Napoléon, l’exil et la mort
« Il est six heures moins onze minutes. Napoléon touche à sa fin ; ses lèvres se couvrent d’une légère écume. Il n’est plus. » Par ces mots, le docteur François Antommarchi relate la mort de l’empereur qu’il a accompagné dans ses derniers instants. Grâce à son témoignage et à ceux des compagnons d’exil de l’empereur déchu, ses derniers jours sont parvenus jusqu’à nous.
Il n’est plus désormais « que » le général Bonaparte et passe les dernières années de sa vie sur l’île de Sainte-Hélène, où il est relégué à l’exil depuis le 17 octobre 1815. Perdue au beau milieu de l’océan Atlantique Sud, cette terre, qui pourrait paraître paradisiaque en d’autres circonstances, est en réalité une prison naturelle pour Napoléon qui, littéralement, s’y ennuie à mourir. Soumis à la surveillance étroite du gouverneur anglais sir Hudson Lowe, avec qui il entretient de très mauvaises relations, le prisonnier occupe son temps comme il peut : lectures, dictée de ses mémoires, conversa-
tions… Son état de santé, qui est un sujet de préoccupation majeur depuis l’automne 1820, se dégrade fortement en mars 1821. Débute alors une longue agonie qui prendra fin le
5 mai 1821. L’empereur succombe au cancer de l’estomac qui le ronge depuis des mois, ainsi que le veut la version officielle de l’Histoire.
Agonie et lamentations
Dans ses mémoires, Les Derniers Moments de Napoléon, le docteur François Antommarchi a relaté l’évolution de l’état de santé mais aussi de l’état d’esprit de l’illustre malade. Le médecin a également recueilli le témoignage des compagnons d’exil de l’empereur. Ses écrits traduisent précisément le dépérissement. « Sa physionomie exprime l’abattement, ses yeux sont enfoncés, livides, presque éteints » et nombreuses sont les nuits où il ne parvient pas à dormir, tant il souffre. À la lecture du document, on comprend aussi que le patient n’est pas facile et s’obstine à refuser les médicaments. Au point que Louis Joseph Marchand, son fidèle premier valet, est obligé d’user de subterfuges dans l’espoir vain de le sauver. Même au plus mal, Napoléon garde son humour et… sa rancune à l’égard des Anglais qui l’ont défait à Waterloo : « Je veux, j’exige que vous me promettiez qu’aucun Anglais ne portera la main sur moi », commande-t-il à qui veut l’entendre. Il n’a rien perdu de sa superbe mais il est conscient du pathétique de sa situation au regard de ses exploits passés. Ses lamentations qui, par certains côtés, évoquent celles des héros des épopées antiques, le prouvent : « Ah ! pourquoi, puisque je devais perdre la vie d’une manière aussi déplorable, les boulets l’ont-ils épargnée ? » Il est soucieux, surtout, de ne rien laisser au hasard après lui : il envisage la manière dont se dérouleront son autopsie et ses funérailles, pense à la répartition de ses biens, s’inquiète du sort futur de ses proches.
Des adieux déchirants
Le 5 mai 1821 est donc le dernier jour de Napoléon. Des signes à la hauteur de son destin exceptionnel l’auraient annoncé. Une comète est apparue dans les jours précédents ; n’estce pas le même présage qui avait devancé la mort de César ? La veille, une tempête s’est déchaînée, comme si les éléments en colère se révoltaient contre l’inéluctable. À l’heure du Grand Départ, l’empereur se trouve dans sa demeure de Longwood, où le salon a été transformé en chambre. Sur la cheminée est placé le buste d’un enfant, le sien : le fils que Marie-Louise lui a donné. Alors qu’il vient de prononcer ses derniers mots – « tête… armée », selon les témoins –, madame Bertrand et ses enfants lui font leurs adieux. Le docteur Antommarchi décrit ce spectacle déchirant : « d’un mouvement commun, ils s’élancent vers le lit, saisissant les deux mains de l’empereur, les baisent en sanglotant et les couvrent de pleurs. » Napoléon expire peu après. Le comte Henri Gatien Bertrand salue ainsi celui dont il fut le compagnon d’exil : « Le canon de la retraite se fait entendre, le soleil disparaît dans des flots de lumière. C’est aussi le moment où le grand homme qui domina le monde de son génie va s’envelopper dans la gloire immortelle… Sa bouche légèrement contractée donne à sa figure un air de satisfaction. » François-René de Chateaubriand, dans les
Mémoires d’outre-tombe, est tout aussi lyrique et émouvant : « Enfin, le 5 (mai 1821, ndlr), à six heures moins onze minutes du soir, au milieu des vents, de la pluie et du fracas des flots, Bonaparte rendit à Dieu le plus puissant souffle de vie qui jamais anima l’argile humaine. »
Derniers voyages
Conformément à la volonté de Napoléon, une pièce de Longwood House est transformée en chapelle ardente. Ses proches pourront lui rendre hommage avant que l’autopsie ne soit pratiquée. Les troupes, tout comme la population, se pressent aussi pour se recueillir devant son corps, surveillé de très près, tant par les Anglais que par les Français. Une fois l’autopsie effectuée, on revêt au défunt sa dernière tenue : caleçon, culotte et gilet blancs, cravate blanche surmontée d’une cravate noire, grand cordon de la Légion d’honneur, uniforme de colonel de chasseurs de la garde, longues bottes à l’écuyère, chapeau à trois cornes. Un moulage mortuaire est effectué : ce sera l’unique exemplaire du portrait post-mortem de Napoléon. Contrairement au souhait qu’il avait formulé dans son testament, l’empereur ne peut être enterré en France, au bord de la Seine, le gouverneur Lowe ayant reçu l’ordre de retenir la dépouille sur l’île. Le 9 mai, il est donc inhumé, en grande pompe, dans la vallée du Géranium où il aimait se promener. Il y reposera près de vingt années puis, en juillet 1840, sera rapatrié. Ses restes voyageront vers Paris jusqu’en décembre de la même année. Mais ça, c’est une autre histoire…
« (…) Au milieu des vents, de la pluie et du fracas des flots, Bonaparte rendit à Dieu le plus puissant souffle de vie qui jamais anima l’argile humaine. »