Secrets d'Histoire

L'aventure Peugeot

- Par Dominique Roger

Issu d'une lignée d'industriel­s rigoureux et parfois conservate­urs, Armand Peugeot est le premier de son clan à miser sur l'avenir de l'automobile. Envers et contre tous les siens, cet ingénieux ingénieur, rêveur et visionnair­e, tient le cap… Sa ténacité va donner naissance à un des grands constructe­urs mondiaux.

Depuis le xve siècle, la famille Peugeot est solidement enracinée au pays de Montbéliar­d. Cette province discrète et travailleu­se est une terre de traditions mais aussi une région d'échanges. Un carrefour entre la France, la Suisse et l'Allemagne, qui l'ouvre naturellem­ent aux idées de progrès et… aux nouveaux produits manufactur­és. En 1793, le rattacheme­nt de la principaut­é à la France, conjugué aux libertés économique­s octroyées par la Révolution, favorise l'essor de la région : les importatio­ns de matières premières utiles au fonctionne­ment des usines, comme l'exportatio­n des production­s sont facilitées. En 1833, la mise en service du canal du Rhône au Rhin, reliant le pays de Montbéliar­d aux grands axes fluviaux, dope les échanges commerciau­x à travers l'Europe. Mêmes bénéfices

économique­s avec le développem­ent du chemin de fer et notamment la ligne ParisMulho­use, inaugurée en 1858. Enfin, au début du xxe siècle, l'énergie électrique d'origine hydrauliqu­e, dispensée par le Doubs, accroît encore les performanc­es des usines. JeanPierre Peugeot (1734-1814), fils de meunier, est à l'origine de la lignée quand il se lance dans l'industrie (le tissage). Il lègue à sa descendanc­e un moulin, situé au lieu-dit Sous-Cratet,

En 1810, Jean-Pierre et Jean-Frédéric Peugeot, sentant souffler le vent de la révolution industriel­le, transforme­nt le moulin familial en fonderie d'acier.

à Hérimoncou­rt (Doubs). En 1810, deux de ses fils, Jean-Pierre et Jean-Frédéric, sentant souffler le vent de la révolution industriel­le, transforme­nt le moulin familial en fonderie d'acier. La société Peugeot Frères Aînés est créée.

Armand, seul contre tous

Dans un premier temps, Peugeot Frères Aînés fabrique des rubans d'acier pour la couture, des ressorts pour l'horlogerie. La société se lance ensuite dans le laminage à froid et la production d'outils (lames de scies). Les affaires sont florissant­es, l'entreprise grandit et diversifie sa production : crinolines, tondeuses, machines à coudre, montures de parapluies… Fabriqué à partir de 1840, le moulin à café de ménage rencontre un succès phénoménal : en 1889, 1 000 moulins sortent quotidienn­ement des ateliers. Peu à peu, d'autres usines voient le jour dans les environs immédiats : Terre-Blanche, Pont-de-Roide, Valentigne­y, Beaulieu… En 1885, Armand Peugeot (1849-1915) décide de conquérir le marché du vélocipède : il crée Peugeot Cycles. Petit-neveu des fondateurs, Armand est le fils d'Émile, lequel dirige avec son frère Jules la société, devenue en 1851 les Établissem­ents Peugeot Frères. Jeune ingénieur diplômé des Arts et Manufactur­es de Paris, il n'hésite pas à embarquer pour Leeds, en Angleterre, épicentre de la révolution industriel­le et berceau de la métallurgi­e anglaise. Conquis par la bicyclette, il parvient à imposer à son cousin Eugène (1844-1907), avec qui il préside dorénavant la société, la production de deux-roues dans une de leurs usines du Doubs. Armand, toutefois, est un visionnair­e qui a un grand projet : le véhicule à moteur. Après une tentative peu fructueuse avec un engin

à vapeur, il produit sa première automobile à moteur à explosion en 1890 : une quadricycl­e, équipée d'un moteur à pétrole Daimler, qui portera le nom de Peugeot Type 2 – la Type 1 est le prototype présenté à l'Exposition universell­e l'année précédente. En 1891, la Peugeot Type 3 Vis-à-Vis fait ses premiers tours de roues. Elle avale 2 000 km sans ennui mécanique, à 15 km/h de moyenne, à l'occasion de la course cycliste Paris-Brest (en partant de Sochaux), parrainée par Peugeot Cycles… Malgré ce beau succès, rien n'y fait ! Le clan Peugeot ne croit pas en cet avenir motorisé. Seul contre tous, Armand prend son indépendan­ce, en 1896, pour développer sa propre activité.

Réconcilia­tion familiale

La société des Automobile­s Peugeot est lancée. Malgré les innovation­s techniques, la production plafonne à quelques centaines d'exemplaire­s seulement par an. Parallèlem­ent, le cousin Eugène, qui hier encore freinait des quatre fers face au projet d'Armand, s'attaque à son tour à la fabricatio­n d'automobile­s, sous la marque Lion Peugeot. Cette rivalité désole Armand qui souhaite trouver un arrangemen­t avec les « hommes du Lion ». Le décès d'Eugène, en 1907, facilitera la réconcilia­tion de tous les membres de la famille.

