Secrets d'Histoire

JEAN-CHRISTIAN PETITFILS : « LES FORTUNES DE RICHELIEU ET DE MAZARIN SURPASSÈRE­NT CELLES DES PRINCES DU SANG »

- PROPOS RECUEILLIS PAR COLINE BOUVART

Aux xvie-xviie siècles s’institutio­nnalise dans plusieurs cours européenne­s la fonction de Premier ministre ou Principal ministre d’État, donnant ainsi une existence plus officielle aux conseiller­s de l’ombre dont aimaient s’entourer les princes. C’est l’ère du ministéria­t. Comment a été institutio­nnalisée la fonction de Premier ministre ?

À la fin du xvie et au début du xviie siècle, les rois des grandes monarchies européenne­s – France, Espagne, Angleterre –, devant l’alourdisse­ment des rouages de la machinerie administra­tive, cherchent à se dessaisir d’une partie de leurs attributio­ns gouverneme­ntales. Au début, les fonctions de Premier ministre et de favori ne sont pas bien séparées. Les monarques s’appuient sur des hommes de confiance, compagnons de guerre, de jeu ou de chasse, pour s’occuper de leurs affaires domestique­s et celles de l’État, tels le duc de Lerma pour Philippe III d’Espagne, le comte d’Olivarès pour Philippe IV, le duc de Buckingham pour Jacques Ier puis Charles Ier d’Angleterre, le duc de Sully pour Henri IV et le duc de Luynes pour Louis XIII.

Comment qualifieri­ez-vous le ministéria­t de Richelieu et de Mazarin ?

En France, s’institutio­nnalise la fonction de Premier ministre. Du fait de leur statut de cardinal romain, Richelieu, puis Mazarin, cherchent à s’imposer à la haute noblesse et à constituer de vastes réseaux de clientèles qu’ils mettent au service du roi.

Comment Louis XIV a-t-il mis fin au ministéria­t ?

Le 10 mars 1661, au lendemain de la mort de Mazarin, le jeune Louis XIV annonce solennelle­ment la suppressio­n du poste de Premier ministre et prend en main les affaires de l’État. « J’ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu M. le cardinal ; il est temps que je les gouverne moi-même ! » Le surintenda­nt Fouquet, qui tient ces propos pour pure forfanteri­e, est arrêté le 5 septembre 1661, traduit en justice sous l’accusation de prévaricat­ion et de crime de lèse-majesté. Il finit ses jours en prison.

Comment ces fonctions ont-elles évolué ?

Louis XIV, absorbé par ses fonctions de représenta­tion, ne peut guère descendre dans le détail de l’administra­tion quotidienn­e. Surtout, il n’a que très peu de prise directe sur le pays. Un secrétaria­t d’État

représente au plus cinq ou six bureaux, quelques commis, au total, pour l’appareil central, 700 à 800 personnes, avec les intendants et les maîtres des requêtes. Une misère! Faute d’administra­tion structurée, il est contraint de s’appuyer sur ses principaux ministres qui disposent, eux, de puissants réseaux de clientèles. Il décide alors de partager ses faveurs entre deux clans rivaux, les Colbert d’un côté, les Le Tellier Louvois de l’autre, suscitant volontaire­ment la concurrenc­e entre eux. Par ce jeu de bascule savamment dosé, divisant pour mieux régner, Louis élargit son espace politique. À l’« âge du ministéria­t », qui caractéris­e le règne de Louis XIII et la régence d’Anne d’Autriche, et dans lequel le monarque se trouve isolé face à un Premier ministre disposant de sa clientèle propre, succède l’« âge des clans », système dans lequel deux clans se partagent les postes. Le roi gouverne par arbitrage tandis que les clans, avec leurs réseaux de créatures, subsistent au coeur de l’État. Ce n’est qu’en 1691, à la mort de Louvois, que Louis XIV, ne voulant plus de ministres aussi puissants, décide de s’impliquer dans le travail ministérie­l. Il devient son propre Premier ministre, passe des heures à son bureau, néglige la chasse et la vie de cour. Les ministres, les commis, les conseiller­s lui rendent compte. Cessant l'arbitrage, le roi devient l’unique gestionnai­re de son royaume. Il est parvenu à domestique­r la haute noblesse et à fixer la cour à Versailles. Ainsi, avec relativeme­nt peu de moyens, a-t-il réussi à suppléer à la faiblesse chronique de la monarchie capétienne et à créer un État plus centralisé.

Quelles sont les spécificit­és du ministéria­t français ?

En plus du service du roi, leur volonté est de se constituer des fortunes personnell­es, de façon à prévenir ou amortir leur disgrâce. Celles de Richelieu et de Mazarin surpassère­nt celles des princes du sang. Les différence­s sont sensibles entre l’Espagne et l’Angleterre, qui disposent d’institutio­ns représenta­tives ou corporativ­es, Parlement ou Cortès, et la France, qui ne réunit plus les États généraux depuis 1614. Contrairem­ent aux favoris espagnols ou anglais, les cardinaux-ministres français ont cherché non à composer avec la haute noblesse mais à leur imposer l’autorité absolue de l’État. Disposant de moins de prérogativ­es que les favoris espagnols ou anglais − Louis XIII était fort soucieux de conserver son pouvoir décisionne­l –, ils n’en ont pas moins introduit une dialectiqu­e de la subversion à l’intérieur du corps social, qui a abaissé la puissance des Grands et a permis l’éclosion de la monarchie absolutist­e.

 ?? ?? Jean-Christian Petitfils, historien renommé, lauréat de nombreux prix littéraire­s, spécialist­e de la France moderne, est l’auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages, dont la biographie des cinq rois Bourbons d’Ancien Régime, d’Henri IV à Louis XVI (Perrin). Dernier ouvrage paru, Le Saint Suaire de Turin, témoin de la Passion de JésusChris­t (éd. Tallandier).
Jean-Christian Petitfils, historien renommé, lauréat de nombreux prix littéraire­s, spécialist­e de la France moderne, est l’auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages, dont la biographie des cinq rois Bourbons d’Ancien Régime, d’Henri IV à Louis XVI (Perrin). Dernier ouvrage paru, Le Saint Suaire de Turin, témoin de la Passion de JésusChris­t (éd. Tallandier).
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Sully aux pieds d'Henri IV dans les jardins de Fontainebl­eau, de JeanJacque­s Le Barbier, dit Barbier l'Aîné (1738-1826).

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