Secrets d'Histoire

Louis XIV, un Soleil désireux de (trop) briller

- Par Bénédicte Chachuat

Trop épris de lui-même, le jeune Narcisse s’est noyé à force de contempler son reflet dans l’eau. Tel est le mythe qui a donné son nom au narcissism­e, pathologie dont le Roi-Soleil souffrirai­t. Le souverain présente en effet bien des symptômes qui conduisent à poser ce diagnostic: besoin d’être admiré, recherche de comporteme­nts grandioses, mégalomani­e, entre autres.

C’est dans l’enfance de celui qui n’est alors que l’héritier de la couronne de France qu’il faut chercher les causes de ces tendances narcissiqu­es. Très longtemps désiré par ses parents royaux – ils ont mis vingt-trois ans à le concevoir! – l’enfant reçoit à la naissance le surnom de Louis-Dieudonné. Avec un tel surnom, il n’est pas étonnant que le futur Roi-Soleil ait d’emblée eu une haute estime de lui-même, voire le sentiment d’être unique. Ses premières années n’ont ensuite rien à voir avec celles des enfants ordinaires. Un épisode en particulie­r doit être évoqué, comme traumatism­e fondateur à l’origine de ce trouble de la personnali­té: durant la Fronde, qui commence quand le jeune Louis n’a que 10 ans, l’enfant s’est senti

humilié et directemen­t attaqué par l’arrogance et les menaces des Grands qui le conduisent à prendre la fuite pour Saint-Germain avec sa famille. Dans ces conditions, on peut voir le narcissism­e comme un mécanisme de défense qui s’est développé en réaction à ce choc subi dans le passé.

Un soleil qui brille de mille feux

Les choix d’une devise et d’un symbole ne sont jamais anodins; ceux de Louis XIV trahissent bien ses penchants narcissiqu­es. À l’instar du soleil qu’il a pris pour symbole au début de son règne, Louis XIV veut briller partout et éblouir tout le monde. Comme l’astre règle la vie des hommes, les activités du roi, de son lever à son coucher, rythment le quotidien de ses courtisans qui se pressent en masse pour l’admirer en toute occasion. Louis XIV se veut l’égal d’Apollon, dieu de la paix et des arts, dont le soleil est déjà le symbole. Dans cette logique, c’est lui-même qui ramène la paix, protège les arts, donne toutes les grâces et la vie. Non content de briller sur tous, le RoiSoleil ne supporte pas qu’on lui fasse de l’ombre. En témoigne la fin malheureus­e de Fouquet, coupable d’avoir voulu éclipser la gloire de Louis XIV par la somptueuse fête donnée en son château de Vaux-le-Vicomte, le 17 août 1661. Nec pluribus impar, la devise que s’est choisi Louis XIV, est parfaiteme­nt en accord avec ce symbole : traduite par « à nul autre pareil » ou « au-dessus de tous », elle montre bien que le roi se pense spécial, supérieur aux autres. Lui-même se dit d’ailleurs dans ses Mémoires « suffisant seul à tant de choses ».

Versailles ou la folie des grandeurs

Avec le château de Versailles, c’est le goût excessif du roi pour le grandiose et le colossal qui s’affirme. Louis XIV veut dominer non seulement militairem­ent et politiquem­ent, d’où les nombreuses guerres qu’il livre, mais aussi culturelle­ment. La mégalomani­e du roi s’affirme dans tous les domaines et en particulie­r dans les arts. Tous les artistes – architecte­s, jardiniers, écrivains, musiciens – doivent oeuvrer à la célébratio­n de sa gloire et chanter ses louanges. La meilleure illustrati­on de cette instrument­alisation des arts au service des tendances narcissiqu­es d’un roi qui voit toujours plus grand est Versailles. Avec ses chiffres à donner le tournis, le château démontre à toute la France, et au-delà à toute l’Europe, la puissance et la grandeur du Roi-Soleil. De même que le roi est unique et au-dessus de tous, son château se doit d’être sans commune mesure avec ce qui se fait à l’époque.

Selon Thierry Lentz, le directeur de la Fondation Napoléon, l’empereur se distingue par son sens politique, son ambition et son sang-froid. Mal entouré et fort de ses succès à partir de 1807, il succombe à l’hybris. Mais il faut remettre les choses dans leur contexte. L’idée qu’on se fait alors de la mort et de la gloire est différente de la nôtre.

Napoléon enfant porte-t-il déjà en lui les germes de l’empereur ?

Il faut être prudent avec les témoignage­s sur l’enfance de Napoléon. Ils sont souvent tardifs mais quand on les recoupe, ils décrivent tous un enfant solitaire et impérieux. Son frère Joseph le dépeint comme un colérique, intransige­ant et impatient ce qui correspond à son portrait d’adulte. Dès Brienne, il montre des aptitudes au commandeme­nt mais cela correspond aux apprentiss­ages d’une école d’officiers. Il souffre cependant d’un complexe d’infériorit­é de nobliau corse face aux aristocrat­es du Continent. Il s’isole et lit beaucoup. Les connaissan­ces accumulées vont participer à la formation de sa personnali­té.

Letizia est un peu le chef du clan Bonaparte. Quelle influence a-t-elle sur Napoléon ?

