Secrets d'Histoire

Stéphane Bern : « Le pouvoir corrompt absolument ceux qui gravitent autour. »

- Propos recueillis par Virginie Girod

Pour Stéphane Bern, le pouvoir corrompt davantage ceux qui le veulent que ceux qui l’ont déjà. Les souverains ont fait de leur mieux pour assurer la prospérité de leur royaume et le transmettr­e à leurs héritiers. Parfois, leurs fonctions trop lourdes à assumer en ont fait des mélancoliq­ues ou des êtres cruels. Prudence face aux jugements de l’Histoire!

Selon l’historien anglais du xixe siècle Lord Acton, « Le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument. » Que pensezvous de cet aphorisme ?

Je crois qu’il est juste. Mais qui le pouvoir corrompt-il ? Principale­ment ceux qui le veulent, c’est-à-dire tous les personnage­s proches des souverains absolus. Le pouvoir corrompt absolument ceux qui gravitent autour ! Dans ses travaux sur la monarchie absolue, l’historien François Bluche montre combien le désir de pouvoir pervertit les membres des coteries et les courtisans. Je partage cette vision de la monarchie française. Dans la plupart des cas, les rois de France ont voulu apporter leur pierre à l’édifice et ont travaillé pour le royaume et leurs héritiers. Ils y sont plus ou moins parvenus…

La mélancolie est-elle fréquente chez les têtes couronnées ?

La mélancolie frappe parfois les souverains qui ne se sentent pas à la hauteur de leur mission. Certains quittent même le pouvoir, écrasés par de trop lourdes responsabi­lités. Le cas des souverains mélancoliq­ues est différent de celui des présidents. Ceux-ci ont fait la conquête du pouvoir, alors que les premiers en ont hérité par l’arbitraire de la naissance. Le cas de Philippe V d’Espagne (lire p. 22) est celui qui me touche le plus. Seul le castra Farinelli réussissai­t à l’apaiser. L’Histoire a une certaine bienveilla­nce pour ces rois. Leur folie a

souvent inspiré le cinéma. Celle du roi George III d’Angleterre a donné lieu à plusieurs films tels que La Folie du roi George, réalisé par Nicholas Hytner en 1994. Ce souverain aurait souffert de trouble maniacodép­ressif et de porphyrie, ce qu’on appelle parfois la maladie des vampires… À la fin de sa vie, il faisait des crises de démence. L’indépendan­ce de l’Amérique aurait été le point de rupture de sa santé mentale. Mais son fils ne vaut pas mieux. George IV maltraitai­t son épouse Caroline de Brunswick. Un jour, un messager informe le roi que son plus grand ennemi est mort. George IV se réjouit en pensant qu’on parle de sa reine… Or, le messager évoquait un autre ennemi: Napoléon!

Les souverains sadiques semblent prendre plaisir à tuer… Si leurs actes sont incontesta­blement cruels, peut-on les juger à l’aune de notre morale du xxie siècle?

Ne croyez-vous pas que des souverains, à l’instar de Louis XI, ont été jugés durement par l’Histoire parce qu’ils ont imposé leur pouvoir par la force ou de manière cruelle? L’Histoire ne pardonne pas la faiblesse mais elle est fascinée par les souverains les plus sanguinair­es. Il y a plus de films sur le tsar Ivan le Terrible que sur Louis XVI ! Louis XI pouvait enfermer ses ennemis dans des cages minuscules, les fillettes, mais il a aussi oeuvré au développem­ent du royaume en inventant la poste, par exemple. Il faut se méfier du jugement de l’Histoire.

Louis XIV est le centre de Versailles, de sa cour, de son royaume… N’illustre-t-il pas l’avènement d’une nouvelle forme de narcissism­e? Sommesnous des petits rois-soleil qui se mettent en scène sur les réseaux sociaux?

C’est clair, mais nous nous mettons en scène pour avoir notre quart d’heure de gloire. Louis XIV fait rayonner la France. Il en est l’incarnatio­n. Il est aussi le plus grand souverain de son époque. Il ne faut pas voir Versailles comme l’oeuvre d’un mégalomane mais comme un showroom des savoir-faire français. Louis XIV a réuni tous les talents, de Lully à La Fontaine en passant par Le Brun ou Le Vau. Cet endroit était conçu pour éblouir ses visiteurs. Encore de nos jours, nombre de présidents aiment être accueillis au château de Versailles.

Ce château n’est pas l’émanation du narcissism­e du Roi-Soleil, mais un calcul politique. En son sein, il a domestiqué la noblesse frondeuse qui l’avait traumatisé dans son enfance.

De même, en Roumanie, Vlad l’Empaleur ne devait pas être le meilleur des bougres mais il est devenu un instrument de tourisme au service de son pays.

Quels personnage­s de pouvoir, par leurs actes tyrannique­s, vous sidèrent le plus ?

Alors là… je trouve que les empereurs de la dynastie Julio-Claudienne, celle des premiers césars, sont sidérants, Caligula et Néron en tête

(lire p. 26-27). Ils font fi de leurs liens familiaux et méprisent leurs proches. Ils n’ont pas de scrupule à les assassiner dans des conditions souvent rocamboles­ques.

On remarque le même phénomène dans l’empire Ottoman où le sultan pouvait tuer ses frères pour éviter les coups d’État (lire p. 31). L’affaire de la tour de Nesle en 1314, à l’époque de Philippe le Bel est tout aussi terrible. Le roi a fait assassiner les prétendus amants de ses brus en les faisant dépecer vivants, en coupant leur sexe et en les traînant jusqu’au gibet. Il a pris cette décision sur la simple dénonciati­on de sa fille unique, Isabelle de France alors reine d’Angleterre, contre ses belles-soeurs. Cette cruauté s’explique par l’atteinte à la couronne. Cependant, il s’est aussi attaqué aux Templiers et a persécuté les Juifs. Il n’avait rien de charmant.

 ?? ?? Le journalist­e et écrivain Stéphane Bern au château de Versailles, majestueux témoin du savoir-faire à la française voulu par le plus grand des souverains de son époque : Louis XIV.
Le journalist­e et écrivain Stéphane Bern au château de Versailles, majestueux témoin du savoir-faire à la française voulu par le plus grand des souverains de son époque : Louis XIV.
 ?? ?? Triomphe de la Foi, martyrs chrétiens du temps de Néron en 65, de Eugène Thirion (1839-1910). Célèbre empereur romain (54 à 68 ap. J.-C.), Néron est le fils de la terrifiant­e Agrippine. Son règne a été marqué par l'incendie de Rome en juillet 64 et la persécutio­n des chrétiens.
Triomphe de la Foi, martyrs chrétiens du temps de Néron en 65, de Eugène Thirion (1839-1910). Célèbre empereur romain (54 à 68 ap. J.-C.), Néron est le fils de la terrifiant­e Agrippine. Son règne a été marqué par l'incendie de Rome en juillet 64 et la persécutio­n des chrétiens.

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