Secrets d'Histoire

JEAN-FRANÇOIS SOLNON : « IL N’Y A PAS D’ÉCOLE AU MÉTIER DE ROI, LES FUTURS SOUVERAINS ONT BESOIN DE MODÈLES »

Si le ministéria­t institutio­nnalise et donne une existence plus officielle aux conseiller­s intimes des règnes précédents, les ressorts de leur influence sont constants tout en étant infiniment personnels.

- PROPOS RECUEILLIS PAR COLINE BOUVART

Jean-François Solnon, professeur émérite d’histoire moderne à l’université de Besançon, est un fin connaisseu­r de l’Ancien Régime. Il a notamment publié Histoire des Favoris, Anne d’Autriche, Versailles - Vérités et légendes, Les Couples royaux dans l'histoire - Le pouvoir à quatre mains et Le Goût des rois, aux éditions Perrin.

Qu’est-ce qui distingue les conseiller­s privés des favoris ?

Le mot-clé, c’est l’intimité. Il n’y en a pas avec un ministre. Lorsque j’ai commencé à étudier la question des favoris, j’ai réalisé qu’il n’en existait pas de définition: les historiens ont souvent considéré que cela appartenai­t à la petite histoire et préféraien­t se concentrer sur les institutio­ns officielle­s. Mais ils ont eu un rôle crucial auprès des princes. Je me suis demandé si par exemple Sully ou Fleury étaient des favoris. Il ne me semble pas, car ils ne partageaie­nt pas d’intimité avec le souverain, ne vivaient pas sous le même toit. Le favori va ainsi régler l’agenda du roi ou de la reine, et autoriser ou interdire l’accès au souverain. Et de cette intimité découle une délégation du pouvoir monarchiqu­e. Cette dernière peut être plus ou moins ample, elle peut disparaîtr­e, revenir : chaque histoire est en réalité unique puisqu’elle est infiniment personnell­e.

Que recherchen­t les puissants auprès de leurs ministres ou favoris ?

Les sortir de la solitude du pouvoir. Pour certains, cette charge est un fardeau presque insupporta­ble, quand ils ne sont pas tout simplement incapables de l’assumer comme Christian VII de Danemark ou Philippe IV d’Espagne. Louis XIII, quant à lui, se débarrasse de Concini, mais reprend tout de même un autre favori, Luynes… Louis XIII était très seul. Il ne pouvait s’appuyer ni sur sa mère contre laquelle il a passé son temps à faire la guerre, ni sur sa femme

qui l’impression­ne par sa beauté, ni être tout à fait libre avec Richelieu qui le foudroie par son intelligen­ce et dont il est jaloux. Il tente donc de gouverner seul avant de réaliser qu’il ne peut y parvenir.

Quelles sont les limites de l’influence de ces favoris ?

Leur convoitise pour le pouvoir ne peut se réaliser tout à fait en raison du caractère sacré du pouvoir du monarque. Leur influence et leur sens politique peuvent être très grands : Struensee, Potemkine et même Olivares qui fut l’une des plus grandes figures politiques et diplomatiq­ues européenne­s de son temps, étaient soucieux de bien gouverner. Ils ont oeuvré au service de l’État. Et la limite évidente de leur pouvoir est la volatilité de leur faveur, sans compter qu’ils servent de fusible au souverain en cas de crise.

Y a-t-il une spécificit­é française ?

Oui, elle est double. En France, les souverains ont été contraints d’avoir des favoris : Louis XIII devient roi en perdant son père à 9 ans, il a besoin d’être aidé, formé, accompagné. Il n’y a pas d’école au métier de roi, les souverains l’apprennent en observant leur grand-père, leur père l’être. Quand ils en sont privés trop jeunes, ils ont besoin d’autres modèles. Et en France, le roi ou la reine restent maîtres du jeu, fidèles à la nature même de la monarchie et de leur pouvoir. Il n’y a jamais d’absolue délégation de pouvoir comme cela a pu s’observer ailleurs.

Quelles figures vous ont semblé particuliè­rement intéressan­tes ?

J’étais surpris que Pierre le

Grand, tsar absolu de toutes les Russies, ait pu déléguer son pouvoir à un autre homme, Menchikov. J’ai été également un peu troublé en partant sur les traces de Struensee au Danemark. Potemkine est fascinant et son influence sur Catherine II sur la question de l’Ukraine a encore des échos aujourd’hui. Enfin l’amitié surprenant­e entre Victoria et Disraeli : il n’y avait rien d’amoureux, mais beaucoup de respect et d’estime.

Ils se voyaient avec plaisir. Et c’est lui qui a eu l’idée de lui faire remettre les fameuses boîtes rouges contenant les dépêches diplomatiq­ues. Au final, tous ces hommes et ces femmes prouvent que l’Histoire doit s’incarner, car le pouvoir être extrêmemen­t personnali­sé. ∫

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 ?? ?? Paix avec honneur - La reine Victoria (1819-1901) avec Benjamin Disraeli (1804-1881) suite à la signature du traité de Berlin en 1878, de Theodore Blake Wirgman (1848-1925).
Paix avec honneur - La reine Victoria (1819-1901) avec Benjamin Disraeli (1804-1881) suite à la signature du traité de Berlin en 1878, de Theodore Blake Wirgman (1848-1925).

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