Calais Royal
Pour l’édition 2000, la Coupe de France propose la plus grosse surprise de son histoire, avec un club du quatrième échelon national, Calais, propulsé en finale et levant même le trophée, sans pour autant le gagner. Retour sur un parcours inédit.
Le premier match La finale et l’après-épopée
“Ce parcours jusqu’en finale est l’aboutissement de cinq années de construction" Ladislas Lozano, le coach de l’époque
Il y a meilleurs moment et endroit que de tomber en panne un 8 mai, sur la bande d’arrêt d’urgence de l’A1, à la sortie de Paris vers le Nord. Mais Emmanuel, peintre en bâtiment, ne patientera pas bien longtemps, grâce à une police d’assurance inattendue: la notoriété. “Le dépanneur m’a reconnu direct et m’a prêté une voiture
pour remonter à Calais” s’étonne-t-il encore aujourd’hui. Cela fait depuis janvier que la France du foot n’a d’yeux que pour le Calais RUFC, club pensionnaire de CFA, dont “Manu” est le meneur de jeu. Ce 8 mai 2000, toute la ville de Calais l’attend impatiemment, prête à célébrer le plus dingue des parcours d’un club amateur dans l’histoire de la Coupe de France. La veille, ce peintre et ses coéquipiers disputaient ni plus ni moins que la finale de l’édition 2000, contre les tenants du titre, les professionnels du FC Nantes, au Stade de France.
“Ce parcours jusqu’en finale est l’aboutissement de cinq années de construction, recontextualise Ladislas Lozano, le coach de l’époque. Quand je suis arrivé, j’avais trouvé des joueurs à la mentalité sur-engagée, en allant parfois trop loin aux entraînements.” Pendant deux ans, Lozano et ses dirigeants recherchent l’équilibre financier et technique, avant de dégeler le recrutement la troisième année. “On a apparemment eu la main heureuse, poursuit-il. Ils nous ont tous rendus compétitifs en CFA. Calais, c’est un club établi dans le Nord, et son ambition a toujours été de jouer les trois-quatre premières places.” Ce qu’est justement venu chercher l’attaquant Jérôme Dutitre. Après cinq années à Strasbourg, en formation et deux matchs chez les pros, “avec Dacourt,
Baticle, Leboeuf”, puis “deux années galère” à Angoulême, en National, il laisse un contrat fédéral pour un emploi-jeunes
au CRUFC: “Je voulais juste rebondir dans une équipe de haut de tableau de CFA. À Calais, je bossais pour le club, m’occupais des débutants, nettoyais les vestiaires, apportais les packs d’eau etc…” Et à partir d’octobre,
“disons qu’on avait à peu de choses près trouvé le groupe de joueurs qui allait se retrouver en finale de Coupe de France.” Cela tombe bien. Calais entre en lice en coupe en octobre, pour le quatrième tour, contre le club de D1 départementale Campagneles-Hesdin. Sans trembler et une victoire
10-0. Emmanuel Vasseur attendra le sixième tour contre l’US Marly (CFA2) pour faire son trou. Idem pour Christophe Hogard, autre recrue estivale employée à la mission locale, mais avec l’étiquette du mec formé chez le rival, Dunkerque.
“J’avais même déjà eu des différends avec certains joueurs de Calais,
avoue le principal intéressé. J’arrivais comme attaquant de la DH de Loon-Plage. Fallait que je me trouve une place dans l’équipe. Le coach m’a testé arrière latéral, mais j’étais pas transcendant. Et je dépanne en 6 contre Marly, à prendre le 10 adverse en individuel. Ce sera comme ça jusqu’à la fin de saison: milieu aboyeur.” En fin d’année 1999, Calais écrème la concurrence régionale. Après une partie difficile contre Béthune, le CRUFC s’envoie surtout le rival Dunkerque, dans un contexte très tendu. “Peu avant, en championnat, Calais avait égalisé contre nous sur un pénalty très douteux à la 96e, se souvient Bobby Brown, l’entraîneur de Dunkerque. Ça a montré d’emblée le ton de ce huitième tour. On a été mangés tout cru, explosés, 4-0. On a mis
deux mois à digérer.” Le 4-2-3-1 de Ladislas Lozano – “deux récupérateurs au milieu,
deux ailiers, un joueur en libre en soutien de
l’avant-centre”, dixit le boss – peut entrer dans la cour des grands, celle des 32es de finale. Comme l’année précédente, ce sera contre Lille, le LOSC de Vahid Halilhodžić. “Ça valait une D1. Ils avaient plus de quinze points d’avance en L2”, juge Lozano.
