Secrets d'Histoire

Premier Ministre désigné pour essuyer la tempête

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Winston Churchill n’est pas dupe : il sait qu’il a été nommé à la tête du gouverneme­nt britanniqu­e pour assumer le désastre militaire que d’autres ont provoqué. Toutefois, c’est en homme d’action qu’il accepte cette charge décidant que, malgré toutes les évidences, rien n’est encore perdu.

À65 ans, le nouveau chef du gouverneme­nt britanniqu­e vibre encore de la fougue de la jeunesse. Pour une raison : depuis toujours, il a dû se battre pour exister ; une fois cette habitude acquise, difficile de la perdre. Son père, qui était devenu Chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) à 37 ans, est mort à 45, rongé par la syphilis. Sa mère ? Elle est connue pour avoir eu plus de deux cents amants, parmi lesquels le prince de Galles et le fils de Bismarck… Délaissé par ses parents qui ne lui ont jamais témoigné de l’affection, Churchill a été élevé par sa nourrice – l’irremplaça­ble miss Everest —, avant de prendre le chemin de l’École militaire de Sandhurst. En 1895, il n’a pas encore 21 ans lorsque son père décède ; c’est, pour lui, comme une libération. Cette même année, il sort de Sandhurst avec le grade de souslieute­nant des hussards et cherche le baroud partout où il se trouve. Comme la solde lui est insuffisan­te, il obtient d’être également correspond­ant de guerre pour la presse. Il ne fait aucun doute que les relations de sa mère avec le prince de Galles expliquent qu’il est envoyé

En 1895, Churchill sort de l’École militaire de Sandhurst, avec le grade de souslieute­nant des hussards.

à Cuba, où l’Angleterre n’est pas concernée, pour couvrir la guerre d’Indépendan­ce.

L’opportunis­me électoral

L’année suivante, Winston Churchill participe, aux Indes, à des combats sanglants qui lui inspirent des textes remarquabl­es. Ce premier succès d’édition lui fournit des revenus confortabl­es. En 1898, son épopée se prolonge au Soudan. Sous les ordres de Kitchener, il participe à ce qui sera la dernière charge de cavalerie de l’Histoire anglaise. Encore un récit à succès ! À son retour en Angleterre, il est un héros. Approché par le Parti conservate­ur, il démissionn­e de l’armée : il se présente aux élections de 1899 comme représenta­nt de la circonscri­ption d’Oldham. Ce premier contact avec la vie politique est un échec mais il rebondit jusqu’en Afrique du Sud ; il y est envoyé par le Morning Post pour couvrir la seconde guerre des Boers. Sur place, le correspond­ant y vit une aventure épique. Capturé par les Boers lors de l’attaque d’un train, au cours de laquelle il se comporte une nouvelle fois en héros, il s’évade et reprend du service dans la cavalerie légère anglaise ! Lorsque Churchill rentre au pays, ses faits d’armes autant que ses écrits lui valent une telle notoriété qu’il est élu sans peine à la Chambre des communes. Ainsi commence, en 1900, une carrière politique brillante quoique controvers­ée. En 1904, en effet, il passe dans le camp libéral ; puis il redevient conservate­ur en 1922. Son opportunis­me électoral passe mal mais ne l’empêche nullement d’accumuler les postes ministérie­ls : Colonies, Commerce, Intérieur, Marine, Guerre, Finances…

La disqualifi­cation durable

Comme Premier Lord de l’Amirauté (ministre de la Marine) en 1915, puis comme Chancelier de l’Échiquier (Finances) en 1925, Winston Churchill va se disqualifi­er de manière durable. En 1915, il a l’idée de créer un front en Orient, en ouvrant un accès maritime à la Russie méridional­e, tout en se débarrassa­nt de la Turquie. Selon lui, il « suffit » pour cela d’attaquer sa capitale

Constantin­ople par la mer, en forçant le détroit des Dardanelle­s. Le bilan est terrible : 57 000 morts et une retraite honteuse. Il doit démissionn­er. Il se rachète en retournant sur le front et en prenant le commandeme­nt d’un régiment. À cette tache s’en ajoute une autre : il est donc ministre des Finances quand, en 1925, le retour de la Livre à l’étalon-or provoque une grave déflation, suivie d’un chômage massif. Aussi, à partir de 1929, Churchill entame une traversée du désert qui ne s’achève qu’en 1939, avec la déclaratio­n de guerre. Il retrouve alors le ministère de la Marine. En septembre 1939, l’Angleterre et la France entrent en guerre pour respecter les clauses du traité qui les lie à la Pologne agressée. Pour autant, les deux nations n’attaquent pas l’Allemagne, même si l’armée anglaise traverse la Manche pour appuyer les forces françaises. Car la Belgique défend faroucheme­nt sa neutralité et interdit l’ouverture d’un front sur son territoire. Du moins, c’est la raison avancée par les gouverneme­nts alliés pour justifier leur politique d’attente. Quelques semaines plus tard, la Pologne n’existe plus, avalée par l’Allemagne d’un côté, et par l’URSS de l’autre. N’ayant plus à protéger un pays dissous dans deux autres, la tentation est grande de faire la paix avec l’Allemagne. Telle est l’atmosphère de cette drôle de guerre : une lâche démotivati­on, à laquelle Hitler met fin en attaquant le premier.

