Napoléon, deux mariages pour un empereur
En cet hiver 1794-95, le général Bonaparte est plus tourmenté que jamais par l’avenir. Il faut dire qu’il a à charge une famille nombreuse et qu’il manque singulièrement d’argent. Quelques mois auparavant, son amitié avec le frère de Robespierre lui a valu d’être brièvement incarcéré à la chute de l’Incorruptible. Lorsqu’il a été relâché, il a refusé un commandement en Vendée ; il a donc été mis en congé sans solde. Démuni, il erre dans les rues de Paris. Il se surprend à
Grand amoureux, Napoléon fait pourtant, par deux fois, des mariages d’intérêt. Avec Joséphine, d’abord, il saisit l’opportunité de s’assurer une fortune. Avec Marie-Louise, ensuite, il s’unit à la maison Habsbourg, espérant rallier à lui les souverains d’Europe, désormais ses parents…
envier le sort de Joseph, son aîné, qui vient d’épouser Julie Clary, la fille d’un important marchand de savon marseillais. La nouvelle madame Bonaparte a une jeune
soeur au prénom prédestiné : Désirée. De passage à Toulon, il en profite pour faire un saut à Marseille. Là, ébloui par la belle maison bourgeoise et le train de vie que possède à présent son frère, il décide de faire sa demande à la cadette des Clary. Malgré les réticences de sa future belle-mère qui estime qu’« un Bonaparte suffit dans la famille », les fiançailles sont célébrées le 21 avril 1795… Quelques semaines plus tard, rappelé à Paris, l’ambitieux Bonaparte a vite fait d’oublier sa promise. Il souhaite à présent s’établir dans la capitale et assurer sa position par une union avec une Parisienne, dotée à la fois de subsides et d’entregent. Il porte son choix sur Mademoiselle Montansier, ancienne comédienne, millionnaire et… âgée de 65 ans. Laquelle, pleine de bonne sens, décline la demande de l’officier qui n’a pas encore 26 ans.
En 1809, Joséphine, infertile, est répudiée. Napoléon, qui a des vues sur la soeur du tsar entreprend des négociations avec la cour de Russie.
Avec Joséphine, un mariage d’amour
Désappointé, Bonaparte finit par se tourner vers Paul Barras, qui est à la tête du Directoire. Fort de sa propre expérience en matière de calculs et de sentiments, ce dernier lui conseille de fréquenter les salons mondains. Il l’introduit dans le plus galant et le plus coté d’entre eux, celui de Madame Tallien. L’ancienne « NotreDame de Thermidor » refuse les avances de ce « petit chat botté », qui ne lui semble pas digne d’elle. D’autant qu’elle est, à l’époque, la favorite officielle du tout-puissant Barras. Même si elle n’est pas la seule. Son amie, Joséphine de Beauharnais, a aussi les faveurs du chef du gouvernement ; elle, en revanche, sent qu’il lui échappe. Barras, en effet, est las de payer pour la belle Créole, sensuelle et coquette mais aussi, et surtout, excessivement dépensière. Ajouté à cela qu’elle ne rajeunit pas… L’amant marri voit donc l’occasion de faire d’une pierre deux coups : aider Bonaparte dont il pressent la future importance – l’insurrection royaliste du
13 Vendémiaire est passée par là et l’a auréolé d’une gloire toute neuve –, et se débarrasser enfin de Joséphine. Le stratagème fonctionne parfaitement. Bonaparte, séduit, tombe éperdument amoureux de cette femme encore très belle. Il aime son amusant zézaiement, la façon intense dont elle l’interroge sur la Corse (qu’elle confond avec la Sicile !), son insouciance quasi enfantine et, pense-t-il, la fortune que lui a laissée son défunt mari, guillotiné peu avant Thermidor. Elle, de son côté, est tout aussi enchantée. Elle a trouvé un nouveau protecteur, promis, on le lui a dit, à un brillant avenir.
Une cérémonie religieuse en toute discrétion
Le 9 mars 1796, Napolione Bonaparte épouse Marie-Josèphe Rose Tascher de La Pagerie, veuve Beauharnais. Ils se sont unis lors d’une simple cérémonie civile, la Révolution ayant eu raison du religieux. Bonaparte s’est présenté avec deux heures de retard à la mairie du iie arrondissement. Tous deux, seulement accompagnés de leurs témoins, signent illico presto un acte de mariage où la plupart des données sont fausses. Notamment leur âge : Napoléon s’est vieilli de 18 mois et Joséphine, elle, s’est rajeunie de 4 ans. Ce qui est rétrospectivement ironique pour le futur auteur du code civil… Dans la corbeille de noces, Barras, soulagé, a fait mettre le commandement de l’armée d’Italie. Nul n’imagine alors que le petit Corse va se hisser jusqu’au sommet du pays et faire de Joséphine une « plus que reine », comme le lui a jadis prédit une vieille magicienne de sa Martinique natale… Huit années passent. Le 18 mai 1804, le Sénat vote à l’unanimité l’instauration de l‘Empire. Joséphine s’inquiète. Elle sait qu’elle n’enfantera plus. Afin d’asseoir sa position fragilisée, elle en appelle au pape Pie VII, venu à Paris pour le futur couronnement. Elle lui fait savoir que le mariage religieux n’a jamais été célébré. Le 30 octobre, lors
d’une cérémonie discrète qui se tient à minuit dans la chapelle du palais des Tuileries, l’union est enfin validée devant Dieu. Joséphine pense se prémunir ainsi d’une répudiation.
Avec Marie-Louise, une union féconde
Tout autre est la situation en 1810. Joséphine, victime de son infertilité, malgré ses manigances, a été répudiée. Bonaparte, qui a en vue la soeur du tsar Alexandre, entreprend des négociations avec la cour de Russie. Mais, à Saint-Pétersbourg, il ne soulève aucun enthousiasme. L’empereur des Français se tourne alors vers Vienne. Grâce à l’aide de son ex-épouse, amie du diplomate, il engage des pourparlers avec l’ambassadeur Metternich. François Ier d’Autriche, qui craint une alliance franco-russe, répond favorablement à cette demande d’alliance : il propose la main de son aînée, Marie-Louise, ravissante blonde de 19 ans. La jeune fille, en revanche, n’est pas ravie à l’idée d’épouser cet homme qui a 20 ans de plus qu’elle. De plus, sa famille lui a inculqué la haine des Français en général, lesquels ont massacré sa tante Marie-Antoinette, et de l’« Ogre » en particulier. Ils convolent pourtant, le 1er avril 1810. Les codes de l’Ancien Régime sont tous respectés : contrat, mariage par procuration, cérémonie d’échange à la frontière – où la fiancée, quittant sa vêture autrichienne est baignée, parfumée, rhabillée à la française –, rencontre solennelle des époux, présentation officielle… L’union civile est célébrée à Saint-Cloud en présence des grands personnages du régime et de la famille de l’empereur. Suivent un dîner et une pièce de théâtre : Iphigénie, avec le renommé comédien Talma. Le mariage religieux, fastueux, a lieu dans le Salon Carré du Louvre, transformé en chapelle. Le soir, un banquet est organisé dans la salle de spectacles des Tuileries… Bonaparte est heureux. Il espère qu’il va mettre un terme à la coalition austro-anglaise et entrer définitivement dans le cénacle des souverains européens. Et, aussi, qu’il aura bientôt un fils. Le 20 mars 1811, après douze heures de travail, naît le roi de Rome. L’empereur pense avoir atteint son rêve de conquête. En fait, ce mariage et cette naissance marquent le début… de la fin de l’ère napoléonienne.