Pour cette revanche, Calais reçoit sous “un temps pourri, sur un terrain pas supersuper”,, se rappelle Laurent Peyrelade, attaquant lillois de l’époque. “Le match traquenard typique de Coupe. Calais, très solide, gagne aux tirs au but, après avoir égalisé sur un csc de Cygan!” Première grosse performance dess
Calaisiens. “J’ai rencontréré Vahid, malade et absent le jour de ce match, un peu plus tard lors d’un stage d’entraîneur, ajoute e
Lozano. Avec sa voix, il me fait ‘Si Vahid pas
malade, Lozano pas gagné’. Ça reste surtout le match le plus abouti de notre parcours.”
Calais avance, Lozano part superviser la CFA2 de Langon-Castets. “Ça veut dire qu’ils nous ont pris au sérieux, rigole Pierrick Landais, ancien joueur de Langon. On n’a pas tenu bien longtemps face à eux, ils tenaient mieux le ballon. À la mi-temps,
c’était déjà plié à 2- 0.” En huitièmes de finale, début mars, toujours pas de Ligue 1 en vue, mais l’AS Cannes (L2) à Boulognesur-Mer. Tenant en prolongation, Calais craque à la 115e. “Le président de Cannes courait vers les vestiaires en criant qu’il était
qualifié…”, s’amuse Hogard, qui égalisera à la 118e, d’une “tête plongeante à deux mètres du but, au ras du sol”. Avec un ascendant psychologique sur les Cannois pour les tirs au but. “On n’était pas des grands tireurs de pénos”,
explique Wilfried Gohel, attaquant cannois. “On en avait loupés pas mal en championnat.” Même karma en coupe, où Calais punit les Sudistes pour s’inviter en quarts.
“À partir de là, on laisse clairement le championnat
de côté”, resitue Dutitre. D’autant que le CRUFC n’affrontera plus que des clubs de Ligue 1. Le coach Lozano concentre son analyse sur le repérage du “circuit préférentiel” adverse: “Dans une équipe de haut niveau, il y a toujours un joueur ou deux qui déclenchent les
mouvements, et qui en impliquent d’autres. Il fallait les identifier. Après, on faisait tous nos entraînements sur la réduction du temps, des espaces et des choix de jeu de l’adversaire. On n’a pas fait n’importe quoi.” Pour encaisser physiquement, Lozano y va crescendo et, après avoir sorti Strasbourg, concocte avec le préparateur physique un plan à J-10 avant la demi-finale contre les Girondins. Calais, “plus frais physiquement et doté d’une force de caractère supérieure” selon Lozano, tombe Bordeaux, après prolongation ( 31). “On bossait beaucoup quand même à l’entraînement, confirme Dutitre. Ce n’est pas un hasard si on a réussi à enchaîner les tours.” Si le coach vit son plus gros moment d’émotion dans les vestiaires, il subit aussi un gros coup de pompe et s’arrête 8 jours, en convalescence au château Ricard, à Clairefontaine- en-Yvelines. La première semaine d’un tunnel de 25 jours pour lui, d’une vague d’intérêt national sans précédent aussi, pour ces amateurs
du ballon. “On en vient à avoir un joueur chez Ardisson... On n’en pouvait plus de cette finale, souffle le coach. Je ne sortais que par obligation, les joueurs étaient tout le temps sollicités.” Jérôme Dutitre vit mieux les
choses: “C’était génial. On vivait presque comme des pros. Quand on allait faire nos courses, les gens nous interpellaient. Mais c’est vrai que le coach essayait de nous préserver.” Se sentant submergés par l’engouement, le CRFUC s’en remet à l’expérience de Jacques Vendroux, directeur des sports à Radio France, et surtout Calaisien. “Tout s’est emballé vraiment après Strasbourg,
raconte-il. C’est devenu démesuré. J’ai passé une après-midi avec eux, bénévolement, à leur conseiller de donner la priorité à la presse locale, Téléfoot, Le Grand Journal de Denisot, d’amener plusieurs joueurs aux points presse, pour pas que le même mec passe
sur toutes les télés en même temps, à leur filer des numéros.”