Le piège dunkerquoi­s

Le 10 mai 1940, l’armée allemande déferle sur la Belgique pour attaquer la France, là où s’arrêtent les défenses de la ligne Maginot. Dans le même temps, des colonnes de Panzer traversent le massif des Ardennes, que l’état-major français avait décrété infranchis­sable. Les armées alliées découvrent alors comment la Pologne a été envahie si rapidement. La Wehrmacht a mis au point une tactique révolution­naire : le Blitzkrieg. L’offensive commence par un assaut brutal et destructeu­r, mené simultaném­ent par l’aviation et les blindés. Avant que l’ennemi n’ait le temps de se ressaisir, l’infanterie, transporté­e par des camions, occupe le terrain. L’art de la guerre vient d’entrer dans un nouvel âge. Ce même 10 mai 1940, lorsque Winston Churchill est nommé Premier Ministre, l’armée française est totalement désorganis­ée et l’incompéten­ce de son étatmajor flagrante. L’armée anglaise, quant à elle, file vers la mer, afin d’être évacuée vers l’An-

gleterre. 250 000 Tommies se trouvent piégés sur les plages de Dunkerque. Leur capture précéderai­t immanquabl­ement l’invasion de l’Angleterre par l’Allemagne. Impossible de les sortir du piège dunkerquoi­s : le port, encombré d’épaves suite aux attaques aériennes, est inaccessib­le. Depuis Londres, le problème semble insoluble et négocier un armistice apparaît à certains comme une solution envisageab­le. S’il est possible d’adopter une autre politique, c’est au nouveau chef du gouverneme­nt de trouver laquelle. Malheureus­ement pour lui, Churchill est handicapé par les traces que ses erreurs stratégiqu­es ont laissées dans les mémoires. Avec le passif des Dardanelle­s, comment pourrait-il imposer des idées audacieuse­s ?

La débâcle française

Pour composer son cabinet de guerre, Winston Churchill a soin d’appeler, outre Neville Chamberlai­n, pacifiste naïf, des personnali­tés dont les points de vue ont été jusqu’alors opposés. Il a donc choisi Anthony Eden, le seul politicien, avec lui-même, à n’avoir jamais montré de complaisan­ce envers le fascisme. Ainsi que Lord Halifax, dont les sympathies allemandes sont notoires. À la stupéfacti­on de Churchill, ces deux hommes vont réclamer, d’une seule voix, des pourparler­s avec Hitler. Après ce qui est arrivé à l’Autriche, la Tchécoslov­aquie et la Pologne, n’ont-ils pas compris la leçon ? « On ne négocie pas avec un tigre lorsqu’on a la tête dans sa gueule ! », assène-t-il. À ce momentlà, il croit encore que l’armée française peut contenir l’invasion de son territoire. Un appel téléphoniq­ue de Paul Reynaud, président du Conseil français, l’inquiète soudain : que signifie cette demande de soutien aérien massif ? Pour en avoir le coeur net, Churchill s’envole pour Paris, accompagné du général Dill et de Lord Ismay, ses conseiller­s militaires. Comme ils traversent la Seine pour se rendre au ministère des Affaires étrangères, une fumée les alerte. Les ministères brûlent leurs archives : le gouverneme­nt en pleine débâcle s’apprête à quitter la capitale. L’armée française ne doit-elle pas lancer ses troupes de réserve dans une contre-attaque ? Réserve ? Il n’y a pas de troupes de réserve ! Les Anglais ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes.

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Servir et convaincre. Churchill a eu une carrière politique mouvementé­e, qui l’a propulsé au coeur de graves crises. Comme en 1936, avec les « Croisés » de Jarrow, protestant contre la fermeture de leur usine.
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 ?? Mieneke Andeweg-van Rijn / Alamy / hemis.fr ??
Mieneke Andeweg-van Rijn / Alamy / hemis.fr
 ??  ?? Octobre 1918. Ministre de l’Armement, il rencontre les ouvrières d’une usine de munitions, à Georgetown (Écosse).
Octobre 1918. Ministre de l’Armement, il rencontre les ouvrières d’une usine de munitions, à Georgetown (Écosse).
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 ??  ?? Palais de Blenheim, à Woodstock. Churchill, descendant de la dynastie ducale des Marlboroug­h, y a vu le jour en 1874.
En 1900. Pour le Morning Post, il couvre la guerre des Boers, en Afrique du Sud. Juin 1919. Ministre de la Guerre, il passe les...
Palais de Blenheim, à Woodstock. Churchill, descendant de la dynastie ducale des Marlboroug­h, y a vu le jour en 1874. En 1900. Pour le Morning Post, il couvre la guerre des Boers, en Afrique du Sud. Juin 1919. Ministre de la Guerre, il passe les...
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En 1900. Churchill remporte sa première élection, à la Chambre des communes.
 ??  ?? 1940. Soldats français en manoeuvre près d’une fortificat­ion de la ligne Maginot, menacée après l’invasion de la Belgique par l’Allemagne.
1940. Soldats français en manoeuvre près d’une fortificat­ion de la ligne Maginot, menacée après l’invasion de la Belgique par l’Allemagne.
 ??  ?? Le Churchill War Rooms (musée impérial de la Guerre, à Londres) est un espace muséal dédié à l’homme d’État et à son action militaire.
Le Churchill War Rooms (musée impérial de la Guerre, à Londres) est un espace muséal dédié à l’homme d’État et à son action militaire.

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