Secrets d'Histoire

MAZARIN Ministre et favori

- PAR COLINE BOUVART

Brillant ministre légué par Richelieu au jeune Louis XIII, puis par Louis XIII à son épouse Anne d’Autriche (« il vous plaira Madame, il ressemble à Buckingham », aurait ironisé Richelieu), Mazarin réussit à s’imposer comme ministre puis favori auprès de la régente, et gagne l’estime du jeune Louis XIV qui en fera à son tour son conseiller.

Issu d’une famille romaine peu fortunée au service des Colonna, Jules Mazarin, né en 1602, bénéficie pourtant d’une éducation plutôt privilégié­e en intime du clan et de leurs enfants. Il rentre finalement au service du pape et dirige une compagnie de soldats pontificau­x. C’est d’ailleurs en homme de guerre au service des États pontificau­x, que Richelieu le rencontre pour la première fois en 1630 à Lyon. Si l’entrevue se passe bien, Mazarin n’obtient rien et apparaît sans grand pouvoir aux yeux du cardinal, et les Français pénètrent dans le Piémont pour s’emparer de Pignerol. La gloire de Mazarin est cependant en marche: devant Casal, il se serait interposé à cheval entre troupes françaises et troupes espagnoles, en s’écriant

« Pace ! Pace ! » et en brandissan­t un document pour faire croire à un armistice, au péril de sa vie. Le contexte politique, plus favorable à Mazarin, lui donne de nouvelles cartes en manche et le voilà envoyé à Paris en 1631 puis 1632 pour négocier la paix. Plus francophil­e que ne l’avait pensé Richelieu, Mazarin gagne son estime, et lors d’un nouveau séjour entre 1634 et 1636, il devient même son intime. Devenu un brillant diplomate, il se sent de moins en moins à sa place en Italie et, de plus en plus, souhaite réserver sa loyauté à la France. Il confie ainsi à Chavigny, qui travaille avec Richelieu, son amour pour la France et pour le

cardinal « par instinct, avant même de connaître par expérience ses grandes qualités. » Et à la mort du Père Joseph, l’éminence grise de Richelieu, Mazarin apparaît comme un successeur naturel. Il rejoint la cour de France où Richelieu ne tarde pas à lui confier des missions diplomatiq­ues, et Louis XIII lui obtient même le chapeau de cardinal pour services rendus! Mazarin fait son entrée au Conseil du roi en 1642 à la mort de Richelieu comme ce dernier l’avait souhaité, parce qu’explique le roi, « il est plus que tout autre au courant des projets et maximes du cardinal ».

MINISTRE DU ROI ET DE LA REINE

Là où Richelieu était cassant, parfois brutal et intransige­ant, Mazarin est plus diplomate, plus enclin à favoriser la concorde. À plusieurs occasions, il conseille au roi d’être magnanime et d’accorder son pardon, comme à Gaston d’Orléans. Louis XIII lui accorde rapidement sa pleine confiance, peut-être même de façon plus entière qu’à Richelieu face auquel il s’était toujours senti inférieur et dont il jalousait l’intelligen­ce écrasante. Mazarin s’attache d’ailleurs à ne pas être un second Richelieu et à imprimer sa marque. Les relations semblent ainsi plus simples, plus naturelles avec Mazarin, dont il fait le parrain du futur Louis XIV. Le roi, sentant ses derniers jours arriver, organise sa succession et la régence autour de la reine, en lui adjoignant un Conseil présidé par Mazarin. À la mort du roi le 14 mai 1643, Anne d’Autriche fait aussitôt casser son testament en s’adressant au Parlement, et se déclare régente de pleine autorité. À la stupéfacti­on générale, elle fait appel à Mazarin, la « créature » de Richelieu. Si elle redoute les deux hommes, bien consciente de ses lacunes, Anne d’Autriche a la sagesse de s’appuyer sur le conseiller le plus compétent qu’elle connaisse. Sa priorité est désormais, en tant que régente, de préserver l’autorité royale et de la transmettr­e intacte voire grandie à son fils. Et c’est grâce à Mazarin que la régente va prendre cette nouvelle

envergure. « Sa confiance en Mazarin était totale, écrit JeanFranço­is Solnon (Histoire des favoris, éd. Perrin). Lui seul maîtrisait les arcanes de la politique internatio­nale, lui seul avait l’expérience des institutio­ns et des hommes de gouverneme­nt. En outre il n’était lié à aucune coterie […] et ne dépendait que de la régente. » Ambitieux, avide de pouvoir, mais serviteur loyal et fidèle, Mazarin accepte le marché. La régente lui confie un certain champ d’action où elle se sent moins habile, et ils se répartisse­nt ainsi le pouvoir. Son ministre lui apporte non seulement des conseils, mais également lui permet de prendre confiance en elle, d’asseoir son autorité et sa légitimité. Il fait son éducation politique comme il fera celle de Louis XIV.

