OÙ EST PASSÉ MONTAIGNE ?
Né et mort en Dordogne, Montaigne est pourtant la grande figure de Bordeaux, dont il fut magistrat pendant treize ans, puis maire pendant quatre ans, de 1581 à 1585. Si on connaît bien sa vie, on ne sait toujours pas avec certitude où se trouve sa sépulture, malgré la récente découverte d’un étrange cercueil de plomb. Où est enterré Michel de Montaigne ? Pendant un siècle, la réponse paraissait simple.
Son monument funéraire trônait à la faculté des Sciences et des Lettres de Bordeaux, au milieu du hall. Les étudiants venaient caresser les pieds du gisant les jours d’examen pour qu’ils leur portent chance.
UN CORPS EN MOUVEMENT Or, il ne s’agit pas d’un tombeau, mais d’un cénotaphe, monument vide à la mémoire du philosophe, que fit édifier sa femme Françoise de La Chassaigne en 1593 par les sculpteurs Prieur et Guillermain.
Son coeur est prélevé à sa mort pour être déposé dans l’église de son village, Saint-Michel-de-Montaigne, comme le veut la coutume à l’époque. Son corps prend place dans la chapelle du couvent des Feuillants à Bordeaux, qui devient lycée en 1802. La sépulture est alors transférée dans la chapelle de l'établissement. En 1871, la chapelle brûle. La dépouille est déménagée au dépositoire du cimetière de la Chartreuse... pour revenir à nouveau en 1886 dans le lycée devenu faculté. Quand le musée d’Aquitaine prend la place de
la faculté au début des années 1980, voilà plus d’un siècle qu’on n’a pas touché au tombeau. Le temps passe. Jusqu’à la restauration du cénotaphe et son inauguration en mars 2018. La question ressurgit, inévitable, dans la bouche du maire de l’époque, Alain Juppé : sait-on enfin où se trouve le corps de Montaigne? En 2019, Laurent Védrine, directeur du musée, s’intéresse à un mur derrière des étagères dans les sous-sols du musée. Derrière une dalle apparaît un tombeau, avec à l’intérieur, comme le dévoilent d’abord des caméras, un cercueil en bois portant l’inscription « Michel Montaigne ». À l’intérieur, un cercueil en plomb.
CHEVEUX ET POILS DE BARBE En septembre 2020, des chercheurs en combinaison stérile ouvrent le cercueil en plomb avec d’infinies précautions.
Le contenant révèle les restes d’un corps d‘1,60 mètre, taille approximative du philosophe, quelques cheveux et quelques poils de barbe, des bouts de tissus, des petits points noirs qui s’avèrent être des insectes momifiés. Un tube en plomb, retrouvé à côté du cercueil en bois,
accouche d’un papier daté du 11 mars 1886 sur lequel est inscrit: « Procès-verbal de translation des restes de Michel Montaigne », mentionnant le dépôt de la sépulture dans la crypte spécialement construite dans le vestibule de la faculté. Tout semble concorder, mais il faut se méfier des évidences. La dépouille de Montaigne a bougé à plusieurs reprises, il n’est pas absurde de penser qu’il y ait pu avoir confusion lors d’une étape, notamment en 1886 quand a été donné le permis d’inhumer dans la faculté. Alors, comment savoir? Les archéo-anthropologues ont plusieurs techniques à leur disposition: la modélisation du crâne en 3D pour établir une sorte de portrait-robot; un prélèvement génétique pour déterminer l’ADN, à comparer avec celui des descendants de Montaigne; l’examen du sternum pour déceler s’il y a eu prélèvement du coeur, et le passage au tamis des restes humains contenus dans le cercueil pour chercher la trace de calculs rénaux, maladie dont souffrait le philosophe. Ces recherches multidisciplinaires n’ont pas encore révélé l'identité de l’occupant du cercueil. Plus de quatre siècles après la mort de Montaigne, le mystère persiste. Rien d’étonnant pour un homme qui revendiquait le doute comme base de tout travail philosophique. ∫