Louis X, Philippe V, Charles IV, trois fils et une fin de dynastie
Lorsque Philippe le Bel meurt, sa succession semble assurée : il laisse trois fils vigoureux, adultes et aptes à gouverner. Contre toute attente, et pour la première fois depuis que les Capétiens règnent sur la France, les trois souverains meurent sans héritier mâle, provoquant une crise dynastique sans précédent.
La malédiction qu’on dit attachée aux derniers Capétiens a eu un écho d’autant plus retentissant qu’elle était attribuée à un clerc, et non un laïc, explique l’historien Éric Le Nabour. Dans ce cas, les conséquences d’une telle condamnation sont extrêmement lourdes : « Décès prématuré d’un roi, réputation entachée de vice, adultère, stérilité de l’épouse royale, mort de ses enfants… » Les Capétiens ont tout cumulé ! Car malgré leur jeune âge, leur vigueur physique et leurs mariages successifs, les trois fils de Philippe le Bel vont trépasser sans héritier, semant les graines de la guerre de Cent Ans.
Louis X, dix-huit mois et puis s’en va
Lorsqu’il succède, en 1314, à son père Philippe le Bel, Louis X est alors marié à Marguerite de Bourgogne. Cependant, cette dernière, condamnée pour adultère, est emprisonnée dans de très cruelles conditions à la forteresse de Château-Gaillard. Ils ont eu une fille, Jeanne, sur laquelle pèse le préjugé de la bâtardise. La mort très opportune de Marguerite, le 30 avril 1315 – son époux est fortement soupçonné de l’avoir fait étrangler –, permet au roi de se remarier quelques mois plus tard, le 19 août 1315, avec Clémence de Hongrie. Le règne de Louis X le Hutin (autrement dit « le Querelleur ») ne dure que dix-huit mois : en juin 1316, après une partie de jeu de paume, il se désaltère d’une boisson trop glacée. Il meurt peu après, vraisemblablement d’une pneumonie, même si l’empoisonnement a été envisagé. La reine Clémence est alors enceinte : le 15 novembre 1316, elle accouche du fils tant
attendu. Le petit Jean Ier est aussitôt proclamé roi. Hélas, il décède quelques jours à peine après sa naissance. Lui aussi a été empoisonné, suggère la rumeur. Ce n’était en toute probabilité pas le cas mais l’enchaînement de tous ces drames au sein de la famille royale continue d’alimenter les soupçons. Et « qui meurt par le poison a été abandonné par Dieu », se dit-on…
Les femmes écartées du pouvoir ?
Qui alors pour succéder à Louis X ? « Philippe de Poitiers, son cadet, a été extrêmement habile, raconte l’historienne Christelle Balouzat-Loubet. Il s’est d’abord fait reconnaître comme régent par une assemblée de barons, en attendant l’accouchement de Clémence. Ensuite, à la mort de Jean Ier, il fait comme si cette reconnaissance validait naturellement son accession au Trône en l’absence d’héritier. Il joue de l’illégitimité supposée de Jeanne, la fille de Louis X, pour l’écarter, et achète le silence du comte d’Évreux et de son oncle Charles de Valois, partisans des droits de Jeanne. Pour finir, il arrive à s’imposer assez naturellement, étant jugé le plus apte du moment. » Son frère Charles, opposé d’abord à sa prise de pouvoir, s’y résigne également. « Il ne faut pas imaginer le Moyen Âge plus misogyne qu’il n’était, tempère Christelle Balouzat-Loubet. Certaines femmes ont régné sur de grands fiefs, comme Aliénor d’Aquitaine ou Mahaut d’Artois. Elles n’ont pas été écartées parce qu’elles étaient femmes… Ce sont plutôt les circonstances, les ambitions des uns et, plus tard, le danger de voir un roi étranger ceindre la couronne de France, qui ont finalement exclu les femmes du Trône et les ont empêchées de transmettre ce droit. Il n’y avait pas vraiment de précédent, si ce n’est l’apanage de Poitiers qui, en 1316, est revenu à la Couronne en écartant une femme de la succession. »
Philippe V, des filles mais pas de fils
Philippe de Poitiers, devenu Philippe V, s’était réconcilié avec sa femme, Jeanne de Bourgogne : enfermée à Dourdan après l’Affaire de la tour de Nesle, elle avait toujours clamé son innocence. Libérée, elle retrouve sa place à la Cour. Les époux royaux se sont sincèrement aimés. Malheureusement, lorsque Philippe V meurt en janvier 1322, ses seuls héritiers sont des filles. Bis repetita : la question de la succession sur le Trône se pose encore. Assez naturellement, le frère cadet du roi, Charles de la Marche,
Après une partie de jeu de paume, Louis X se désaltère d’une boisson trop glacée. Il meurt peu après, vraisemblablement d’une pneumonie.
Maître de conférences en Histoire médiévale à l’université de Nancy, Christelle BalouzatLoubet a notamment publié Mahaut d’Artois, une femme de pouvoir (éditions Perrin).
Que pensez-vous du règne des trois fils de Philippe le Bel ?
Le fait qu’on utilise à ce sujet l’expression « rois maudits » me gêne car elle reflète une lecture historiographique très injuste. On a peu écrit sur ces rois mais on ne passe pas brutalement de Philippe le Bel à la guerre de Cent Ans ! ils ne sont pas qu’une parenthèse, ils ont parachevé l’oeuvre de leur père et ont eu, à plusieurs égards, une action déterminante.
Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Louis X met un terme à la révolte baronniale et organise les institutions qui l’entourent, avec le Conseil étroit et le Grand Conseil. Philippe V mène une activité législatrice très importante et fixe le fonctionnement du Parlement et de la Chambre des Comptes. Charles IV gère la crise flamande (1325-26). S’ils n’inventent rien, ils fondent et clarifient les choses qui, auparavant, fonctionnaient de fait mais sans règle écrite. Comme les règles de succession, avec l’hérédité, la primogéniture et le fait que les femmes ne puissent accéder au trône de France ni le transmettre. Depuis Hugues Capet, les Capétiens avaient toujours eu des héritiers mâles : le problème ne s’était jamais posé ! La crise dynastique des derniers Capétiens force à établir une règle.
Comment expliquez-vous qu’ils aient une image si négative ?
Leurs règnes ont été courts, ils ont manqué de temps pour réformer. Ils héritent d’une situation dont ils ne sont pas responsables. Ils souffrent surtout de la comparaison avec le temps mythique du règne de Louis IX, leur arrière-grand-père qui a été canonisé en 1297, perçu comme un âge d’or perdu, auréolé de souvenirs de paix, de justice et de prospérité. s’impose comme son aîné l’avait fait avant lui. Toutefois, celui qui est devenu Charles IV, est marié à Blanche de Bourgogne. Reconnue adultère, elle est enfermée à Château-Gaillard, toujours suite à l’Affaire de la tour de Nesle. Il ne peut donc prendre femme pour concevoir un héritier. Le salut viendra du pape, qui annule leur union en mai 1322. Le prétexte ? La mère de Blanche, Mahaut d’Artois, est la marraine de Charles IV, ce qui crée un lien de famille entre les époux. Le roi convole aussitôt avec Marie de Luxembourg puis, en 1325, avec Jeanne d’Évreux, lesquelles n’enfantent que des filles. En février 1328, quand la mort le prend à son tour, il se trouve que Jeanne est enceinte : en attendant de connaître le sexe de l’enfant à venir, il faut un successeur au roi.
Un Trône pour deux prétendants
Philippe de Valois, neveu de Philippe le Bel et donc cousin de Charles IV, est désigné pour assurer la régence jusqu’à la majorité de l’enfant à naître, au cas où il s’avérerait être un mâle. Le 1er avril 1328, Jeanne accouche… d’une fille, Blanche. Deux prétendants au Trône se manifestent : Philippe de Valois, en tant que plus proche héritier mâle, mais aussi Édouard III
Christelle Balouzat-Loubet : « Ces rois ne sont pas qu’une parenthèse »
d’Angleterre, fils d’Isabelle de France, la dernière enfant survivante de Philippe le Bel. Or, reconnaître qu’Isabelle pouvait transmettre ses droits à son fils aurait remis en cause la légitimité de Philippe V et de Charles IV. En effet, cela aurait signifié que Jeanne de Navarre, fille de Louis X, avait été spoliée de ses propres droits. En outre, on ne voulait pas d’un héritier dont la naissance aurait été « entachée » de bâtardise. Surtout, il était hors de question qu’un « étranger » s’empare de la couronne de France.
Les Capétiens sont morts, vive les Valois
Populaire auprès des nobles et valeureux, Philippe de Valois semble alors le candidat idéal. Réunie en avril 1328, l’Assemblée le reconnaît pour roi : Philippe VI est sacré le 29 mai suivant, et fonde la dynastie des Valois. Ainsi, s’éteignit la dynastie des Capétiens directs, avec trois
Qui était le vrai Giannino ?
Giannino di Guccio est né en France d’une relation cachée entre un marchand siennois et une demoiselle d’Îlede-France d’origine noble. À l’âge de 9 ans, il est arraché à sa mère et emmené à Sienne, où il vit l’enfance d’un bâtard. Il devient riche marchand et homme de gouvernement, marié et père de famille… Le tribun de Rome, Cola di Rienzo, le convainc qu’il est, en réalité, le roi de France, victime d’un échange au berceau.
Était-il un escroc ou pensait-il sincèrement être Jean Ier ?
Je n’ai aucun doute à ce sujet : Giannino di Guccio était convaincu d’être le roi de France. Cependant, comme il n’en avait aucune preuve, il a produit des tas de faux documents. Dans sa vie, vérité et fiction se mêlent inextricablement.
Qui a-t-il convaincu ?
Certains y ont cru, comme les mercenaires qui l’ont aidé à prendre la ville de Pont-Saint-Esprit. Il faut imaginer une petite Cour qui l’appelait « Sire » et s’inclinait respectueusement devant lui. Il n’existait pas de preuves réelles, plutôt des souvenirs confus, transmis par d’autres… Surtout, dans son entourage, il y avait des individus dotés d’une volonté de déstabilisation. Ceux-là se sont servis de lui comme d’un pion dans le grand jeu de la guerre de Cent Ans.
Dans le fond, son histoire n’est-elle pas le signe que les gens avaient grand besoin d’espoir en pleine guerre de Cent Ans ?
Oui, Giannino di Guccio fait office de roi messianique : un roi caché qui reviendra un jour et sauvera le monde. Comme Arthur pour les Anglais, Frédéric Barberousse pour les Allemands et… Aragorn pour les lecteurs du Seigneur des Anneaux ! Sauf que Giannino est vraiment singulier : il n’a pas une once du charisme des rois de France qui guérissaient des écrouelles. En fait, c’est vraiment un marchand. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est la valeur en florins d’or de sa Couronne. C’est ce qui fait aussi la fascination tragique autour de cet homme, bourgeois rêveur du Moyen Âge.
souverains foudroyés dans la fleur de l’âge en l’espace de douze années seulement. Si, en 1328, Édouard III d’Angleterre a reconnu le nouveau roi de France, il revendiquera à nouveau le Trône en 1337, lançant les hostilités de la guerre de Cent Ans et plongeant le royaume dans une des périodes noires de son Histoire.
Tommaso di Carpegna Falconieri: « Giannino était convaincu d’être Jean Ier, roi de France »