ANNE SOUPA : « C’EST UNE FEMME QUI INCARNE LE DISCIPLE ACCOMPLI »
Selon l’essayiste Anne Soupa, Jésus est universaliste. Il considère même Marie de Béthanie comme une disciple parfaite et fait un honneur à Marie Madeleine en lui offrant la primeur de sa résurrection. Mais les premières communautés chrétiennes étaient patriarcales. Elles ont tordu les textes pour limiter les femmes aux rôles d’épouses et de mères.
Jésus a vécu à une époque où les femmes sont considérées comme inférieures aux hommes. Pourtant, il ne semble pas misogyne…
Il est universaliste. Il n’a jamais dit à des mères de rentrer chez elle s’occuper de leurs enfants. À la femme qui lui dit « Bienheureuses les mamelles qui t’ont allaité », Jésus répond qu’écouter la parole de Dieu est plus important. Dans le chapitre 10 de l’Évangile de Luc, il est question des différents types de disciples. La démonstration se termine sur le bon disciple. Surprise, l’élue est Marie de Béthanie qui restait aux pieds de Jésus pour l’écouter. C’est une femme qui incarne le disciple accompli !
Marthe n’est pas critiquée parce qu’elle fait le service des disciples plutôt que de s’asseoir avec eux mais elle est invitée à ne pas oublier que l’essentiel est ailleurs.
Pourquoi l’Église semble avoir minoré le rôle des femmes et en particulier celui de Marie Madeleine ?
Les premières communautés chrétiennes se sont développées dans l’empire romain dont elles ont conservé les codes. Les femmes y étaient inférieures aux hommes. Le côté novateur de Jésus vis-à-vis d’elles s’est vite perdu. À la fin de l’Antiquité, un concile a interdit aux femmes l’usage des vases sacrés. On peut en déduire que jusque-là, certaines pratiquaient le culte. Dans les communautés fondées par Paul, les femmes jouaient des rôles décisifs. Certaines baptisaient d’autres femmes. Les communautés johanniques pensaient qu’il n’était pas nécessaire d’avoir des intermédiaires entre soi et Dieu. Et c’est dans l’Évangile de Jean que Marie Madeleine est une figure centrale. Jésus, trois jours après sa mort, lui apparaît, et il l’envoie annoncer la résurrection aux disciples. En revanche, les communautés pétriniennes, celles issues de Pierre, sont patriarcales et autoritaires et ce sont elles qui se sont imposées au détriment des autres. Les communautés où les femmes étaient les plus
actives ont souvent été jugées déviantes ou hérétiques. De ce fait, elles ont disparu.
Qui sont les femmes les plus importantes dans la vie de Jésus ?
Il est proche de Marthe et de Marie de Béthanie. Il prend souvent du repos dans leur famille. Pour avoir vu la première Jésus ressuscité, le théologien Hippolyte de Rome du iie siècle surnomme Marie Madeleine l’apôtre des apôtres. Son rôle de messagère est bien plus grand que celui des Douze. C’est un honneur que Jésus lui a fait. En revanche, Marie, mère de Jésus, est une figure peu citée dans les Évangiles et Jésus est souvent dur avec elle.
Pourquoi considérez-vous que les femmes ont été plus lucides que les hommes autour de Jésus ?
Les relations de Jésus avec les femmes ont toujours été constructives. Il ne se querelle jamais avec elles. Les très rares qui lui ont été hostiles à l’instar de Salomé (la commanditaire de la tête de Jean-Baptiste, ndlr) ne l’ont jamais rencontré. De toutes les autres, Jésus loue la foi. Alors qu’avec les hommes, il y a de constantes rivalités, surtout avec Pierre qui se refuse à admettre que Jésus doit souffrir sa passion. Jésus le traite alors de « satan » ! Jésus connaît aussi des rivalités avec les Pharisiens et avec les docteurs qui ergotent sur la loi et redoublent d’objections.
Le christianisme s’est forgé dans l’Antiquité. Garde-t-il encore aujourd’hui une vision archaïque de la femme ? Bien sûr! Et cela vient d’une mauvaise interprétation de la Genèse. Le Créateur crée Adam avec la glaise et le souffle. Adam signifie « être humain ». Mais il est seul et il s’ennuie. Alors Dieu « revoit sa copie »! Il fait tomber sur lui une torpeur. Au moment du réveil, ils sont deux: l’homme et la femme. Par ailleurs, contrairement au récit qui s’est établi et règne encore, la femme n’a pas été fabriquée avec la côte d’Adam. On mesure là l’ampleur et la puissance de conviction de la domination masculine ! Le mot tsela` en hébreu veut dire « côte », mais aussi « côté ». Dans ce sens, il désigne chacun des deux battants de l’Arche d’Alliance. C’est dire combien la situation de l’homme comme celle de la femme sont dignes et valorisées. Le récit de la Genèse est pleinement égalitaire. Pourtant, Jean-Paul II a soutenu que les femmes avaient vocation à aider les hommes en étant épouses et mères. Par sa lecture masculiniste d’un texte aussi riche que bienveillant, ce pape en fait un instrument d’asservissement.