Secrets d'Histoire

Un bonheur de courte durée

Après seize années de concubinag­e, Alice devient enfin madame Monet. À la tête de sa tribu, elle peut alors savourer le travail accompli. Les enfants ont grandi, son peintre connaît la renommée. Et pour la première fois, il va même l’emmener en voyage !

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Un bonheur paisible s’est installé dans les jardins de Giverny. Alice se sent enfin reconnue dans son rôle de compagne, Monet dans sa vocation de peintre : ses toiles commencent à se vendre à un bon prix. La notoriété est là, notamment avec ses séries, sur lesquelles il travaille depuis les années 1890 (Les Meules, Les Peupliers, la série sur la Cathédrale de Rouen). Son jardin, qu’il ne cesse d’embellir, est une source perpétuell­e de joie. En 1897, Blanche, la fille d’Alice et Ernest, épouse Jean, le fils aîné de Claude et de Camille. Une union qui soude encore plus les liens de cette famille décidément à part.

Derniers voyages Hélas ! Le bonheur sera de courte durée. En 1899, Suzanne meurt à 30 ans, laissant deux jeunes enfants à son mari. Alice tombe malade. Elle ne se remettra jamais de la mort de sa fille.

La dépression s’installe peu à peu, minant cette femme qui fut pourtant si solide. Monet s’alarme et accepte enfin que sa « bonne vieille femme chérie » l’accompagne dans ses voyages : Londres en 1899, l’Espagne et Madrid en 1904, qu’ils rejoignent en Panhard car Monet est un passionné d’automobile­s. Fin 1908, ils font enfin le voyage des amoureux. C’est Venise, bien sûr, où il peint beaucoup, comme toujours fasciné par l’eau. Il en reviendra avec une quarantain­e de tableaux.

La mort d’un amour

Ironie cruelle du sort, c’est au retour de Venise qu’Alice commence à donner les signes de sa maladie, un cancer du sang et de la moelle. Sur les photos de leur voyage, le mal a déjà marqué son corps et son visage amaigris. Quelques mois plus tard, le 19 mai 1911, Alice s’éteint à 67 ans. Claude n’a pas fait venir le prêtre pour ne pas lui signifier sa fin prochaine. En réalité, ne voulait-il pas plutôt se protéger, lui, de cette terrible mais inéluctabl­e vérité ?

Un deuil insupporta­ble

À 71 ans, Claude a perdu celle qui le soutenait, qui l’encouragea­it dans les périodes de doute – il en a eu beaucoup, au vu des toiles qu’il a détruites dans ses accès de colère –, celle qui, il faut bien le dire, le maternait, lui qui a perdu sa mère adorée à 16 ans. Comment va-t-il aborder la dernière partie de sa vie ? Car d’autres épreuves l’attendent : la perte de son fils Jean en 1914 ; la guerre ; et, si terrible pour lui, la menace d’une double cataracte. Il va pourtant continuer à peindre, soutenu par sa belle-fille Blanche. À 50 ans, veuve elle aussi, celle qu’on a appelée « l’Ange bleu de Monet » consacre sa vie à son beau-père. Malgré la cataracte qui voile sa vue, il va peindre son chef-d’oeuvre, Les Nymphéas, en 19 panneaux, et les offrir à la France. Il meurt le 5 décembre 1926 dans les bras de son ami, Georges Clemenceau. Le jour de son enterremen­t, ce dernier arrache le drap noir qui recouvre le cercueil : « Non, pas de noir pour Monet ! » et le remplace par un rideau de cretonne fleurie. À l’ombre de la petite église Sainte-Radegonde de Giverny, Monet rejoint Alice, son fils Jean, Suzanne sa belle-fille et… Ernest ! Six mois plus tard, le musée Claude-Monet ouvre ses portes et la France salue un de ses grands artistes. Quel parcours pour celui qui, à ses débuts, peinait à vendre ses toiles et déménageai­t à la cloche de bois ! À cet homme qui doutait tant de lui, il aura fallu l’amour et le soutien indéfectib­le d’une femme, pour atteindre les sommets.

 ??  ?? À l’intérieur de l’ancien hôtel Baudy, restaurant-musée, lieu fréquenté par Cézanne, Renoir, Sisley, Rodin, Monet… a été reconstitu­é l’atelier du peintre.
À l’intérieur de l’ancien hôtel Baudy, restaurant-musée, lieu fréquenté par Cézanne, Renoir, Sisley, Rodin, Monet… a été reconstitu­é l’atelier du peintre.
 ??  ?? Le clos normand de la maison de Giverny. Monet, ce « fou de fleurs », entretenai­t avec passion son jardin.
Le clos normand de la maison de Giverny. Monet, ce « fou de fleurs », entretenai­t avec passion son jardin.
 ??  ?? En trente et une années, Monet a peint 250 panneaux de Nymphéas. Ici, en 1920.
En trente et une années, Monet a peint 250 panneaux de Nymphéas. Ici, en 1920.
 ??  ?? Entre Monet et Clemenceau, Blanche, la fille d’Alice (premier plan), prend la pose dans le jardin de Giverny.
Entre Monet et Clemenceau, Blanche, la fille d’Alice (premier plan), prend la pose dans le jardin de Giverny.
 ??  ?? Alice, place Saint-Marc à Venise, en octobre 1908. Dans les bois de Giverny : Blanche Hoschedé à son chevalet et Suzanne Hoschedé lisant (1887). Monet a souvent peint les filles d’Alice qui ont grandi avec lui.
Alice, place Saint-Marc à Venise, en octobre 1908. Dans les bois de Giverny : Blanche Hoschedé à son chevalet et Suzanne Hoschedé lisant (1887). Monet a souvent peint les filles d’Alice qui ont grandi avec lui.

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