13 au 31 octobre 1955 : La grande désillusion
Après deux ans de séparation, Margaret a enfin le droit de revoir Peter, exilé en Belgique. L’absence n’a fait que renforcer leurs sentiments, ce que ni la reine ni le Parlement n’avaient prévu. Pour ses 25 ans, Margaret va-t-elle recevoir le plus beau des cadeaux, le droit de se marier avec l’homme de sa vie? Les conservateurs, qui voient dans cette union une menace contre la couronne des Windsor et l’Église anglicane, ne l'entendent pas ainsi.
Ce jour devrait être une grande fête. Margaret le passe à Balmoral en famille, entourée de quelques amis. Un seul être vous manque... Peter est retenu à Ostende avec ses fils, puis doit aller à Deauville pour une course de chevaux. Il vient passer le mois d’octobre, promis. Cette perspective devrait dérider la princesse, mais il n’en est rien. Car les nuages s’amoncellent sur ses rêves d’union. Anthony Eden, le nouveau Premier ministre qui a succédé à Churchill, prétend que si Margaret renonçait à ses droits pour épouser Townsend, ce serait une catastrophe pour la Couronne. En cause? Toujours son statut de divorcé. Le piquant de l’histoire, c'est qu'Eden lui-même est divorcé. Juridiquement, il a raison. Si Élisabeth venait à disparaître prématurément, ce serait Margaret qui lui succéderait, car les enfants royaux sont trop jeunes. Et les enfants qu’elle pourrait avoir avec Peter ne seraient pas reconnus par l’Église anglicane, brisant là la lignée royale. Impossible alors de prétendre au trône!
Le veto du Parlement et de l’Église, mais le soutien du peuple
Margaret apprend que si elle peut désormais se passer du consentement royal, elle ne peut faire une croix sur celui du Parlement, qui a tout loisir de prolonger le délai d’une année. Et s’il persiste à refuser, Margaret devra quitter l’Angleterre, renoncer à ses titres et à ses rentes pour épouser Peter. La princesse ne s’attendait pas à ce dernier obstacle, personne ne lui en a parlé, jamais. Pas même la reine. Il
n’est pas certain qu’Élisabeth ait été au courant. C’est ce qu’elle dit à sa soeur lors d’une entrevue orageuse. Faut-il y voir une preuve de l’inexpérience de la jeune reine, qui a fait confiance à ses conseillers, au Premier ministre, sans vérifier les informations? Plus tard, Margaret confiera que si Peter et elle avaient été mis au courant de ce délai de trois ans, assorti d’un risque de bannissement, ils auraient rompu. L’aveu est douloureux, mais moins que la trahison dont ils ont été victimes. La pression sur les amoureux est énorme. Ils ont contre eux le Premier ministre et son Cabinet, les Conservateurs, une partie de la presse et bien sûr l’Église anglicane, dont l’archevêque de Canterbury est le plus virulent. Une opposition au mariage se manifeste même dans les pays du Commonwealth, chez ceux qui sont très attachés à la Couronne parce qu’ils veulent rester dans le giron de l’Angleterre, au moment où un vent d’indépendance souffle un peu partout. À l’inverse, le peuple manifeste son soutien, envoie des lettres à Buckingham, acclame la princesse, achète la presse favorable à l’union, comme le Daily Mirror, soutien des travaillistes, qui titre : « Allez-y Margaret. Décidezvous ». Leur amour est devenu une affaire d’État, dont les enjeux les dépassent très largement. Dans le pays, on commence à demander l’abolition de la loi sur les mariages royaux (qui date de 1772), et la séparation de l’Église et de l’État. Shocking ! Derrière cette agitation, il y a aussi le souvenir vivace d’Edouard VIII, et son abdication pour Wallis Simpson, qui a traumatisé le pays. Certains craignent que l’union de Margaret fragilise le pouvoir d’Élisabeth, d’autres refusent qu’à nouveau une personne de la famille royale soit obligée de trancher entre sa vie amoureuse et les impératifs de la Couronne.
Une semaine pour se décider
Le 12 octobre, Peter s’embarque pour l’Angleterre. Le lendemain, il retrouve enfin Margaret à Clarence House, avec la complicité de la reine-mère, enfin sensible à la détresse de sa cadette. Deux heures de tête-à-tête pour deux ans de séparation, et toujours autant d’amour. Suit un week-end privé chez des amis, avec des centaines de journalistes qui les harcèlent. La semaine qui suit, les passions se déchaînent, les pressions sont à leur maximum, le Times appuie de tout son poids sur la tête de Margaret. Le 22, elle a une entrevue avec sa soeur et son beaufrère, celle de la dernière chance. Elle en ressort, sa décision enfin prise. Le 26, les amoureux se voient une dernière fois, Peter valide le choix de Margaret. Le 31 octobre, Margaret publie un communiqué dans lequel elle dit renoncer à Peter. C’est fini. Ils ne se reverront qu’une fois, en 1958. Un an plus tard, le group captain épousera une jeune Belge. Margaret s’unira pour le pire au photographe Antony Armstrong-Jones en 1960, dont elle divorcera dix-huit ans plus tard, et consacrera sa vie à mener de front ses addictions. La Couronne sera sauvée et l’Église anglicane avec.