DE MINISTRE À FAVORI… De cette entente politique allait bientôt naître une véritable complicité intellectu­elle et même personnell­e.

La confiance de la reine n’avait guère de limites, puisqu’elle lui confie jusqu’à l’intendance de sa propre maison comme de celle de l’éducation du roi et de son frère. Refusant de se priver un instant de ses conseils, la régente fait même installer le cardinal auprès d’elle, au PalaisRoya­l.

Ces faveurs, cette intimité, et la séduction et le charme de ces deux personnage­s, attisent les soupçons d’une liaison. Certaineme­nt ont-ils partagé de la tendresse et de l’affection, mais la dévotion de la reine a certaineme­nt dû empêcher toute faveur plus physique. Mazarin ne cesse pourtant d’être son ministre, dont elle apprécie les compétence­s, sans pour autant hésiter à marquer leurs divergence­s. La régente est

plus dure, plus intransige­ante, craignant en cédant sur son autorité royale, de l’amoindrir et de la fragiliser. Mazarin est plus diplomate, plus enclin à la négociatio­n. Mais il sait également lui conseiller la fermeté, comme lorsqu’il la convainc de faire arrêter Condé lors de la Fronde.

… ET DE NOUVEAU MINISTRE

Pour protéger l’autorité royale et calmer l’opinion et les Grands, Anne d’Autriche consent à se séparer de Mazarin, qui s’exécute pour le bien du royaume.

Mais avec la fin de la régence de minorité lorsque Louis XIV atteint ses 13 ans, Mazarin revient d’exil. Il exerce ses talents de diplomate lors de la négociatio­n de la paix des Pyrénées, et noue des relations presque paternelle­s avec le roi dont il devient le mentor. Le jeune Louis XIV lui est très attaché, recherche sa compagnie tous les jours, le consulte en toute affaire et partage avec lui une vraie complicité intellectu­elle.

« Mazarin serait-il le favori du jeune roi ? S’interroge JeanFranço­is Solnon. Un favori ordinaire aurait infantilis­é le prince. Mazarin, tout au contraire, le prépare à régner. » Le ressort de leur relation est double : l’affectif et la plus grande estime. Et s’il exerçait son influence en toute loyauté, Mazarin savait le danger d’être entouré de mauvais favoris, dénués comme par le passé de véritables compétence­s. Sur son lit de mort, il enjoint donc le jeune roi de ne jamais avoir de favori après sa disparitio­n. Ainsi Louis XIV allait-il tenir plus de cinquante ans cette résolution ferme proclamée le lendemain de la mort du cardinal le 10 mars 1661 : « Jusqu’à présent, j’ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu M. le Cardinal ; il est temps que je gouverne par moi-même. » ∫

 ?? ?? Portrait du cardinal Jules Mazarin (16021661) avec, en arrière-plan, le château de Vincennes, de Philippe de Champaigne (1602-1674).
Portrait du cardinal Jules Mazarin (16021661) avec, en arrière-plan, le château de Vincennes, de Philippe de Champaigne (1602-1674).
 ?? ?? Arrestatio­n du conseiller Broussel, le 26 août 1648, de Jean-Paul Laurens (1838-1921). Membre du Parlement de Paris (vers 15751654), son arrestatio­n par Mazarin. entraîne des émeutes et la journée des barricades, qui marque le début de la Fronde.
Arrestatio­n du conseiller Broussel, le 26 août 1648, de Jean-Paul Laurens (1838-1921). Membre du Parlement de Paris (vers 15751654), son arrestatio­n par Mazarin. entraîne des émeutes et la journée des barricades, qui marque le début de la Fronde.
 ?? ?? Célébratio­n du mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche, le 9 juin 1660, de Jacques Laumosnier (vers 1669-vers 1744). Cette union scelle la fin de vingt-cinq ans de guerre entre la France et l’Espagne.
Célébratio­n du mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche, le 9 juin 1660, de Jacques Laumosnier (vers 1669-vers 1744). Cette union scelle la fin de vingt-cinq ans de guerre entre la France et l’Espagne.
 ?? ?? Portrait d’Anne d’Autriche, reine de France (1601-1666) et le dauphin Louis XIV enfant (16381715), peinture de l’école française, avant 1643.
Portrait d’Anne d’Autriche, reine de France (1601-1666) et le dauphin Louis XIV enfant (16381715), peinture de l’école française, avant 1643.
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 ?? ?? Entrevue de Louis XIV et de Philippe IV d’Espagne dans l’île des Faisans, le 7 juin 1660, de Jacques Laumosnier. C’est lors de cette rencontre que le mariage avec MarieThérè­se est acté.
Entrevue de Louis XIV et de Philippe IV d’Espagne dans l’île des Faisans, le 7 juin 1660, de Jacques Laumosnier. C’est lors de cette rencontre que le mariage avec MarieThérè­se est acté.

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