Stéphane Bern : « Au plus profond de notre imaginaire, nous aimons les malédictions »
Les rois de France ont-ils été maudits en 1314 quand, sur le bûcher, le Grand Maître des Templiers a promis : « Dieu vengera notre mort » ? Ou faut-il y voir une interprétation sinon partisane, du moins teintée de religions et de magie noire, de faits certes terribles mais que l’Histoire seule explique très bien ?
Dans quelle mesure, les faits ont-ils vérifié la légende des rois maudits ? Je ne crois pas vraiment aux malédictions. Même s’il est vrai que Jacques de Molay, du haut de son bûcher, a fait trembler la Couronne, en lançant la vengeance des Templiers sur les rois de France. Il est également avéré que, par la suite, on a cru en repérer les conséquences dans une série de décès royaux ou princiers. Mais, à l’époque, la mortalité était telle qu’on ne peut pas conclure que, jusqu’à la treizième génération, tous les souverains ont trépassé à cause du Temple. Il faut comprendre que, à ce moment-là, les Capétiens directs sont fragilisés. La fin de la lignée constitue une période complexe. Il y a eu beaucoup de scandales, comme l’Affaire de la tour de Nesle. Si vous lancez une malédiction alors que vous savez que la monarchie est vraiment affaiblie, que le trône est branlant et qu’il essaie de s’affermir justement en supprimant les Templiers, vous touchez là où ça fait mal. La malédiction relève d’une mise en exergue de la faiblesse qu’avait la monarchie française à ce moment-là. De toute façon, sur treize générations, on ne peut pas dire que les malheurs des rois sont du fait de Jacques de Molay. Non, je le répète, je n’y crois pas ! Il est intéressant d’étudier la manière dont les Capétiens directs ont voulu imposer leur pouvoir et construire la France, malgré un contexte qui ne favorisait pas la fleur de lys.
Il y a eu, hormis celle des rois français, des malédictions (ou supposées telles) qui ont marqué l’Histoire. Par exemple, croyez-vous au mauvais sort lancé contre ceux qui ont violé le tombeau de Toutankhamon ?
C’est difficile à dire. C’est vrai qu’au plus profond de notre imaginaire, nous aimons les malédictions. Nous voulons croire que le destin nous échappe, que quelque chose qui nous dépasse décide de notre chemin de vie et de notre mort. Parce que cela nous désengage et nous dédouane de ne pas faire ce qu’il faut pour réussir. Cela nous permet de nous cacher derrière un : « C’est la malédiction de Toutankhamon… » Certes, il y a la grande affaire du tombeau mais, aujourd’hui, grâce à la science, tout est contestable. On parle aussi des Romanov. À leur sujet, il faut dire qu’ils ont très mal géré leur Trône. Ils n’ont pas senti que le vent de l’Histoire tournait, qu’il y avait une démocratisation nécessaire, que la bourgeoisie triomphante avait envie de prendre le pouvoir. Il y a des raisons objectives, voilà tout ! Ce n’est pas la foudre de Dieu qui s’abat, même si j’aimerais croire à une sorte de justice immanente… La fin tragique des rois nous touche parce qu’on voudrait croire que
Nous voulons croire que le destin nous échappe, que quelque chose qui nous dépasse décide de notre chemin de vie et de notre mort. Parce que cela nous désengage et nous dédouane de ne pas faire ce qu’il faut pour réussir.
ces personnalités hors du commun, « extraordinaires », ne sont pas tout à fait responsables ou coupables, mais victimes de malédiction…
D’où viennent les malédictions ? Comment naissent les légendes ?
Elles trouvent leur origine dans l’imaginaire collectif. Tout à coup, une émotion saisit la foule et se concentre autour d’un personnage, d’une histoire. On l’a vu tout au long des siècles, notamment en Russie : c’est une terre fertile en superstitions, en légendes. L’âme russe est romanesque. Donc, les prédictions de Raspoutine, les faux tsars, tout cela lui parle. Il y a aussi le complotisme qu’on retrouve à toutes les époques, y compris la nôtre. « Ce n’est pas dans l’ordre des choses. Donc, il y a malédiction, un sort a été jeté… » : nous avons entendu cela au moment de la mort de Lady Diana. Et quand John-John, le fils du Président Kennedy, s’est tué aux commandes de son avion, on a aussi parlé de malédiction. La vérité est plus simple : il aurait dû consulter la météo et comprendre qu’elle n’était pas favorable, ce jour-là… Concernant les rois de France, y a-t-il des destins « maudits » qui vous touchent particulièrement ?
Peut-être les derniers Valois… Avec eux, il y a eu une concentration d’événements fâcheux qui les ont finalement conduits à faire des choses épouvantables. Je pense aux guerres de Religion, au massacre de la Saint-Barthélemy. Je reviens d’Écosse, où j’ai tourné un numéro de l’émission Secrets d’Histoire, consacré à la reine Marie Stuart. J’ai été particulièrement touché par le destin de François II, roi de France, qui fut son premier mari. Mais également par celui de ses frères, Charles IX, dominé par sa mère, et Henri III, écartelé entre ses débauches et son puritanisme qui le poussaient à l’autoflagellation permanente. Des rois consanguins, à la limite de la folie, qui meurent très jeunes ou assassinés : la fin des Valois a été terrible. S’ils avaient été plus vaillants, ils auraient peut-être pu éviter ces guerres de Religion fratricides. À l’aune d’aujourd’hui aussi, on constate ce qu’il y a d’effroyable à s’entre-tuer au nom de Dieu.
Quand John-John Kennedy s’est tué en avion, on a parlé de malédiction. La vérité est plus simple : il aurait dû consulter la météo…