Secrets d'Histoire

Hautefaye, le village cannibale

- Par Dominique Roger

En 1870, dans un village de Dordogne, un homme est devenu la victime expiatoire d’une foule en furie. Frappé, torturé, lynché puis brûlé vif avant d’être finalement mangé, tel fut le supplice d’Alain de Monéys.

Il fait une chaleur torride en ce mardi 16 août 1870. C’est jour de foire à Hautefaye, un petit village d’à peine plus de cinquante âmes, situé dans l’arrondisse­ment de Nontron, au coeur du Périgord Vert. Comme chaque année, se tient la frairie annuelle de la Saint-Roch, moment de rassemblem­ent populaire et d’échanges marchands sur le foirail.

Monsieur Alain de Monéys, trentenair­e, est propriétai­re de la grande exploitati­on de Brétanges. Issu d’une bonne famille, intelligen­t et affable, respecté de tous, il est adjoint au maire Ce de Beaussac, la commune voisine. pour jour-là, il revêt un élégant costume et aller régler quelques affaires à la frairie de discuter des projets d’assainisse­ment la Nizonne, cours d’eau qui empoisonne très les communes riveraines. Une foule

– dense – entre 600 à 700 personnes des se presse du côté du parc à gorets, toutes deux auberges, et déborde dans bon les ruelles du village. L’ambiance est enfant même si les paysans, victimes et se de la sécheresse, font grise mine plaignent de faire de mauvaises affaires. avec Et puis, il y a cette maudite guerre les Prussiens qui fait vaciller dangereuse­ment l’empire de Napoléon III. Monéys les salue amis et connaissan­ces, écoute soucis et doléances de chacun. Bientôt, provocateu­r il aperçoit son cousin, le toujours haute Camille de Maillard, qui lit à L’Écho voix devant une petite assemblée de de la Dordogne, où l’on relate l’échec de l’armée française à la récente bataille Reichshoff­en. Les esprits s’échauffent, on conteste la véracité des événements par rapportés. Camille de Maillard finit En se prendre la poudre d’escampette. sauvant, il aurait poursuivi la provocatio­n en criant : « Vive la République ! »

le Alain de Monéys cherche à calmer affirment jeu. En pure perte. Les paysans l’avoir qu’ils sont certains de

Vive la entendu, lui aussi, crier : « République ! » Dans l’excitation générale, Les il est accusé d’avoir soutenu la Prusse. insultes fusent. Monéys a beau s’époumoner

! », les avec des : « Vive l’empereur l’air coups s’abattent sur lui. En un éclair, maire, saturé d’électricit­é s’embrase. Le s’escriment le curé et une poignée d’amis fidèles à protéger l’édile de la vindicte paysans, populaire. Impossible. Par dizaines, femmes, jeunes et vieux frappent, lacèrent, brisent, massacrent Monéys. fers On va même jusqu’à lui poser des comme à un cheval! Son abominable qu’il calvaire dure plusieurs heures, avant Par ne soit brûlé sur la place publique. aurait peur autant que par dépit, le maire lancé aux paysans en furie : « Mangez-le, dans si vous voulez ! » Ce n’est pas tombé d’entre l’oreille de sourds: bon nombre eux s’exécuteron­t.

Si plusieurs dizaines se déchaînère­nt ce jour-là contre Monéys, seuls une vingtaine d’habitants de Hautefaye et des communes toutes proches sont poursuivis devant la justice. Hébétés et repentants, ils ne sauront que répéter lors du procès: « Pourquoi a-ton fait ça ? »

Le verdict de la cour d’assises de la Dordogne, sous la présidence du juge Brochon, tombe le 21 décembre 1870 : « Ont été condamnés Chambord François, Buisson Pierre, Léonard François (dit Piarrouty), Mazière François, à la peine de mort. Leur exécution aura lieu sur la place publique de Hautefaye.» peines Les autres accusés écopent de perpétuité), de travaux forcés (de cinq ans à Nou, de relégation au bagne de en Nouvelle-Calédonie, et d’emprisonne­ment. est Un seul, Pierre Delage,

5 ans ! acquitté en raison de son âge : il a divers, Plus qu’un épouvantab­le fait de violence Hautefaye a été le cadre d’un rite

: collective, vieux comme le monde l’exorcisme d’une peur, en concentran­t haine et colère contre le malheureux siècle désigné comme bouc émissaire. Un est plus tard, le 16 août 1970, une messe donnée en souvenir de cette tragédie. Descendant­s de bourreaux et de victimes se sont unis dans la prière. Hautefaye, par toutefois, reste marqué à jamais que le « ce jeu si laid qu’il n’y a guère plus l’écrit diable pour en profiter », comme à Jean Teulé dans le livre qu’il a consacré l’affaire : Mangez-le, si vous voulez.

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