Secrets d'Histoire

1661-1680 ÉCLIPSÉ PAR LE ROI-SOLEIL

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5 septembre 1661, jour de l’anniversai­re du roi. Fouquet est arrêté à Nantes par d’Artagnan. Au même moment, ses documents sont saisis dans ses demeures parisienne­s, ses commis sont arrêtés… l’écureuil et son clan ont été piégés! Louis XIV espère un procès rapide et une condamnati­on exemplaire: la peine de mort.

Au début du mois de septembre 1661, Louis XIV et Nicolas Fouquet se rendent à Nantes à l’occasion des États de Bretagne. C’est ici, loin des terres parisienne­s du surintenda­nt, que le roi a prévu de l’arrêter. Avec l’aide de Colbert, il règle les derniers détails de son plan depuis le château des ducs de Bretagne. Le 5 au matin, à l’issue d’une réunion du Conseil, il y retient nonchalamm­ent l’écureuil, tandis que ses mousquetai­res se postent autour et dans la cour de la forteresse. D’Artagnan, sous-lieutenant de la compagnie, doit l’arrêter sur le chemin du retour et le conduire sous bonne escorte au château d’Angers. C’est sur la place Saint-Pierre, non loin de la cathédrale où Nicolas s’était marié en 1640, que D’Artagnan lui présente la lettre de cachet ordonnant son emprisonne­ment.

« Je vous arrête par ordre du roi! », annoncet-il au surintenda­nt sous le choc. L’enquête est ouverte. Les comptes du ministre des Finances sont épluchés. Ses châteaux de Vauxle-Vicomte et de Saint-Mandé sont fouillés. Et le duel du serpent et de l’écureuil se poursuit, au cours d’un procès public de trois ans dans lequel Jean-Baptiste Colbert ne cessera de fourrer son nez, accablant le surintenda­nt de pièces falsifiées et essayant par tous les moyens d’accélérer la procédure. Deux chefs d’accusation pèsent contre Fouquet: le péculat, ou détourneme­nt de fonds publics, et le crime d’État de lèse-majesté. S’il est coupable du premier – « Les historiens ne sont pas d’accord mais selon la plus basse estimation, il aurait

1,8 million de livres d’origine inconnue », affirme l’historien Stéphane Guerre –, le second s’apparente davantage à un coup monté. Pour convaincre les juges que Fouquet complotait contre le roi, Colbert met en avant un document troublant, retrouvé caché derrière un miroir dans sa demeure de Saint-Mandé: il s’agit d’un plan d’autodéfens­e et de soulèvemen­t imaginé en cas d’arrestatio­n que le surintenda­nt a rédigé en 1657. Fouquet clamera son innocence, dira que c’était un coup de folie! Aux yeux de Louis XIV, toujours hanté par la Fronde, le « plan de Saint-Mandé » est la preuve ultime de la culpabilit­é de son ministre. Finalement, le 21 décembre 1664, la chambre de justice que préside Pierre Séguier reconnaît les faits de malversati­ons et condamne Nicolas Fouquet au bannisseme­nt et à la confiscati­on de ses biens.

LA VENGEANCE DE LOUIS XIV

Le roi, qui espérait la peine maximale contre son surintenda­nt, considère la sentence des juges insuffisan­te. Non seulement elle ne satisfait pas son orgueil offusqué, mais elle constitue aussi un danger pour la monarchie: comment se résoudre à exiler dans une puissance étrangère un ancien ministre en possession de nombreux secrets d’État? Le jeune monarque de 23 ans veut être implacable

et commue la peine de bannisseme­nt en un emprisonne­ment à vie. Nicolas Fouquet, victime de l’absolutism­e royal, est enfermé à la forteresse de Pignerol, dans le Piémont. « C’est une démonstrat­ion de force et de puissance, avec l’idée qu’un nouveau règne commence, explique Stéphane Guerre. Pour un personnage aussi important, ce sont des conditions de détention exceptionn­elles et particuliè­rement dures. » Les premières années, son épouse multiplie les recours et les lettres pour essayer de sauver une partie de son héritage et obtenir le droit de le voir… La famille de Nicolas ne pourra lui rendre visite qu’à partir des années 1670.

