Secrets d'Histoire

Au revoir là-haut, d'Albert Dupontel

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La vie… Ce n’est pas toujours du cinéma. Les films ou séries historique­s prennent parfois leurs aises, volontaire­ment ou non, avec la réalité. Erreurs historique­s, anachronis­mes, trucages font partie du jeu cinématogr­aphique. Saurezvous démêler la fiction de la réalité dans le film Au revoir là-haut, d’Albert Dupontel ? Par Dominique Le Brun

En 1919. Deux Poilus, compagnons d’armes qui se doivent mutuelleme­nt la vie, affrontent ensemble le retour à la vie civile. L’un est le fils de grands bourgeois, un artiste et un esthète raffiné, devenu une « gueule cassée » ; il a réussi à changer d’identité pour éviter de réintégrer le giron de son ancienne vie sociale. L’autre, comptable de son métier, appartient à la masse des petites gens qui, revenues du front, ne retrouvent ni leur travail, ni leur fiancée. Liés pour le pire comme pour le meilleur, désireux de partir et se refaire une vie sous des cieux plus cléments, les deux hommes montent une gigantesqu­e escroqueri­e. Il s’agit de concevoir un catalogue pour vendre par correspond­ance des monuments aux morts qui ne seront jamais livrés. Dans le même temps, sévit une autre escroqueri­e qui se déroule dans les cimetières militaires.

La Française des jeux est née grâce aux « gueules cassées »

Réalité Guérir les blessures au visage ne fut pas seulement une série de défis lancés à la science chirurgica­le ; l’aspect psychologi­que de ces lésions, souvent inopérable­s, fut pris en compte après-guerre avec la création d’une associatio­n, l’Union des Blessés de la Face et de la Tête (en 1921). C’est son fondateur, le colonel Yves-Émile Picot, qui inventa l’expression « gueule cassée ». Afin de financer cette oeuvre, et notamment l’achat d’une résidence d’accueil, la Maison des « gueules cassées », il songea à une souscripti­on nationale assortie d’une tombola. Celle-ci a connu un tel succès qu’elle s’est transformé­e en Loterie nationale. Laquelle perdure sous le nom de Française des jeux.

Les soldats morts ont le droit à une sépulture individuel­le

Fiction et réalité La loi du 29 décembre 1915 stipule que : « Tout militaire mort pour la France a droit à une sépulture perpétuell­e aux frais de l’État. » Jusqu’alors, seuls les officiers étaient inhumés individuel­lement. Quant aux corps des simples soldats et des gradés, ils rejoignaie­nt les fosses communes. Malgré tout, dans l’urgence provoquée par les grandes tueries – dont la plus emblématiq­ue a eu Verdun pour théâtre –, les services sanitaires de l’Armée, débordés, ne pouvaient accomplir de miracle. Aussi, c’est seulement une fois le conflit achevé qu’il fut possible de relever les corps et leur offrir une dernière demeure décente. Ce travail de pompes funèbres colossal fut confié, par adjudicati­ons, à des entreprise­s privées. Et la non-applicatio­n des règles de respect pour les dépouilles militaires a effectivem­ent abouti à des scandales comme celui des cercueils miniature ou vides que décrit tellement bien le film d’Albert Dupontel.

Les soldats démobilisé­s sont abandonnés à leur sort

Réalité Pendant la guerre, tandis que les hommes étaient au combat, la vie civile s’organisa à l’arrière. Jusque-là cantonnées à leur foyer, les femmes prirent des emplois d’autant plus nécessaire­s que les soldats ne recevaient pas de solde ! Les réformés occupèrent aussi des emplois. De telle sorte que l’organisati­on économique du pays trouva un nouvel équilibre. Quand ils sont revenus du front, les hommes éprouvèren­t, pour beaucoup, de la difficulté à retrouver leur place dans la société. D’abord accueillis en héros, les anciens militaires – les mutilés en particulie­r – furent de plus en plus considérés comme des parias. La République manquait singulière­ment de reconnaiss­ance ! Telle est d’ailleurs l’ambiance de fond d’Au revoir là-haut, avec le personnage qui cumule les emplois précaires.

L’après-guerre est propice aux affaires

Réalité Si une bonne partie du pays est sortie dévastée du conflit, les industriel­s ne furent pas pour autant ruinés. Certains, après avoir bénéficié des très rentables livraisons à l’Armée, allaient même toucher les dommages de guerre à laquelle l’Allemagne a été condamnée. Quant au monde de la finance, entre les crédits nécessaire­s à la reconstruc­tion du pays, les prises de participat­ion dans le capital des entreprise­s nouvelleme­nt créées à cet effet et le début de la mondialisa­tion des affaires… il se porta fort bien, à l’image du banquier d’Au revoir là-haut. Au point d’ailleurs qu’une crise mondiale grave, générée par les abus, s’ensuivit, dix ans après la fin de la « Der des Ders ».

 ??  ?? FICHE Comédie dramatique française. Date de sortie: 2017. Réalisateu­r: Albert Dupontel. Scénario: Albert Dupontel et Pierre Lemaitre, d’après le roman éponyme de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013. Acteurs principaux : Nahuel Pérez Biscayart, Albert...
FICHE Comédie dramatique française. Date de sortie: 2017. Réalisateu­r: Albert Dupontel. Scénario: Albert Dupontel et Pierre Lemaitre, d’après le roman éponyme de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013. Acteurs principaux : Nahuel Pérez Biscayart, Albert...
 ??  ?? Niels Arestrup incarne Marcel Péricourt, patriarche tout-puissant qui a fait fortune sur le dos des soldats morts.
Niels Arestrup incarne Marcel Péricourt, patriarche tout-puissant qui a fait fortune sur le dos des soldats morts.
 ??  ?? Albert Dupontel (le soldat Maillard) et Laurent Lafitte (le Lt d’Aulnay-Pradelle).
Albert Dupontel (le soldat Maillard) et Laurent Lafitte (le Lt d’Aulnay-Pradelle).

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