Un lien indéfectible
Dix ans après le début de leur liaison, rien ne va plus entre les deux amants. Catherine souffre de ne pas avoir un esprit supérieur à ses côtés, Grégoire s’essaie à le devenir, sans succès. Le caractère, la naissance, l’éducation… tout les sépare. Tout, sauf peut-être l’amour, ou du moins l’expression d’une tendresse qui unira les vieux amants jusqu’à la mort.
Grégoire ne sait plus que faire pour garder les faveurs de sa souveraine. Il a tout tenté, même de se mettre à la lecture, de s’intéresser à l’agronomie, à la peinture, de correspondre avec Jean-Jacques Rousseau. Las, le costume de l’intellectuel ne lui sied guère et les livres lui tombent vite des mains, quand sa paresse naturelle le rattrape. Le géant ronge son frein, Catherine ne sait plus qu’en faire. Aussi, quand après trois ans de guerre avec les Turcs vient le temps de l’armistice, elle saisit l’occasion et envoie Grégoire à Fokchany mener les pourparlers. La Russie a très nettement l’avantage et devrait obtenir ce qu’elle désire, la Crimée et l’accès à la mer Noire.
Un rival de 28 ans
Mais Grégoire est un soldat, pas un diplomate. Dans ses nouveaux habits, il fanfaronne, blesse les Turcs par son arrogance, s’attire la colère du haut commandement russe et multiplie les conquêtes féminines. Catherine l’apprend et se dit qu’elle serait bien bête de ne pas en faire autant… Voilà des mois qu’elle ronge son frein. Le jeune Alexandre Vassiltchikov lui plaît bien, il a pour lui son allure et son âge, 28 ans, qui ne font pas peur à la femme de 43 ans. Elle le met dans son lit et dans les appartements de Grégoire. Comme elle l’a fait pour ce dernier, elle couvre le nouveau de cadeaux et en fait une « fille entretenue », au grand scandale de la Cour et de l’Europe. Quand la nouvelle parvient à Fokchany, Grégoire entre dans une colère noire et saute sur son cheval. Il faut à peine
Le jeune Alexandre Vassiltchikov lui plaît bien, il a pour lui son allure et son âge, 28 ans, qui ne font pas peur à la femme de 43 ans.
quinze jours à l’amant éconduit pour rentrer à Saint-Pétersbourg. Catherine connaît bien les emportements de son colosse, et inquiète, elle l’assigne à résidence aux portes de la ville, sous prétexte de quarantaine. Précaution supplémentaire, elle fait changer les serrures de ses appartements, on ne sait jamais ! Au fond de son coeur, elle est touchée par ce qu’elle prend pour une preuve d’amour, alors qu’il ne s’agit peut-être que d’une blessure d’ego.
Catherine prend ses distances
Voilà Grégoire retenu à Gatchina, qui trépigne d’impatience. Elle lui écrit tous les jours, alors qu’elle sort des bras du jeune Vassili. Elle le démet de ses fonctions d’ambassadeur, mais lui accorde le titre de prince. Rouerie féminine ou sentiment de culpabilité ? L’assignation à résidence ne peut plus durer, Grégoire fait son retour à la Cour, sa colère calmée, mais son arrogance nourrie par son nouveau titre princier. Catherine ne le renvoie pas mais garde ses distances, toute à ses nouvelles amours. Grégoire, comprenant bien que son temps est fini, s’étourdit de plaisirs, mène une vie de débauche et se jette sur le premier jupon qui passe, qu’il soit celui d’une princesse ou d’une fille de peu. Sa conduite le fait surnommer par un diplomate français le « prince bourlaque », le prince vulgaire. Il parcourt les cours d’Europe pour se distraire et croise Diderot qui dit de lui : « C’est une chaudière qui bout et ne cuit rien ». Les relations se sont apaisées avec Catherine : elle lui fait construire le palais de Marbre à Saint-Pétersbourg, tandis qu’il lui offre un diamant bleu de Perse de 190 carats. Mais on n’achète pas une impératrice ! Par défi ou par calcul, Grégoire devient même ami avec son rival, Alexandre.
Grégoire et le fantôme de Pierre III
Grégoire croise enfin la route de sa jeune cousine, âgée de 15 ans. Il en tombe amoureux, bien qu’il ait le triple de son âge. Catherine autorise le mariage, interdit par le Sénat pour consanguinité. Mais la jeune femme meurt rapidement. Grégoire est désespéré et revient à la Cour en 1782. Catherine a du mal à le reconnaître, tant il a changé. Il commence à manifester des signes de démence et se croit poursuivi par le fantôme de Pierre III. La nuit, il hurle et c’est Catherine qui vient le réconforter. Grégoire meurt enfin en avril 1783, à 48 ans. Catherine écrit au baron Grimm : « Des bouffées de sanglots sont ma réponse et je souffre terriblement, avant d’évoquer son vieil amant fort, courageux, plein de décision, mais doux comme un mouton : il avait le coeur d’une poule ». Car Catherine sent son coeur battre pour un autre homme, elle qui a besoin d’un amant vigoureux, mais aussi d’un esprit supérieur, à l‘image du sien. Elle vient de le trouver… Il s’appelle Potemkine.