7 NOVEMBRE 1659. LE GRAND CONDÉ ENTRE AU PURGATOIRE
Plusieurs articles du traité des Pyrénées, qui met fin à la guerre entre la France et l’Espagne, s’attachent à régler le sort du Grand Condé. Si son retour en France semble acquis et arrange les deux parties, reste à en déterminer les conditions. Louis XIV mettra un long moment à réellement pardonner la trahison du Grand Condé et cette réconciliation sera méticuleusement orchestrée.
Le sort de Condé est discuté pied à pied. La situation est extrêmement frustrante pour le prince, à qui on a refusé le droit de participer aux négociations et qui doit ronger son frein, à Bruxelles, sans avoir la main sur son avenir. Les préliminaires de la paix étaient très durs pour le prince de Condé, et l’envoyé du roi Philippe IV s’était engagé à les améliorer lors des pourparlers avec Mazarin. S’il était impossible, en tant que prince du sang, de lui ôter biens (qui avaient d’ailleurs été placés sous séquestre pendant cinq ans par jugement pour justement pouvoir lui être restitués), honneurs et privilèges, Louis XIV et Mazarin comptaient bien réétudier les places fortes et provinces qui lui avaient été précédemment attribuées. Le prince de Condé était donc sommé de toutes les restituer, avant qu’on ne lui en redonne de nouvelles. Il récupère ainsi la Bourgogne, la Bresse, ainsi que les places qui lui avaient été offertes après ses victoires en 1648. Il obtient le petit joyau des Montmorency que le roi ne voulait d’abord par lui restituer: Chantilly. Enfin, l’Espagne lui verserait un dédommagement conséquent. Ainsi, souligne Simone Bertière, « Condé s’en tirait à bon compte […] Mais on a tort d’affirmer qu’il rentra en France comme il en était parti, jouissant des mêmes prérogatives que naguère. Les apparences étaient sauves, mais il ne retrouvait pas son pouvoir antérieur. » Il rentre « la tête haute ».
CONDÉ FAIT AMENDE HONORABLE
En échange de ces conditions très favorables, le prince de Condé s’engage à faire publiquement amende honorable. Il doit renoncer à poser la moindre condition à son retour, reconnaître l’autorité royale et s’engager personnellement à être fidèle au roi. Condé est pardonné parce que Louis XIV le veut bien, et les bienfaits qu’il reçoit ne sont pas un dû mais une faveur. Leur première
entrevue à Aix-en-Provence, strictement privée, se passe bien. La disparition de Mazarin inaugure le début du règne personnel du Soleil, qui annonce qu’il ne nommera pas de Premier ministre et gouvernera seul. Le Conseil disparaît, privant les grands seigneurs – et le prince de Condé – d’un moyen d’influence, et donc de gratification de ses fidèles. Les relations entre le roi et le prince sont neutres et au mieux polies. Condé se rend à toutes les manifestations officielles où son rang exige sa présence. Le souverain ne l’intègre néanmoins pas au cercle de ses familiers. Au grand carrousel des Tuileries de 1662, la soumission volontaire du prince et de son fils est habilement mise en scène. Au bout de quelques années, Condé reconnaît le talent du roi, et ce dernier cesse également d’éprouver rancoeur et méfiance pour le prince. Sa conduite a été irréprochable, Louis XIV ne voit plus de raison de le tenir à l’écart: le prince est devenu inoffensif et peut encore être utile.
Sur ordre du roi, Condé reçoit le commandement de son armée et attaque la Franche-Comté. Louis XIV arrive à temps pour participer à l’assaut des dernières places fortes. L’ordre est bien établi: c’est le roi qui mène le combat, il est sur le champ de bataille, et Condé est son général. Les lauriers sont pour le souverain. Condé participe avec Turenne à la campagne de Hollande lors de laquelle il remporte sa dernière bataille, celle de Senneffe, face à Guillaume d’Orange.
SEIGNEUR EN SES TERRES
À son retour des Pays-Bas, Condé s’installe à Chantilly. Il va en faire une cour autonome, à l’identité bien différente de Versailles et s’attelle à devenir un grand mécène. La bibliothèque du prince atteint 10 000 volumes. Louis XIV le dispense, de fait, d’être présent à Versailles comme les autres courtisans. Condé agrandit le domaine du château de Chantilly et confie l’aménagement de ses jardins à Le Nôtre. Collectionneur et curieux, il fait planter de nombreuses essences rares et inconnues. Condé invite le roi à de somptueuses fêtes à Chantilly du 23 au 25 avril 1671, pendant lesquelles le maître d’hôtel Vatel se suicide en croyant que la livraison de poissons n’arriverait pas et que les illustres invités du prince n’auraient pas à manger.
L’APOTHÉOSE D’UN HÉROS
Simone Bertière le note : « Loin de porter tort à la réputation de Condé, les épreuves, la défaite, la venue de l’âge, ont renforcé et magnifié son image. Il est plus grand que jamais. Mais c’est au prix d’une mutation dans l’idée qu’on se faisait de l’héroïsme, qui, de purement guerrier qu’il était, s’est enrichi d’exigences morales et sociales. Sa métamorphose a fait oublier ses fautes passées. […] Il accède de son vivant à l’intemporelle pureté des héros de légende », (Condé. Le prince fourvoyé, éd. Le Livre de Poche). Les dernières années Juste avant qu’il n’expire, le roi lui avait fait savoir qu’il pardonnait enfin le prince de Conti, et le mourant avait pu remercier son souverain de sa grâce. de Condé sont obscurcies par un ultime scandale: son épouse se serait compromise avec un valet et le récit de l’aventure se répand. Condé demande au roi d’exiler son épouse à Châteauroux jusqu’à la fin de ses jours.
Fin 1686, il se précipite à Fontainebleau pour veiller sur l’une des filles du roi, la duchesse de Bourbon, mariée à son propre petit-fils, lorsqu’elle tombe malade de la petite vérole. Il s’interpose entre elle et le roi, lorsque ce dernier veut aller à son chevet, pour le protéger de la contagion, et tombe à son tour malade. Son état se dégrade si vite qu’il ne peut regagner Chantilly où il voulait être transporté. Il meurt le 11 décembre 1686. Juste avant qu’il n’expire, le roi lui avait fait savoir qu’il pardonnait enfin son frère, le prince de Conti, et le mourant avait pu remercier son souverain de sa grâce. Jusqu’au bout, le lion de jadis rentre les griffes. ∫