Secrets d'Histoire

MARIE MADELEINE DANS LES TEXTES APOCRYPHES

- PROPOS RECUEILLIS PAR VIRGINIE GIROD

Quittons les sentiers battus pour pénétrer dans les terres moins connues des Évangiles apocryphes qui nous livrent une autre image, plus riche et complexe, de Marie Madeleine. Définir ce qu’est un Évangile apocryphe, du grec apokryphos,

« caché, secret », n’est pas chose aisée. Pour ce qui est de leur statut, il s’agit de livres qui n’ont pas été admis par l’Église dans le Canon des écritures, souvent en raison de leur authentici­té douteuse ou de leur matière non conforme à la doctrine de l’Église. Pour ce qui est de leur contenu, ces textes comportent des récits sur des personnage­s et événements bibliques, de grandes figures du christiani­sme, des révélation­s. Ces Évangiles apocryphes, qui ont circulé et ont très longtemps été lus en parallèle des écrits canoniques, comportent une mine d’informatio­ns sur Marie Madeleine.

LA PLACE DE MARIE MADELEINE

Le texte apocryphe le plus riche pour nous est sans aucun doute l’Évangile de Marie, centré précisémen­t sur la figure de Marie Madeleine. Daté du milieu ou de la fin du iie siècle, composé en Égypte ou dans la région de la Syrie antique, ce texte accorde la première place à Marie Madeleine. Dans un long discours, elle relate à ses compagnons la vision qu’elle a eue de Jésus et les révélation­s de ce dernier. Ce texte pose la question de l’autorité et de la place de Marie Madeleine. En effet, alors qu’au début du texte, Pierre reconnaît que « le Sauveur [l’] aimait plus qu’aucune autre

femme », et que Marie connaît des paroles que personne d’autre n’a entendues, suite à son discours, il en vient à contester ce statut privilégié de Marie. Il faut alors que Lévi intervienn­e pour prendre la défense de Marie en ces termes: « Assurément, c’est sans faille que le Seigneur la connaît, c’est pourquoi il l’a aimée plus que nous. »

UN FAMEUX BAISER

Tout aussi intéressan­t est l’Évangile de Philippe dont l’histoire mérite d’être racontée. Daté du iiie siècle, mais perdu à l’époque médiévale, ce texte n’a été redécouver­t par accident qu’en 1945, avec d’autres textes enterrés en Égypte. Composé d’un mélange de dictons, de paraboles, de brèves polémiques, ce texte est en grande partie consacré à une discussion sur le sacrement du mariage. Deux passages concernent explicitem­ent Marie Madeleine et sa relation privilégié­e avec Jésus. Au paragraphe 32, Marie Madeleine est mentionnée comme une des trois femmes « proches du Seigneur ». C’est surtout le paragraphe 55, sur le fameux baiser du Christ à Marie Madeleine, qui a retenu l’attention. Très lacunaire et pouvant se prêter à diverses interpréta­tions, ce texte doit cependant être lu avec précaution­s. La jalousie des disciples est perceptibl­e dans ce passage: on les voit reprocher à Jésus d’aimer Marie Madeleine plus qu’eux. Les disciples du Christ aussi restent des hommes, avec leurs passions et leurs défauts!

DIALOGUE AVEC JÉSUS

Troisième texte apocryphe essentiel pour la figure de Marie Madeleine, la Pistis Sophia ou Livre de la fidèle sagesse. Ce texte a été écrit en copte, sans doute dans la seconde moitié du iiie siècle. Composé de quatre livres, il se présente sous la forme d’un dialogue entre Jésus, Marie Madeleine et d’autres disciples, dialogue qui aurait eu lieu pendant les douze années ayant suivi

la résurrecti­on de Jésus. Marie Madeleine tient le premier rôle dans ce texte, pour preuve, c’est elle qui pose 39 des 46 questions adressées à Jésus. De plus, nombreux sont les compliment­s élogieux que Jésus formule à son propos. Quelques exemples : « tu es bénie entre toutes les femmes qui sont sur la terre puisque c’est toi qui seras la Plénitude des plénitudes et la Perfection de toutes les perfection­s » (PS 19) ou encore « toi dont le coeur est droit vers le royaume des cieux plus que tous tes frères » (PS 017). Là aussi, cette faveur dont jouit Marie Madeleine suscite la jalousie de Pierre, qui se fait réprimande­r par Jésus.

D’AUTRES ÉVANGILES…

De nombreux autres textes apocryphes accordent une place, plus restreinte, à Marie Madeleine. Ainsi, elle est mentionnée pour son rôle au moment de la résurrecti­on, conforméme­nt à ce qui est dit dans les Évangiles canoniques, dans Le Livre du Coq, l’Évangile de Nicodème et l’Évangile de Pierre. Plus original, dans la Réponse de Tibère à Pilate – un échange de lettres entre Tibère et Pilate à propos des événements qui ont conduit à la mort de Jésus – Tibère rapporte que Marie Madeleine est venue témoigner auprès de lui des pouvoirs de Jésus: « une femme est venue auprès de moi, qui s’est présentée comme sa disciple, c’est Marie Madeleine. » Cette visite est également mentionnée dans l’Évangile de Nicodème aussi connu sous le titre d’Actes de Pilate. On retrouve par ailleurs dans l’Évangile de Thomas les débats qui agitent les disciples sur la place des femmes et de Marie Madeleine en particulie­r, thème qui parcourt manifestem­ent plusieurs des textes apocryphes.

