Éric Le Nabour : « Tout pointe vers une vengeance divine »
À quelle époque la malédiction attachée aux « Rois maudits » apparaît-elle ?
C’est indubitablement Maurice Druon, avec sa saga romanesque, qui a popularisé l’expression et la légende. Il a repris une rumeur qui courait depuis les xvie et xviiie siècles dans la littérature et qui avait déjà été ravivée au xixe avec la pièce d’Alexandre Dumas, La Tour de Nesle.
En réalité, cette fameuse malédiction ne se cristallise autour de Jacques de Molay qu’au xvie. Un mouvement qui s’amplifie avec le développement de la franc-maçonnerie au xviiie, laquelle s’inscrit dans la filiation des Templiers : les Lumières et la Révolution s’emparent de l’idée d’une monarchie maudite et dégénérée.
« Maudits » : le terme s’applique-t-il vraiment dans ce cas ?
C’est une légende ! C’est plutôt la succession de calamités qui accablent les derniers Capétiens qui imposent l’idée d’une malédiction, d’un châtiment divin. Nombre de faits historiques semblent la justifier car le sort s’acharne
sur eux : un roi réputé faux monnayeur, impopulaire à cause des impôts, menacé d’excommunication, dont les brus sont adultères et les fils meurent sans héritier après des siècles de « miracle capétien », les prémices de la guerre de Cent Ans et, plus tard, le Grand Schisme de 1378, avec entre-temps la Grande Peste de 1348, etc. Tout cela jette l’opprobre sur la famille royale et tout pointe vers une vengeance divine ! Dieu a entendu les souffrances des petites gens et puni les Capétiens. Cependant, selon moi, Philippe le Bel est un roi qui marque la fin de la féodalité, il engage le royaume dans la modernité. On change alors de monde ! Et pas seulement en France… Philippe le Bel incarne cette époque et si la fin des Capétiens coïncide avec la crise que traverse alors la France, ceuxci n’en sont pas responsables.
Qu’en est-il des « treize générations » maudites ?
C’est aussi une légende mais il faut noter cette étonnante coïncidence : chaque dynastie s’est éteinte avec trois frères. Les Capétiens directs avec Louis X, Philippe V et Charles IV ; les Valois avec François II, Charles IX et Henri III; les Bourbons avec Louis XVI, Louis XVIII et Charles X. Dans ce dernier cas, l’intermède Révolution/Empire ne semble pas avoir conjuré le sort…
libéré ou pouvoir s’expliquer auprès du pape, revient publiquement sur ses aveux. Ce faisant, il est relaps : alors que l’Église lui avait pardonné, il remet en cause l’objet de ce pardon. Il encourt donc à nouveau la peine de mort. Geoffroy de Charney, un de ses compagnons, en fait autant. Furieux, Philippe le Bel ordonne qu’ils soient brûlés le soir même, devant le Palais royal. Geoffroi de Paris, clerc à la Chancellerie royale, a rapporté les dernières paroles de Molay : « Dieu sait qui a tort et a péché, le malheur s’abattra bientôt sur ceux qui nous condamnent à tort. Dieu vengera notre mort. Tous ceux qui nous sont contraires par nous auront à souffrir. » Une version moins spectaculaire que celle de Maurice Druon !
Pas de fumée sans feu !
Jacques de Molay a-t-il réellement prononcé cette malédiction ? « Dans les chroniques, c’est assez flou, indique Éric Le Nabour. On n’associe pas immédiatement cette malédiction aux Templiers, qu’on ne regrette guère à l’époque. Cela apparaît plus tard, à mesure que la légende se construit. Je pense que celle qui a été rapportée par Maurice Druon, relève de la légende ; mais j’ai tendance à croire qu’il n’y a pas de fumée sans feu ! Il a dû quand même y avoir quelque chose, des paroles lors des interrogatoires ou des procès des Templiers, ou encore une malédiction de Boniface VIII lors de sa querelle avec Philippe le Bel. » De fait, dans l’année qui suit, le pape et le roi décèdent et les trois brus royales sont compromises dans l’Affaire de la tour de Nesle. « Les circonstances de la mort de Philippe le Bel sont intéressantes. Des récits évoquent un sanglier qui l’aurait renversé en forêt d’Halatte, poursuit Éric Le Nabour. Au Moyen Âge, c’est un animal associé au démon. C’est aussi le symbole de la classe sacerdotale, avec qui le roi a souvent été en conflit… Dieu semble s’être vengé ! » Quant aux fils de Philippe le Bel, ils mourront sans héritier mâle, signant la fin des Capétiens directs.