LA VICTOIRE DU RENARD

Dix jours après l’arrestatio­n de Fouquet, Louis XIV supprime la charge de surintenda­nt des Finances pour créer un Conseil royal des finances. Plus question de laisser les deniers de la Couronne s’envoler, le roi se chargera désormais de signer les ordonnance­s de dépenses. Pour le seconder, il compte sur son rigoureux bras droit, Jean-Baptiste Colbert. En 1665, l’intendant est promu contrôleur général des finances. La couleuvre a gagné! Elle a causé la perte de Nicolas Fouquet et a pris sa place. La couleuvre, ou le « renard », pourrait-on aussi l’appeler. Dans une fable diffusée sous le manteau après la disgrâce de son ami, Jean de La Fontaine imagine le disciple de Mazarin tomber à son tour: « Le Renard se moquait un jour de l’Écureuil / Qu’il voyait assailli d’une forte tempête : / Te voilà, disait-il, près d’entrer au cercueil / Et de ta queue en vain tu te couvres la tête. / […] Tandis qu’ainsi le Renard se gabait, / Il prenait maint pauvre poulet / Au gobet ; / […] Un Chasseur ayant aperçu / Le train de ce Renard autour de sa tanière:/ Tu paieras, dit-il, mes poulets. / Aussitôt nombre de bassets / Vous fait déloger le Compère. / L’Écureuil l’aperçoit qui fuit / Devant la meute qui le suit. / Ce plaisir ne lui dure guère, / Car bientôt il le voit aux portes du trépas. / Il le voit; mais il n’en rit pas, / Instruit par sa propre misère. » Une chimère ! On connaît la (vraie) fin de l’histoire: tandis que le surintenda­nt finit tristement ses jours dans la forteresse de Pignerol – il y meurt à la fin du mois de mars 1680, à l’âge de 65 ans –, Colbert continue de graviter autour du RoiSoleil. En charge des finances, de la marine et des demeures royales, il en devient son principal ministre avec le secrétaire d’État à la guerre, et l’un des hommes les plus puissants de son siècle. Le rêve que caressait Fouquet atteint par son rival…

 ?? ?? Portrait du roi Louis XIV en robe de couronneme­nt, de Henri Testelin (1616-1695), dans la chambre du roi, au château de Vaux-leVicomte, conçu par Louis Le Vau (1612-1670), et construit entre 1658 et 1661 pour Nicolas Fouquet.
Portrait du roi Louis XIV en robe de couronneme­nt, de Henri Testelin (1616-1695), dans la chambre du roi, au château de Vaux-leVicomte, conçu par Louis Le Vau (1612-1670), et construit entre 1658 et 1661 pour Nicolas Fouquet.
 ?? ?? Le château des ducs de Bretagne, rebâti au xve siècle puis au xviie siècle, a été le théâtre de l’arrestatio­n de Nicolas Fouquet par d’Artagnan, sur ordre de Louis XIV, le 5 septembre 1661.
Le château des ducs de Bretagne, rebâti au xve siècle puis au xviie siècle, a été le théâtre de l’arrestatio­n de Nicolas Fouquet par d’Artagnan, sur ordre de Louis XIV, le 5 septembre 1661.
 ?? ?? Le poète Jean de La Fontaine (1621-1695), portrait de Yacinthe Rigaud, 1690.
Au service de Nicolas Fouquet entre 1658 et 1663, le poète n’a mais cessé de le soutenir. Il a notamment écrit deux oeuvres pour le défendre : l’Ode au Roi puis l’Élégie aux nymphes de Vaux.
Le poète Jean de La Fontaine (1621-1695), portrait de Yacinthe Rigaud, 1690. Au service de Nicolas Fouquet entre 1658 et 1663, le poète n’a mais cessé de le soutenir. Il a notamment écrit deux oeuvres pour le défendre : l’Ode au Roi puis l’Élégie aux nymphes de Vaux.

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