Pour s’isoler un peu, Calais fait une escale de 24 heures à Clairefontaine, le jeudi précédant la finale. “Nantes avait déjà réservé les lieux à partir du vendredi, confie Lozano. On est allé au château Ricard ensuite. On a croisé le bus des Nantais en partant, dans les allées de Clairefontaine.”
Côté terrain, Lozano termine fâché par le dernier entraînement, interdisant le passage des joueurs devant la presse, sous peine d’être sorti du groupe. “La première fois en cinq ans, regrette-il. Ils n’y étaient pas. Le feeling n’était pas bon, l’espérance que quelque chose de grand allait arriver était un peu passée.” Après une ultime séance improvisée au Stade de France, Le coach se consolera, par surprise, avec les tuyaux de Guy Roux, au téléphone: “Une sieste en pyjama le jour de la finale, comme ce qu’il faisait les jours de Coupe d’Europe avec Auxerre.” Depuis la qualification contre Lille, les “Dunkerquois” Hogard, Baron et Schille se prennent une pause cigarette, souvent avant la sieste, à l’écart. “C’était notre moment à nous, explique Hogard,
sur le balcon de la chambre d’un des trois, discrètement, pour décompresser.” Jérôme Dutitre a lui pris l’habitude de soigner son sac, avec des affaires “très pliées, toujours au même endroit, de la même façon, toujours le même caleçon, les mêmes protège-tibias”.
Bonne intuition puisqu’il ouvrira le score en finale contre Nantes, permettant aux amateurs de rentrer à la mi-temps avec un but d’avance. Puis les Canaris égaliseront au retour des vestiaires, avant de brutalement passer devant. Le coup de sifflet de M. Colombo, à la 89e, désigne le point de pénalty pour une faute “pas vraiment évidente” dixit Manu Vasseur, de Baron sur Caveglia, qu’on a connu plus solide sur ses appuis. “Une éventuelle injustice”, dit Hogard. “Y a jamais péno, recadre Lozano. J’aurais évidemment préféré gagner mais bon... je me demande si l’histoire n’est pas encore plus belle comme ça.” Sibierski marque, Nantes garde son titre et son capitaine, Mickaël Landreau, invite son homologue calaisien, Réginald Becque, à lever ensemble le trophée du vainqueur. Une première. Pour la première fois aussi, Calais n’ira pas fêter un aprèsmatch de coupe au casino de Calais, mais au Lido. “L’endroit était mythique, mais on n’arrivait pas à s’amuser au départ, grimace Hogard. Nos femmes, super importantes, nous ont secoués. Ça s’est détendu et on a fini en boîte de nuit, à l’Écume des Nuits.”
Avant un dernier bain de foule promis le lendemain à Calais, place de la Mairie. “Ce
qu’ont fait ces joueurs est énorme”, félicite
Lozano. “Je n’ai jamais joué de finale de coupe dans ma carrière, constate Peyrelade. Les joueurs de Calais, si.” Et Peyrelade n’aura jamais été aussi bien dépanné que Manu Vasseur, arrivé à temps de sa galère d’A1 pour les célébrations. “Le dépanneur a. m’a ensuite ramené ma voiture à Calais, et on fait l’échange. Parfait.”
"Ce n’est pas un hasard si on a réussi à enchaîner les tours.” Jérôme Dutitre