Le constructeur Renault
C'est l'histoire d'une fratrie qui comptait un génie. L'invention de Louis Renault, aux premières lueurs du xxe siècle, a donné le jour à un géant de l'automobile. Une entreprise secouée, comme la France, par la guerre, les conflits sociaux et les mutations économiques. C'est l'histoire d'une voiture qui a transporté un pays.
Pour Renault, l'aventure a démarré sur les chapeaux de roues, à Noël 1898. Et ce n'est pas une image. Louis, 21 ans, cadet d’une famille de la bourgeoisie marchande parisienne, vient d'achever la construction d’un prototype révolutionnaire de voiturette. Il en a pris le volant, son frère Marcel assis à ses côtés, pour faire une entrée pétaradante à une fête de réveillon. Devant un parterre de convives ébahis, « Monsieur Louis », mis au défi, parvient à gravir la très pentue rue Lepic, sur le flanc de la butte Montmartre. Le soir même, il décroche douze commandes fermes ! Impressionné par l'invention de Louis, Marcel convainc leur aîné, Fernand, de la commercialiser. Ensemble, ils créent, le 25 février 1899, la société Renault Frères. Louis n’est que le salarié de l’entreprise :
La victoire sans appel de Marcel Renault, lors de la course Paris-Vienne de 1902, a d’énormes retombées commerciales.
il se consacre à la conception. Le premier modèle historique de la marque, la Renault Type A, est prêt au printemps 1899. Présenté au deuxième Salon de l’automobile de Paris, le véhicule attire l’attention d’une autre fratrie, elle aussi en passe de devenir célèbre : les Michelin, André et Édouard. En tout, soixante et onze commandes sont honorées cette année-là. Le moteur thermique monocylindre de 270 cm3 est un De Dion-Bouton, qui peut propulser la voiturette à la vitesse de 45 km/h. En parallèle, le « bolide » se fait remarquer en remportant des courses. Louis et Marcel s’y impliquent avec passion. Ces
compétitions sont une publicité efficace pour les constructeurs et la victoire sans appel de Marcel Renault, lors du Paris-Vienne de 1902, a d’énormes retombées commerciales. Le carnet de commandes flamble mais les réjouissances ne font pas long feu. Marcel, qui s’est alors complètement désengagé de l’entreprise de mercerie et de tissus paternelle pour se consacrer au développement de Renault Frères, se tue en participant au Paris-Madrid, en 1903.
De l’artisanat à l’industrie
Le décès, médiatisé, de Marcel Renault a un effet inattendu: il renforce la notoriété de la marque et les ventes grimpent exponentiellement. Renault s’implante en Angleterre, aux États-Unis et en Allemagne, par l’intermédiaire de filiales. La Belgique, la Suisse, l'AutricheHongrie, l'Espagne et l'Argentine constituent également des marchés porteurs. Très malade, Fernand, le frère aîné, se retire des affaires en 1908 ; il meurt quelques mois plus tard. En 1909, Louis demeure donc seul à la tête de l’entreprise, devenue entre-temps la Société des automobiles Renault. L'ingénieur autodidacte ne délaisse pas pour autant sa planche à dessins. Il développe une multitude d’inventions, notamment dans la motorisation. La marque innove en permanence, fabriquant même des moteurs d’avion. À ce foisonnement créatif, va succéder une période de rationalisation productive. Soucieux d’augmenter la rentabilité de son usine, Louis Renault s’intéresse de près à l’Américain Frederick Taylor, qui a théorisé l’organisation scientifique du travail – plus prosaïquement appelée le travail à la chaîne. Le Français instaure la décomposition et le chronométrage des tâches dans ses ateliers, ce qui ne va pas sans heurts ni conflits sociaux. En 1913, les ouvriers décrètent la grève. La réponse de Louis Renault est conforme à ses méthodes, arbitraires : la totalité du personnel est licenciée ! Il consent à réembaucher, un par un, ses employés, à la condition sine qua non qu'ils se plient à la nouvelle organisation…
L'impulsion militaire
Août 1914. Les temps sont à la mobilisation générale. Aux premiers jours de la Grande Guerre, le général Joseph Gallieni, gouverneur militaire, réquisitionne 630 taxis parisiens G7 pour acheminer quelque 3 000 soldats vers les champs de bataille de la Marne. Or, la compagnie G7 avait choisi des modèles Type AG de 8 chevaux, pour sa flotte : Renault entre de belle manière dans l’Histoire de France ! Et ce n'est pas tout. Pour répondre aux besoins de la défense nationale, le gouvernement exige du constructeur devenu incontournable qu’il le fournisse en armement. En 1917, la production en série du char d’assaut FT contribue dans une large mesure à la victoire de 1918. Pour Renault, le bilan industriel de la guerre est exceptionnel : la taille de son usine a quasiment été multipliée par 4, son chiffre d’affaires par 7. Le conflit achevé, la marque se recentre sur sa spécialité : les voitures. Or, sur ce terrain, un nouveau venu montre déjà qu'il en a sous le capot. Il s'agit d'André Citröen, qui applique les standards de fabrication américains moins timidement que son concurrent. Il peut afficher des prix nettement inférieurs. La démocratisation de l’automobile est en marche ! Pour rester dans la course, Louis Renault doit moderniser son outil de production. Cela passe, au début des années 1930, par la construction d'une usine géante à Boulogne-Billancourt, sur l’île Seguin. Citroën, qui ne peut pas suivre côté investissements, se fait distancer…
Le renouveau populaire
Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale signe le début de la fin pour Louis Renault. En 1940, ses usines, tout comme celles de Citroën et de Peugeot, sont réquisitionnées par l’Allemagne nazie. Alors que ses concurrents font tout pour saboter leur production, Louis Renault choisit de coopérer avec l’occupant. Accusé de collaboration économique, le dirigeant est placé en détention. Il meurt à la prison de Fresnes, le 24 octobre 1944. L’État nationalise ce fleuron de l’industrie française, en 1945. Sous la férule d'un nouvel administrateur,
Pierre Lefaucheux, la Régie nationale des usines Renault trouve un second souffle. Lefaucheux mise tout sur la production d’une voiture ultra-compacte, la 4 CV. Pari réussi ! Son prix réduit et ses quatre places assises lui assurent un succès immense. À l'heure des congés payés de masse, la 4 CV est hissée au rang de symbole de la liberté. Dès lors, Renault fait corps avec cette identité populaire, comme le prouvent ses modèles mythiques : la Dauphine de 1956, la R4 de 1961, la R5 de 1972, ou les Clio et Twingo des années 1990.
L'alliance stratégique
En 1969, la Régie dépasse le million de véhicules produits par an et devient la première entreprise de France. Toutefois, la fin des Trente Glorieuses et les crises pétrolières des années 1970 vont plonger le constructeur, devenu le Groupe Renault, dans une période difficile qui aboutit, en 1996, à la privatisation de l’entreprise. En parallèle, la robotisation et l’urbanisme ont raison des sites emblématiques de Billancourt et de l’île Seguin. Pour faire face, l'entreprise développe une stratégie d’alliances et de diversification de son activité (ingénierie, deux-roues, agriculture…). La stratégie finit par payer. Le tournant des années 2000, marqué par le rachat du Roumain Dacia et l’alliance avec les Nippons Nissan et Mitsubishi, achève de donner à Renault une stature internationale. En 2016, Renault-Nissan-Mitsubishi a écoulé 9,96 millions de véhicules à travers le monde, s'octroyant la première place des constructeurs automobiles mondiaux, devant l’Allemand Volkswagen et le Japonais Toyota.