« Il ne faut pas désespérer Billancourt »

Tout le monde associe ces mots à une photo, celle de Jean-Paul Sartre retournant, en 1970, sur un des hauts lieux des grèves de 1968 et haranguant dans la rue les ouvriers des usines Renault de Boulogne-Billancourt. Normal: dans un contexte d’après Mai68, de guerre froide et d’anticommunisme, la formule signifie qu’il faut à tout prix faire vivre l’espérance au sein de la classe ouvrière. Sartre, qui se pose nouvellement en figure de proue de l’extrême gauche, La Cause du peuple sous le bras (alors interdit de parution par le gouvernement de Chaban-Delmas), incarne le rapprochement entre le peuple, les prolétaires exploités par l’État et l’intelligentsia. Le tableau est parfait mais… faux! Sartre n’a pas prononcé cette phrase. Il avait même écrit le contraire dans une pièce de théâtre, Nekrassov, jouée en 1955 au Théâtre Antoine. Le héros, Georges de Valera, y déclare: « Je fais toujours ce que l’on attend de moi. Désespérons Billancourt! Je trouverai des slogans terribles! Désespérons Billancourt! Désespérons Billancourt! »