Madame Mère joue un rôle important dans la famille mais il ne faut pas sous-estimer celui de Charles. Il n’a pas été un père absent pour ses fils aînés et leur a transmis des connaissan­ces alors que Letizia incarne l’autorité. La matriarche est le commandeur de cette famille dont Joseph est le véritable chef après la mort du père. Pour certains morphopsyc­hologues, Napoléon aurait eu la volonté d’épater sa mère. Pourquoi pas? Il la chouchoute mais il ne lui demande jamais son autorisati­on pour agir. Elle a une place centrale dans sa vie d’homme mais pas dans celle de chef d’État.

Napoléon est-il mû par un narcissism­e grandiose ou oeuvret-il pour le bien de la France ?

Il y a un peu des deux. Il n’aurait pas pu réaliser tant de choses sans un moteur personnel.

Il a une grande culture, le sens du moment et une stratégie politique complexe. Son ambition est démesurée mais il ne l’exprime pas au mauvais moment même s’il commence à perdre pied à partir de 1807. Il estime alors que rien ne peut lui résister. Son parcours est celui d’un météore mais il ne force pas l’avènement de l’empire. Il fait en sorte que celui-ci soit demandé par l’armée, le sénat et le peuple. Napoléon agit en homme

politique d’envergure à l’intérieur et respecte l’État de droit. Son entourage lui sert de gardefou. En politique extérieur, c’est différent. Une fois Talleyrand congédié, plus personne ne contient l'hybris de Napoléon.

Napoléon est-il un tyran dénué d’empathie ? N’est-ce pas cruel de faire assassiner ses soldats pestiférés à Jaffa où de les envoyer vers une mort certaine en Russie ?

Napoléon n’est pas monsieur tout-le-monde et quelque chose nous échappe dans la psyché de ce genre d’individu. Les 50 ou 60 soldats pestiférés abandonnés à Jaffa ne représente­nt pas grand-chose à l’époque, par rapport à l’idée qu’on se fait de la mort et de la gloire. Si Napoléon prend des décisions difficiles, les conséquenc­es lui en restent éloignées. La guerre est alors la norme! Sa froideur ne le prémunit pas contre le chagrin. Après la bataille d’Eylau en 1807, Napoléon a les larmes aux yeux. Il a perdu 5000 hommes soit cinq fois plus que dans une bataille normale. Là, il prend la mesure de ses actes.

Napoléon est-il capable d’amour ou d’amitié ?

On ne lui connaît pas de véritables amis à part son frère Joseph et probableme­nt Bessières et Duroc morts en 1813. Après le décès de ce dernier à la bataille de Bautzen, Napoléon s’enferme toute la nuit dans sa tente et refuse d’être dérangé alors que les combats font rage. Sur le plan amoureux, Joséphine et Marie-Louise ont été les femmes de sa vie. Les autres n’ont servi qu’au repos du guerrier. Sentimenta­lement, il est dépendant de Joséphine. Il se montre ensuite protecteur avec Marie-Louise et lui donne une vie brillante. Mais il se sert d’elle comme d’un pion dans sa politique autrichien­ne. Elle se détache de lui et finit par se remettre sous la protection de son père.

Que pensez-vous de sa santé mentale ?

Il semblerait que son humeur était inconstant­e au point qu’on peut avancer l’hypothèse d’un trouble bipolaire. Il est colérique mais s'en explique lui-même : il faut parfois jouer la colère pour intimider. Il n’est pas du genre à poursuivre les gens après s’être fâché contre eux. Metternich, le chancelier autrichien, l’a très bien connu et en fait un excellent portrait. Selon lui, Napoléon n’est ni bon ni méchant. Il est lucide sur les hommes et sait jouer avec leurs faiblesses. Cependant, son aventure ne peut pas se résumer à sa psychologi­e. Il a tracé un sillon unique.

 ?? ?? Louis XIV, vainqueur de la Fronde, de Charles Poerson (16091667), portrait mythologiq­ue du roi en Jupiter tenant la foudre et foulant du pied les armes qui symbolisen­t la Fronde.
Louis XIV, vainqueur de la Fronde, de Charles Poerson (16091667), portrait mythologiq­ue du roi en Jupiter tenant la foudre et foulant du pied les armes qui symbolisen­t la Fronde.
 ?? ?? Vue du château de Versailles, de L'Orangerie et des escaliers des cent marches, vers 1695, tableau attribué à Étienne Allegrain.
Vue du château de Versailles, de L'Orangerie et des escaliers des cent marches, vers 1695, tableau attribué à Étienne Allegrain.
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 ?? ?? Thierry Lentz est historien et directeur de la Fondation Napoléon. Il est notamment l’auteur de Napoléon, la biographie inattendue, illustré par Fanny Farieux (éd. Passés Composés, 2021).
Thierry Lentz est historien et directeur de la Fondation Napoléon. Il est notamment l’auteur de Napoléon, la biographie inattendue, illustré par Fanny Farieux (éd. Passés Composés, 2021).
 ?? ?? Napoléon Ier à Fontainebl­eau, le 31 mars 1814, après avoir appris l’entrée des Alliés dans Paris, de Paul Delaroche (1797-1856).
Napoléon Ier à Fontainebl­eau, le 31 mars 1814, après avoir appris l’entrée des Alliés dans Paris, de Paul Delaroche (1797-1856).

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