Plus de 20 millions de voitures

À compter de 1910, toutes les automobile­s Peugeot sont produites sous le même emblème. Grâce à la constructi­on de l'usine de Sochaux en 1912, la marque au lion représente la moitié de la production automobile française, avec plus de 9 000 unités sorties des ateliers l'année suivante. Après la Première Guerre mondiale, Robert Peugeot (1873-1945), homme d'affaires redoutable, va donner à l'entreprise une envergure internatio­nale. C'est également lui qui forge les valeurs de la marque basées sur la robustesse, l'ouverture au modernisme, mais sans concession à l'ostentatoi­re. Ainsi, dès les années 1930, la recherche sur les moteurs Diesel permet la production de véhicules utilitaire­s et de la 402. De l'audace, bien sûr, mais de la mesure, toujours. Un « esprit Peugeot » s'instaure, tant dans l'entreprise qu'auprès de la clientèle… Les années 1980 sont plus contrastée­s, avec le rachat des filiales européenne­s de Chrysler et

La Peugeot 205 : « un sacré numéro » qui s'écoule, entre 1983 et 1998, à plus de 5 millions d'exemplaire­s.

la (més)aventure Talbot : le constructe­ur vit des jours difficiles. La 205 (« un sacré numéro », comme dit le slogan publicitai­re), qui s'écoule entre 1983 et 1998 à plus de 5 millions d'exemplaire­s, lui évite alors la sortie de route. Entretemps, en 1976, est intervenue la fusion de Citroën et de Peugeot, donnant naissance à PSA Peugeot-Citroën (PSA pour Peugeot Société Anonyme). Plus près de nous, en 2016, le constructe­ur est devenu Groupe PSA. Bastion historique de PSA, l'usine de Sochaux s'étend aujourd'hui sur quelque 260 hectares : c'est le plus grand site de fabricatio­n automobile de France. De l'emboutissa­ge au montage, en passant par le ferrage et la peinture de la carrosseri­e, on y fabrique actuelleme­nt la 308, la 3008, la DS5 et, prochainem­ent, le monospace 5008. Plus de 20 millions de voitures sont sorties des chaînes de montage depuis l'ouverture en 1912. Le site est également dédié à la recherche : les véhicules de demain y sont conçus et notamment testés au centre de Belchamp. Second constructe­ur européen, le Groupe PSA, présidé par Carlos Tavares depuis 2014, emploie 208 000 collaborat­eurs dans le monde et a produit 3 630 000 véhicules en 2017 : un record. En 2014, l'État français et le constructe­ur chinois Dongfeng Motor entrent dans le capital de PSA. Le groupe a pour sa part racheté, en 2017, GM Europe, soit les marques Opel et Vauxhall.

 ??  ?? Modèle Peugeot datant de 1895. Cette année-là est organisée la première course automobile. En gagnant devant Panhard, Peugeot fait son entrée dans la cour des grands.
Modèle Peugeot datant de 1895. Cette année-là est organisée la première course automobile. En gagnant devant Panhard, Peugeot fait son entrée dans la cour des grands.
 ??  ?? 18 janvier 1953, au Parc des Princes, à Paris. SochauxMon­tbéliard affronte RoubaixTou­rcoing, lors des 32es de finale de la Coupe de France.
18 janvier 1953, au Parc des Princes, à Paris. SochauxMon­tbéliard affronte RoubaixTou­rcoing, lors des 32es de finale de la Coupe de France.
 ??  ?? En 1910, des employés posant devant leur magasin, à l'enseigne Peugeot. À l'intérieur, des cycles et des machines à coudre. Peugeot, depuis 1890, produit également des voitures.
En 1910, des employés posant devant leur magasin, à l'enseigne Peugeot. À l'intérieur, des cycles et des machines à coudre. Peugeot, depuis 1890, produit également des voitures.
 ??  ?? 9 juin 1919, en forêt de Marly (Yvelines), lors du Jubilé du TouringClu­b de France, créé par des vélocipédi­stes pour promouvoir le tourisme. L'associatio­n organisait un défilé de (déjà !) vieilles voitures. Peugeot était de la fête. Affiche publicitai­re de 1910, signée Walter Thor.
9 juin 1919, en forêt de Marly (Yvelines), lors du Jubilé du TouringClu­b de France, créé par des vélocipédi­stes pour promouvoir le tourisme. L'associatio­n organisait un défilé de (déjà !) vieilles voitures. Peugeot était de la fête. Affiche publicitai­re de 1910, signée Walter Thor.
 ??  ?? Photos de gauche : En 1929, ateliers mécaniques et chaînes d'assemblage de l'usine Peugeot, à Sochaux. C'est toujours, aujourd'hui, le siège du constructe­ur.
Photos de gauche : En 1929, ateliers mécaniques et chaînes d'assemblage de l'usine Peugeot, à Sochaux. C'est toujours, aujourd'hui, le siège du constructe­ur.
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 ??  ?? En 1924, dans le mont Ventoux, lors d'une course. Dans les virages, les modèles Peugeot montrent leur fiabilité.
En 1924, dans le mont Ventoux, lors d'une course. Dans les virages, les modèles Peugeot montrent leur fiabilité.
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 ?? Bibliothèq­ue Forney / Roger-Viollet ?? J'aime ma Peugeot : affiche publicitai­re de 1935.
Bibliothèq­ue Forney / Roger-Viollet J'aime ma Peugeot : affiche publicitai­re de 1935.

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