FRÈRE DE L’OMBRE
Nicolas n’est pas le seul fils Fouquet à se faire une place parmi les puissants. Basile, dit « l’abbé Fouquet » (1622-1680), a aussi toute la confiance de Mazarin. Autre pilier du clan, il aide son frère à gravir les échelons et, ensemble, ils constituent leur incroyable réseau de patrons et de protégés, allant jusqu’à infiltrer celui du cardinal. Leur influence devient si grande que le binôme finira par inquiéter les autres ministres, et Mazarin lui-même.
Dans sa quête de pouvoir, Nicolas Fouquet sera bientôt gêné par un certain Jean-Baptiste Colbert (1619-1683). L’intrigant disciple de Mazarin ne désire pas moins les honneurs que le surintendant ! Tous deux avides de lumière, ils se livrent un combat sans merci pour gagner les faveurs de Louis XIV, et obtenir le poste de Premier ministre.
L’un est écureuil, l’autre couleuvre. À chacun son arme! Si Fouquet est agile, Colbert, lui, sait ramper discrètement et avancer sans bruit. Homme à tout faire de Mazarin, il lui est resté fidèle depuis l’exil auquel la Fronde l’a contraint. Quant au surintendant, son aptitude à faire apparaître l’argent comme par magie arrange bien les affaires du Premier ministre.
UNE TRÉSORERIE DOUTEUSE
Nicolas Fouquet s’adapte sans mal au système financier dans lequel il a mis le pied, pourtant gangrené par les fraudes et les malversations. Fort d’un réseau de patrons et de protégés fidèles, il a le don de trouver les ressources là où il le faut, quand il le faut, c’est-à-dire dès que le cardinal le lui demande. S’il ne s’adresse pas à l’un de ses alliés, il n’hésite pas à puiser dans ses propres deniers pour prêter à l’État, endetté par des années de guerre. L’objectif est d’éviter la banqueroute, quoi qu’il en coûte. « Il me laissait, explique Fouquet, maître absolu d’accorder telles remises, donner tels intérêts ou telles gratifications qu’il me plaisait, et généralement faire tout ce que je jugerais à propos, pourvu qu’on tirât les sommes indispensables nécessaires dont il me donnerait des états par chacun an, moyennant quoi il consentait que je fisse du reste comme je l’entendais. » (Fouquet, Jean-Christian Petitfils, éd. Perrin). Au passage, l’écureuil n’oublie pas de faire des réserves pour l’hiver... À piocher dans une caisse pour alimenter l’autre, et vice versa. Colbert ne manque pas de déplorer la négligence du surintendant auprès de son Éminence! Mais à ce jeu, c’est le serpent qui se mord la queue... Le cardinal a trop besoin de Fouquet pour se résoudre à le faire tomber! D’autant que les méthodes du surintendant contribuent à l’enrichissement personnel du prélat... Pris en étau entre les deux rivaux, Mazarin ne veut se séparer d’aucun.
UNE AMBITION DÉVORANTE
Nicolas Fouquet se sent donc à l’abri du danger. « Monseigneur », comme il se fait appeler par son entourage, mène grand train dans ses demeures parisiennes, entre son hôtel d’Émery, au coeur de la capitale, et les palais majestueux qu’il a fait bâtir sur ses terres de Saint-Mandé et de Vaux. Il y organise des bals pour ravir ses amis, collectionne les livres rares dans sa précieuse bibliothèque de Saint-Mandé (que n’égale alors que celle de Mazarin!), décore ses murs de toiles de maîtres (Poussin, Véronèse)... Le surintendant ne regarde pas à la dépense! Il emprunte et emprunte encore, pour son compte comme pour celui du royaume. Or, à force de vivre à crédit, la machine Fouquet risque d’exploser; « le mystère de sa comptabilité pourrait se résumer par cette formule, selon Jean Christian Petitfils, acheter mais ne pas payer ! » La gourmandise de l’écureuil ne tarde pas à lui porter défaut. Son opulence outrancière lui attire des ennemis, tout comme son ambition affichée de devenir un jour Premier ministre. Le roi lui-même commence à le craindre. Dans le viseur du Roi-Soleil, Fouquet se trouve sans le savoir en mauvaise posture. Et sans la protection de Mazarin, qui s’éteint le 9 mars 1661, il n’a plus le droit à l’erreur.
L’ORAGE QUI S’ANNONCE
Or, il en commet plusieurs... à commencer par des projets maritimes de trop grande envergure. Les Antilles, l’Afrique, TerreNeuve … Après avoir acquis Belle-Île en 1658, Fouquet se constitue une flotte personnelle pour importer en France des marchandises des quatre coins du monde. Et en secret, il équipe l’île bretonne de canons, de bombes, de mortiers et de centaines d’autres armes destinées à des milliers d’hommes. Que cherche-t-il en se créant un tel arsenal? S’agit-il d’une vaste entreprise coloniale ou veut-il se protéger du roi? L’occasion est trop belle pour Jean-Baptiste Colbert, qui en profite pour lâcher ses coups. Encore jeune et hésitant, Louis XIV se laisse facilement convaincre de la menace que représente l’écureuil: la fortification de Belle-Île, devenue à la fois port de commerce et citadelle imprenable, est perçue comme un crime de lèse-majesté! Dès le printemps 1661, l’arrestation de Nicolas Fouquet est décidée. Mais pour se jouer d’un esprit si habile et influent, il faut se montrer plus vif que lui. D’abord, Louis XIV doit priver son ministre de ceux qui chercheraient à le protéger: Anne