Stéphane Bern : « L’amour ne jouait aucun rôle dans les mariages royaux »
Le mariage était une ligne de plus dans la liste des devoirs d’un souverain, qui devait faire taire son coeur au nom de la raison d’État. Cependant, une union arrangée pouvait donner naissance à une belle histoire.
Est-il arrivé que les mariages royaux aient été des mariages d’amour ? Certaines unions royales ont été heureuses. Leur vocation première, toutefois, n’était pas d’assurer le bonheur personnel du monarque : celui du peuple était plus important. C’était des mariages arrangés, où l’amour ne jouait aucun rôle. Ils n’étaient noués que pour agrandir le royaume, sceller des alliances diplomatiques ou remplir les caisses de l’État ! Quand on pense à Anne de Bretagne qui épouse deux rois de France, ou à Aliénor d’Aquitaine qui se marie au roi de France puis à son ennemi juré, le roi d’Angleterre, on voit bien que l’Histoire dépasse souvent la fiction !
Pouvez-vous nous donner des exemples de mariages royaux heureux ?
Je trouve celui de LouisPhilippe et MarieAmélie très touchant. C’est un très bon mariage. Il est premier prince du sang, elle est princesse de BourbonSicile. Elle est mieux née que lui. Au début, Louis d’Orléans souffre d’ailleurs de vexations liées au protocole : il est Altesse mais, elle, est Altesse Royale. Ainsi devant lui, on ouvre les portes à un battant ; devant elle, à deux. Cependant, c’est un mariage heureux. La Révolution est passée par là… C’est un couple bourgeois dans son fonctionnement, un peu à la mode anglaise. Ils dorment ensemble, accompagnent les enfants à l’école. C’est un vrai couple ! Napoléon et Joséphine sont également fascinants. C’est une femme brillante, une « star » du Directoire, que le jeune caporal a ardemment désirée et voulue : une « femme trophée ». Pourtant, il n’a de cesse de vouloir la répudier pour épouser MarieLouise et avoir un héritier. Assez ironiquement, ce sont les enfants de Joséphine qui font souche et dont descendent de nombreuses familles royales européennes.
Une tradition voulait que les futures reines venues de l’étranger abandonnent tout, en franchissant la frontière…
Oui, c’était très fréquent : par exemple, sur la Bidassoa pour les infantes ou à la frontière lorraine pour MarieAntoinette. Après le mariage par procuration, la reine rejoignait la Cour et rencontrait alors pour la première fois son époux. En passant la frontière, elle avait abandonné amis, habits, affaires…, ainsi que les dames de la Cour avec qui, souvent, elle a grandi. On a même séparé MarieAntoinette de son chien. Un détail cruel, les animaux n’ont pas de nationalité, après tout ! C’était une épreuve difficile, puisque la reine se retrouvait alors seule dans un pays inconnu. D’autant que, la plupart du temps, le roi lui donnait pour dame de compagnie une aristocrate acariâtre, qui avait deux ou trois fois son âge et qui se vengeait sur elle d’une vie de frustrations !
En franchissant la frontière, la reine venue de l’étranger abandonnait tout. C’était un symbole fort, montrant qu’elle épousait aussi la nation française tout entière.
Quelle était la portée de ces renoncements ? C’était un symbole fort, montrant que la reine épousait aussi la nation tout entière. Ainsi, Anne d’Autriche a fait la guerre à son Espagne natale. MarieAntoinette était surnommée l’Autrichienne, parce qu’on l’accusait de correspondre avec l’ennemi. Or, quand elle a appelé son frère au secours, elle ne faisait que défendre son trône et la Couronne pour son fils. La nation n’existe pas avant la bataille de Valmy et MarieAntoinette n’a pas l’impression de trahir : elle défend les États monarchiques contre la Révolution. Elle se sentait française.
Comment cela se passait-il à l’étranger ? C’était pire ! Pensez aux mariages dans la famille impériale de Russie, noués souvent avec des princesses allemandes protestantes qu’on convertissait. Leur mari était relégué à un rôle subalterne ou même assassiné ! L’exemple de l’Autriche est, en revanche, très intéressant. Sa devise était : « Pendant que les autres font la guerre, sois heureuse, Autriche, tu te maries. » La dynastie des Habsbourg obtenait, par des alliances matrimoniales, ce que les autres ont acquis par le sang répandu. L’impératrice MarieThérèse a ainsi placé ses filles sur les trônes de France, de Naples, de Parme, en Toscane… Autre exemple réjouissant : Charles II d’Angleterre et Catherine de Bragance, dite la Reine laide. Elle était si repoussante que, pour convaincre les Anglais, il a fallu une dot considérable. Le Portugal leur a ainsi cédé… l’Inde !
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Depuis le xxe siècle, les princes veulent les mêmes droits que tout le monde et, donc, le bonheur. Ils se marient selon leur inclination : Harald V de Norvège avec Sonja, Charles XVI Gustave de Suède avec Silvia, Philippe VI avec Letizia en Espagne, Joachim de Danemark avec Marie, etc. De nos jours, les rois épousent des bergères. Qui, pour paraphraser la comtesse de Provence, ne sont pas nées pour être reines mais sont « faites du bois dont on les fait ». Songez à Maxima des PaysBas ou à Kate Middleton : elles sont impeccables ! Ce qui compte, le vrai ciment de ces unions, ce sont l’amour et le partage des valeurs. Mais c’est une vie d’aliénation. En épousant un (futur) roi – ou une future reine –, au nom de l’intérêt général, vous abandonnez votre nationalité, vos amis, votre personnalité voire votre religion, comme Henrik de Danemark, récemment disparu.