STÉPHANE GUERRE : « LA MAGNIFICENCE EST LE MONOPOLE DES ROIS ! »
Docteur en histoire moderne et auteur d’une biographie de Louis XIV (janvier 2022, aux éditions PUF), Stéphane Guerre nous éclaire sur les raisons qui ont poussé le roi à évincer Nicolas Fouquet.
Vous écrivez que l’arrestation de Nicolas Fouquet a été « une étape supplémentaire de la prise de pouvoir » de Louis XIV. A-t-il été puni pour l’exemple ? L’État de l’Ancien Régime est noyauté par le clientélisme, l’affairisme, bien au-delà de Fouquet ; c’est son fonctionnement même. Louis XIV accepte le luxe d’un Louvois, d’un Colbert... mais il faut se faire un peu discret! Ce que le pouvoir n’aime pas, c’est que la façade de la monarchie soit compromise. À ce titre, le procès du surintendant appelait à une certaine retenue. Surtout, il a montré que les foudres du roi pouvaient s’abattre jusque sur ses puissants ministres. Il y aura d’autres disgrâces – assez peu – dans le règne, mais celle de Fouquet revêt une forme tout à fait exceptionnelle.
Fouquet était-il plus dangereux qu’un Colbert, ou a-t-il été un bouc émissaire? À la mort de Mazarin en 1661, Louis XIV doit solder des années de guerre contre l’Espagne (1635–1659). Le roi veut donner l’impression de la naissance d’un nouvel âge d’or du fait de sa prise de pouvoir personnelle. Il faut trouver un responsable aux malversations qui étaient tolérées pendant le conflit, mais qui ne peuvent plus l’être. S’il en est un qui s’est énormément enrichi à cette période, c’est bien Mazarin! Mais il est politiquement impossible d’accuser l’ancien Premier ministre, parrain du roi, et en outre celui qui l’a formé politiquement, avec quasiment un rapport filial... Puisqu’il était le surintendant des Finances sous Mazarin, cela retombe sur Fouquet. En le condamnant, la chambre de justice solde les comptes de la guerre et protège l’image du cardinal, trop proche du pouvoir pour être compromise.
Pourquoi la nuit du 17 août 1661 est-elle restée dans les mémoires comme l’élément déclencheur de la colère du Roi-Soleil ? Sans être la cause principale de son arrestation, la fête à Vaux-le-Vicomte est un défi de magnificence. Ce n’est pas seulement de l’orgueil, la magnificence est le monopole des rois ! Depuis la Renaissance, il s’agit d’une dimension de la surnature royale. Le souverain doit démontrer sa supériorité sur les autres hommes en dépensant; il ne veut pas qu’un sujet, et a fortiori celui qui manie ses impôts et ses recettes, puisse le concurrencer dans des domaines comme les arts et les fêtes... Fouquet reçoit le monarque pour l’impressionner et asseoir son positionnement politique – on peut penser qu’il n’a pas cru Louis XIV quand il a dit ne pas vouloir de Premier ministre – mais renforce la détermination du roi à l’abattre.