Le Bal des folles
La vie… ce n’est pas toujours du cinéma. Les films ou séries historiques prennent parfois leurs aises, volontairement ou non, avec la réalité. Erreurs historiques, anachronismes, trucages font partie du jeu cinématographique. Saurez-vous démêler la fiction de la réalité dans le film Le Bal des folles, de Mélanie Laurent.
Par Clio Bayle
Adapté du roman historique éponyme de Victoria Mas, Le Bal des folles raconte l’histoire d’Eugénie, jeune Parisienne éprise de liberté, mais captive d’un milieu bourgeois au machisme triomphant, celui de la fin du xixe siècle. Quand sa famille découvre qu’elle communique avec les esprits, elle est internée de force à l’hospice de La Salpêtrière. Dirigé par l’éminent professeur Charcot, le service accueille des femmes dites « nerveuses », diagnostiquées hystériques ou épileptiques. Elles y sont soumises à des expériences menées par des médecins sans scrupule, au nom de la science. C’est là que le chemin de la jeune femme croise celui de Geneviève, une infirmière de l’unité neurologique. La rencontre
des deux femmes va bouleverser leur destin tandis qu’elles se préparent à assister au fameux « Bal des folles », organisé tous les ans par le professeur Charcot, au sein de la clinique.
Le docteur Charcot était considéré comme le plus grand scientifique de l’époque. VRAI
Dans le film, l’un des médecins de la Salpêtrière présente son chef de clinique, le Dr Jean-Martin Charcot, comme le plus grand scientifique de l’époque. En 1885, le neurologue est au sommet de sa gloire. Trois ans plus tôt, la toute première chaire de neurologie au monde a été créée spécialement pour lui. Tout-puissant en France, il exerce aussi une grande influence à l’étranger, notamment en Russie, en Allemagne et en Angleterre. En août 1881, lors du congrès international de médecine de Londres, il est présenté comme le premier médecin français. Sa gloire est telle qu’un feu d’artifice, tiré pour l’occasion, reproduit son portrait en plein ciel, aux côtés de ceux de deux autres sommités médicales de l’époque, le chirurgien allemand, Bernhard von Langenbeck, et son homologue britannique, Sir. James Paget. Une seule autre gloire nationale peut alors lui disputer le titre du plus grand scientifique français: Louis Pasteur, qui vient tout juste de mettre au point son vaccin contre la rage.
UN FILM PASSÉ AU DÉTECTEUR DE MENSONGES
Le Bal des folles a existé. VRAI
Tous les ans, les patientes diagnostiquées « hystériques » du professeur Charcot étaient les principales attractions d’une soirée de Mardi gras organisée dans l’hospice. Surnommé « Bal des folles » par la presse parisienne, cet événement réunissait une partie du gratin de la haute bourgeoisie parisienne, attirée par l’idée de côtoyer de près ces « phénomènes de foire ». Officiellement, la soirée avait un but thérapeutique, mais il est difficile d’ignorer le penchant qu’avait Charcot à exhiber ses patientes comme des objets de curiosité. Ses très populaires « leçons du mardi » et « conférences du vendredi », ouvertes au public, ont fait l’objet de critiques pour leur mise en scène relevant davantage du spectacle que de l’expérimentation médicale.
Les patientes de La Salpêtrière étaient soumises à des pratiques thérapeutiques cruelles. VRAI
Compression des ovaires avec les poings, administration de bains glacés, photographies des patientes à visage découvert et parfois à moitié dénudées… Le long-métrage de Mélanie Laurent donne à voir certaines des pratiques pénibles auxquelles les patientes du service de Charcot étaient soumises dans le cadre de leur thérapie. Quant à l’hypnose, et aux séances publiques dépeintes dans le film, elles aussi sont bien réelles. Charcot s’en servait pour induire et ainsi étudier les symptômes hystériques de ses patientes. Comme dans le film, il l’utilisait notamment pour différencier les paralysies hystériques de celles dues à des lésions organiques. Il finira par abandonner cette pratique, la jugeant insuffisamment efficace pour servir de traitement.
Les personnages du film ont existé. VRAI ET FAUX
Le film étant tiré d’un roman historique, l’histoire mêle librement personnages fictifs et réels. Ainsi, si « le Maître » Charcot a existé, ce n’est le cas ni des patientes ni des infirmières du service décrites dans le film. Toutefois, certaines d’entre elles s’inspirent de personnes ayant existé, telle Louise, la voisine de lit d’Eugénie, dont le prénom, autant que le profil et les essais cliniques qu'elle subit, ne sont pas sans rappeler la plus célèbre des patientes de Charcot, une certaine Louise Augustine Gleizes, dite « Augustine ».
Le Bal des folles a tendance à dépeindre l’éminent professeur comme un médecin méprisant ses patientes. Était-ce le cas du véritable Charcot? « La figure du maître de la Salpêtrière reste l'objet d'une fascination aussi inépuisable qu'ambivalente », écrit le philosophe Marcel Gauchet dans Le Vrai Charcot: les chemins imprévus de l’inconscient. Si ses travaux neurologiques, notamment concernant la sclérose en plaques et la sclérose latérale amyotrophique, nommée « maladie de Charcot » en France, font l’objet dans la littérature médicale de propos toujours élogieux, il n’en va pas de même de ses recherches plus tardives sur l’hystérie et les maladies mentales, ni de son comportement envers son entourage. Certains de ses détracteurs, comme Léon Daudet par exemple, lui reprochent de manière récurrente une forme de despotisme et d’égocentrisme, ainsi qu’un manque d’humilité et d’humanité.