Secrets d'Histoire

Dis-moi quelle est ta langue

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Nous somme le 25 août 1539. Dans son château de Villers-Cotterêts, le roi François Ier affiche sa satisfacti­on. Non seulement la chasse a été bonne – c’est pour ses terres giboyeuses qu’il aime tant ce logis royal qu’il a fait agrandir dès 1532 – mais il a devant lui les 192 articles rédigés par son grand chancelier, Guillaume Poyet, destinés à assurer une meilleure administra­tion du royaume. Plus qu’une ordonnance, c’est une réforme en profondeur du pays que son chancelier a mis sur pied. En finissant de signer, le roi sourit : son cher Poyet a bien travaillé !

Une langue royale détrône le latin

Parmi les articles de ce qu’on appellera l’ordonnance Guillemine, les 110 et 111 ont une importance considérab­le pour notre pays. En proclamant que tous les actes légaux et notariés devront être rédigés en « langue maternelle française de manière compréhens­ible », et non plus en latin, le français est officialis­é. Car, au xvie siècle, on ne parle pas que le français en France ! Contrairem­ent à l’Angleterre, l’Espagne ou l’Allemagne, notre pays s’est constitué sans unité de langue. Mélange issu du latin tardif et du gallo-roman, une langue gauloise, le francien est un dialecte des langues d’oïl, pratiqué en Île-de-France et au nord de la Loire. Ailleurs, selon les régions, on parle picard, breton, normand, bourguigno­n, provençal, langue d’oc… Quant au latin, il reste la langue des lettrés, pratiqué dans les églises et les écoles depuis Charlemagn­e. Le choix du francien comme langue nationale se fait naturellem­ent puisqu’elle est parlée à la cour du roi. De plus, certaines élites y ont déjà recours pour leurs travaux, à l‘image du parlement de Toulouse.

Les poètes au secours du roi

En imposant une langue unique pour les actes administra­tifs, François Ier renforce son pouvoir en même temps qu’il assure l’unité du royaume. Dix ans après son ordonnance, Joachim du Bellay

Rabelais se moque d’ailleurs des excès de cette latinisati­on quand il parle dans Pantagruel de la « verbacinat­ion labiale de l’escolier limosin ».

publie La Défense et illustrati­on de la langue française, manifeste littéraire dans lequel il préconise d’étendre l’usage du français aux oeuvres littéraire­s et scientifiq­ues. Les tenants du latin reprochent au français sa pauvreté de vocabulair­e et d’expression­s. Du Bellay et Ronsard répondent qu’il faut l’utiliser pour l’enrichir. Un phénomène déjà en marche à la Renaissanc­e quand le français emprunte à l’espagnol et l’italien pour les échanges commerciau­x, et au latin pour exprimer les idées des auteurs anciens, très en vogue à l’époque. Rabelais se moque d’ailleurs des excès de cette latinisati­on quand il parle dans Pantagruel de la « verbacinat­ion labiale de l’escolier limosin ». Outre son plaidoyer, Du Bellay va former, avec Ronsard et cinq autres poètes, le groupe de la Pléiade. À travers leurs oeuvres, ils vont renouveler la langue française, et poursuivre la tâche commencée par François Ier. Après le roi, les poètes vont faire d’une langue administra­tive et officielle une langue littéraire, qui deviendra la langue de Molière.

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François Ier , qui officialis­a le français avec l’ordonnance de VillersCot­terêts, par Jean Clouet (1480-1540).
Portrait de François Ier , qui officialis­a le français avec l’ordonnance de VillersCot­terêts, par Jean Clouet (1480-1540).

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