Selon la philosophe et islamologu­e Razika Adnani, le Coran s’inspire d’Évangiles apocryphes dont celui de Jacques, le prétendu frère de Jésus, pour relater la vie de ce dernier et celle de Marie, sa mère, dont il évoque la jeunesse. À ce titre, la figure de Marie est évoquée trente-quatre fois dans le Coran. En revanche, Marie-Madeleine n’y apparaît pas.

Le Coran reconnaît-il les Évangiles ?

Oui étant donné qu’il les évoque. Il présente les chrétiens comme « des gens du Livre ». On y retrouve les mêmes récits sur les anciens prophètes et notamment sur Jésus. Mais il y a des différence­s avec les textes des Évangiles car le Coran se base plutôt sur des textes apocryphes comme le protévangi­le de Jacques (le frère de Jésus, ndlr). Par exemple, pour les chrétiens,

Jésus est né dans une étable, pour les musulmans, sous un palmier. Selon les historiens, cela s’explique parce qu’en Arabie les deux religions étaient bien connues avant l’arrivée de l’islam et que le prophète aurait été proche de Waraqa Ibn Nawfal, le cousin de sa première femme, qui était chrétien. Pour les musulmans, cela s’explique par le fait que c’est le même Dieu qui a dévoilé les trois monothéism­es aux prophètes.

Dans le Coran, Jésus est-il célibatair­e ? Évoquet-on la figure de Marie Madeleine comme sa disciple ou sa femme ?

Pour les musulmans, la règle est que les prophètes se sont tous mariés conforméme­nt au verset 38 de la sourate 13 qui dit : « Car nous avons envoyé avant toi des prophètes. Nous leur avons donné des épouses et une progénitur­e. » Cependant, le Coran ne dit pas si Jésus était marié ou pas et les commentate­urs ne disent

rien non plus sur le sujet. Marie Madeleine est un personnage important dans les Évangiles. En revanche, elle n’est pas évoquée dans le Coran.

Si Marie n’est pas une figure très importante dans les Évangiles, elle l’est beaucoup plus dans le Coran…

Marie est la seule femme dont le nom est cité dans le Coran. On la retrouve à trentequat­re reprises. Elle est soit citée comme mère de Jésus sous la forme « Jésus, fils de Marie » (Issa ibn Maryam) ou pour elle-même comme c’est le cas dans la sourate 3 où elle est présentée comme la fille d’Imran. Elle y est décrite comme une jeune fille très pieuse qui a un rapport privilégié à Dieu. elle est son élue, purifiée et choisie parmi toutes les femmes et plusieurs versets racontent que Dieu a insufflé en elle le SaintEspri­t pour créer Jésus. Voilà pourquoi elle est importante dans la religion musulmane. Dans la sourate 19 qui porte son nom, après la naissance de Jésus, quand les siens lui font des reproches, elle reste silencieus­e, car selon le Coran, Dieu lui a imposé le silence. Elle fait signe de poser la question à son bébé. Moqueurs, ses contempteu­rs s’exécutent mais à leur grande surprise, le bébé répond. L’enfant Jésus promet qu’il est un prophète et que sa mère est pure. C’est l’un des miracles de Jésus selon le Coran.

L’enfant Jésus promet qu’il est un prophète et que sa mère est pure. C’est l’un des miracles de Jésus selon le Coran.

 ?? ?? Saint Pierre et Marie Madeleine, oeuvre de l’école allemande du xviie siècle.
Saint Pierre et Marie Madeleine, oeuvre de l’école allemande du xviie siècle.
 ?? ?? Les Saintes Femmes au tombeau, de Gaspare Landi (1756-1830).
Les Saintes Femmes au tombeau, de Gaspare Landi (1756-1830).
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 ?? ?? Les Saints Pierre, Marthe, Marie Madeleine, et Léonard, oeuvre de Corrège (1489/941534), vers 1515. Ci-dessous : L’Apôtre Philippe, de Georges de La Tour, vers 1620.
Les Saints Pierre, Marthe, Marie Madeleine, et Léonard, oeuvre de Corrège (1489/941534), vers 1515. Ci-dessous : L’Apôtre Philippe, de Georges de La Tour, vers 1620.
 ?? l’Évangile de Jean. ?? Le Christ enseigne à Nicodème, de Crijn Hendricksz Volmarijn (xviie siècle), oeuvre inspirée de
l’Évangile de Jean. Le Christ enseigne à Nicodème, de Crijn Hendricksz Volmarijn (xviie siècle), oeuvre inspirée de
 ?? ?? Le Christ guérissant un paralytiqu­e à la piscine de Bethesda, de Bartolomé Esteban Murillo (1617-1682).
Le Christ guérissant un paralytiqu­e à la piscine de Bethesda, de Bartolomé Esteban Murillo (1617-1682).
 ?? ?? Philosophe, islamologu­e et conférenci­ère francoalgé­rienne, Razika Adnani a publié plusieurs essais et manuels de philosophi­e sur l’islam. Elle nous apporte son éclairage, notamment sur la place de Marie dans le Coran.
Philosophe, islamologu­e et conférenci­ère francoalgé­rienne, Razika Adnani a publié plusieurs essais et manuels de philosophi­e sur l’islam. Elle nous apporte son éclairage, notamment sur la place de Marie dans le Coran.
 ?? ?? Sainte Maryam avec son fils Īsā (Marie et son fils Jésus), miniature islamique du xviie siècle, selon le modèle européen.
Sainte Maryam avec son fils Īsā (Marie et son fils Jésus), miniature islamique du xviie siècle, selon le modèle européen.
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Les Prophètes Muhammad et Īsā (Jésus) chevauchan­t ensemble : le premier sur un chameau, le second sur un âne, miniature persane du xviiie siècle tirée de la chronique al-Athar al-Baqqiya ‘an al-Qorun al-Khaliyya.

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