Secrets d'Histoire

MATHIEU DELDICQUE : « LE GRAND CONDÉ ÉTAIT LE RIVAL, PAS L’ENNEMI DE LOUIS XIV »

Mathieu Deldicque est conservate­ur du patrimoine au musée Condé de Chantilly qui a consacré une exposition au Grand Condé en 2016-2017 dont il a dirigé le catalogue (Le Grand Condé. Le rival du Roi-Soleil ?, éd. Snoeck/Domaine de Chantilly).

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Le Grand Condé était-il un rebelle ?

Les princes de Condé entrent régulièrem­ent en rébellion contre le pouvoir royal depuis la fin du xvie siècle. Ils réclament une participat­ion active au gouverneme­nt du royaume en tant que premiers princes du sang et chefs de file de la noblesse française. Le gène de la rébellion coule dans ses veines et cela relève pour lui de son rôle. Lors de la Fronde, il estime que le cardinal Mazarin occupe la place qui lui est due.

Quel rôle a joué son éducation ? Lorsqu’il naît, Louis XIII n’a pas encore de fils, et le jeune duc d’Enghien restera longtemps l’héritier présomptif du trône. Si son père s’était rebellé dans sa jeunesse contre Henri IV, il avait finalement compris qu’il ne pouvait s’opposer à Richelieu et devait se placer dans le sillage de sa politique pour assurer sa fortune et son pouvoir. Le Grand Condé a été plutôt élevé dans une loyauté au trône.

Qu’est ce qui le fait basculer dans l’opposition ?

Il s’estime lésé lorsque

Mazarin distribue faveurs et pensions aux premiers frondeurs au détriment de son propre clan. Il lui devient très hostile, au point que le ministre et la régente préfèrent l’arrêter et l’emprisonne­r de manière préventive. Une fois libéré, il rejoint la Fronde, d’abord par peur d’être à nouveau arrêté. Il rejoint aussi l’Espagne en dernière extrémité car il ne parvient pas à rassembler de troupes assez importante­s en France pour menacer Mazarin. Il ne rentre pas en lutte contre le roi. Une historienn­e parlait de « devoir de révolte » : Condé estime être dans son rôle de premier prince de sang quand il veut débarrasse­r le roi de ses mauvais conseiller­s.

N’est-il pas l’homme d’un ancien monde qui bascule dans une nouvelle ère ? Selon moi, c’est le dernier prince baroque avant l’âge classique et la monarchie absolue, dans sa façon d’être, son audace, son esprit chevaleres­que, et dans sa conception politique du pouvoir qui doit être partagé entre le roi et les nobles. Contrairem­ent à une grande partie de la noblesse qui accepte l’absolutism­e naissant, il résiste. À la fin de sa vie, il est plus philosophe, et surtout il a compris que Louis XIV était un très grand roi et qu’il doit accompagne­r son épopée de son épée.

Était-il alors le rival de Louis XIV ?

Ce n’est pas un ennemi, mais un rival. ils entretienn­ent une émulation respective, en termes de mécénat, de prestige, de travaux militaires… Par bien des aspects, il ne manqua au Grand Condé que d’être roi, et on lui proposa même le trône de Pologne. Il s’est opposé à la régente, à Mazarin et donc indirectem­ent au roi. Il fait de Chantilly un « antiVersai­lles », une cour où règne plus de liberté et de simplicité, où des esprits frappés de censure peuvent trouver refuge. Et il a aussi été l’un des plus serviteurs du roi, a risqué sa vie au combat, et tenu son rang à la Cour.

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