré dès qu’il le peut dans la maison de Laeken où il vivait auparavant des jours heureux avec son grand amour, il se laisse dévorer par la culpabilité – c’est lui qui conduisait la voiture – le chagrin, et une propension à l’inquiétude. Va-t-il pouvoir assumer seul l’éducation et le bonheur de ses trois jeunes enfants? Le jeune Baudouin, 5 ans tout juste à la mort de sa mère, doit à ces tristes années un tempérament solitaire et austère, qui fera augurer plus tard qu’il pourrait rentrer dans les ordres. Pendant que Léopold s’enferme, l’étoile d’Astrid brille toujours dans le coeur des Belges. Autour de sa personnalité et de sa fin tragique se bâtit tout un culte. Une petite chapelle est édifiée à Küssnacht, nombre de rues et de places portent son nom, des livres pour enfants racontent son histoire, son image décore des assiettes ou des tasses. Dans presque tous les foyers belges, on voit apparaître de petits autels dédiés à sa mémoire, autour d’une photographie et d’une bougie. Au fil des années, cette dévotion ne cessera de croître, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à incarner à elle seule la nostalgie d’une époque révolue.
Négociations ambiguës avec Hitler
À elle seule? Oui, car plus son étoile brille, plus celle de Léopold s’éteint. À se demander si ce n’était pas Astrid qui faisait Léopold. Les Belges s’éloignent de leur souverain, ils ne le comprennent plus. Le fossé entre le monarque et son peuple se creuse un peu plus lors de la Seconde Guerre mondiale. Après avoir proclamé en 1936 la neutralité de la Belgique, précédemment alliée de la France, sous
la pression du parti flamand, il demande la reddition 18 jours après l’invasion du pays par l’armée allemande, le 10 mai 1940. Au lieu de fuir le pays, il se constitue prisonnier, mais en novembre, il rencontre Hitler pour obtenir des garanties sur l’indépendance de la Belgique. L’entrevue est un échec, Léopold n’obtient rien du Führer, et le peuple lui reproche d’avoir voulu un rapprochement. Et quand le roi se remarie le 11 septembre 1941, la rupture est consommée entre le souverain et son peuple. L’heureuse élue s’appelle Lilian Baels, elle est la fille d’un ancien ministre, appartient à la grande bourgeoisie et n’a donc rien d’une aventurière. Pour les Belges, Astrid ne saurait être remplacée. L’homme aurait dû céder le pas au roi. En se remariant, il commet une faute politique, s’attaquer à un symbole cher aux Belges, Astrid, la princesse au sourire.
Lilian, la part d’ombre de Léopold
La venue au monde des trois enfants de cette seconde union, qui ne seront pas prétendants au trône, ne changera rien à l’animosité des Belges pour celle qui ne sera jamais reine, juste épouse royale. Même son titre de princesse de Réthy fait grincer des dents, parce qu’autrefois porté par Astrid. Si Astrid symbolisait les bons côtés de Léopold, Lilian met en lumière les mauvais. On la soupçonne d’avoir été la maîtresse du roi en 1935, à 19 ans, alors qu’ils ne se sont rencontrés qu’en 1940, on l’accuse de sympathies nazies, Hitler ayant eu la bonne idée d’envoyer des fleurs au mariage. La suite n’est qu’un long divorce entre le roi et la Belgique. En 1945, le roi et sa famille, prisonniers en Autriche, sont libérés par les Américains et prennent le chemin de la Suisse. Les Belges lui reprochent de ne pas avoir lutté contre l'ennemi. Charles, le frère cadet, devient régent. Jusqu’en 1950, la « question royale » divise le pays sur un possible retour de Léopold. Il est effectif le 22 juillet 1950 après un référendum qui l’y autorise à 57 %. C’est le début d’une grève générale et de violentes manifestations qui poussent Léopold à abdiquer en faveur de son fils Baudoin. L’ancien souverain a du mal à lâcher le pouvoir. Il passe encore huit ans à Laeken à peser sur la politique du nouveau roi, jusqu’au mariage de ce dernier. Contraint à partir en 1959, il se retire enfin de la scène politique et entreprend de vivre jusqu’à sa mort en 1983, une passion initiée avec Astrid pendant leur jeunesse, celle des voyages.