Entretien star Rio Mavuba
C’est un joueur qui a tout connu, de l’élimination par Bayonne avec Bordeaux en 32es jusqu’à la victoire au Stade de France l’année du doublé, en 2011, avec Lille. Le talentueux Rio Mavuba raconte son histoire personnelle avec la Coupe de France. Et déliv
Le doublé de Lille
“Il y a plus d’enfants en tribunes, les clubs amateurs invitent les clubs de la région, donc même une touche peut être le début d’un gros danger!”
Suspendu contre Bergerac après une expulsion en championnat, Rio en a profité pour préparer la prochaine édition, la sixième, le 10 avril, de la Nuit de Makala, la grande fête annuelle de son association pour aider les Orphelins de Kinshasa, au Zaïre. “Ça me tient à coeur, pas encore toute l’énergie nécessaire, mais je m’y mettrai à 100 %...” Depuis 2009, 80 enfants sont passés par l’orphelinat. “On ne peut pas faire plus, c’est un roulement: les aider à ne pas traîner dans les rues, s’aguerrir, avoir une enfance normale qu’on a la chance de vivre
ici, leur donner le maximum…” Le Zaïre est le pays de son père, qui a joué avec la grande sélection de 1974. Rio, lui, est international français (13 sélections), un habitué du championnat de France et de sa Coupe, dont il n’a pas hésité à livrer ses histoires personnelles.
La Coupe de France, ça commence quand, pour vous? Quel est votre premier souvenir? Mon premier match joué comme professionnel, je ne peux que m’en rappeler: c’est celui qui m’a lancé et je suis sorti de l’équipe en championnat juste après
(rires)! Mon vrai premier souvenir, c’est aussi la Coupe
Gambardella. C’est une compétition qui marque tous les jeunes qui la jouent. Il y avait Toulalan, Faé. C’était notre Coupe de France à nous!
Et dans les tribunes?
Gamin, j’étais déjà allé voir Libourne-Saint- Seurin contre Lille en Coupe de France. Je m’en souviens très bien. Moi, le gamin de la banlieue bordelaise, je m’étais retrouvé dans l’ancien stade Chaban-Delmas… Tout le monde attendait l’exploit, surtout nous, en tant que Bordelais. Lille l’avait emporté, mais c’était une très belle fête, c’était magique… C’est ce qui me plaît, en fait, ce côté convivial. Tous les ans, quand je revois mes potes qui jouent en amateur en DH, ils n’arrêtent pas de me dire: “Cette année, c’est sûr, on va jouer contre
toi…” Bon, ça n’arrive jamais en fait. Une fois, j’ai joué contre le club de mes potes, Trélissac, mais eux n’ont pas joué, alors… La Coupe de France, c’est particulier, parce que ce côté “On est français!”, ça joue: quand tu peux rencontrer des potes à toi et que tu sens que la coupe appartient à toute la France, tu sais que c’est vraiment important…
En 2003-2004, vous arrivez dans le groupe pro et vous êtes éliminé contre Bayonne… Voilà, cette élimination contre Bayonne, j’étais là. Ça fait partie du foot et de la Coupe de France. C’était un contexte particulier: le terrain n’était pas très
praticable. On avait dû le jouer parce que le match passait en direct sur Eurosport. Pour donner une idée, en prolongation, sur un coup franc adverse, le tireur a fait une motte de terre pour placer son ballon avant de l’enrouler… Le truc, c’est que tu replonges vite derrière quand tu perds. En tant que joueur pro, si tu arrives à gagner derrière, ça va, mais si tu perds, ça peut te traîner dans les pattes pendant longtemps, c’est fou…
Comment on se prépare à ce genre de matchs? On anticipe l’intimidation, le défi physique et mental?
La préparation est un peu différente, c’est vrai. On sait qu’il faut être prêt contre une équipe surmotivée, qui veut faire l’exploit. Avec l’écart de niveau, au- delà du talent des équipes amateurs, quand celles de Ligue 1 perdent, c’est qu’il y a une saute de concentration en fait. La clé, c’est le mental.
Comment faire pour se faire respecter très vite dans le match?
Le premier ballon est fondamental, il faut accepter le duel. L’agressivité, elle n’apparaît vraiment que si on commence à ne pas mettre le pied. L’équipe amateur prend alors confiance et on tombe dans les désillusions, on est plus fragile…
Et le public?
C’est sûr qu’en Coupe, le public s’emballe pour une touche ou un corner, ça fait partie du jeu, d’où l’importance de rester agressif et concentré. Il ne faut rien concéder, rien montrer. Empêcher qu’un mec s’enflamme sur un duel, on sait faire, mais empêcher que le public s’enflamme, c’est plus dur. Il y a plus d’enfants en tribunes, les clubs amateurs invitent les clubs de la région, donc même une touche peut être le début d’un gros danger!
Quel est votre souvenir le plus fou de Coupe de France?
Un jour, à Amiens, on a joué contre un pote, et, à la fin, on peut vraiment dire qu’on est reparti à poil. On leur avait tout donné: shorts, chaussettes, maillots… Il fallait le faire de toute façon, ça, c’est marrant, c’est le genre de très bons moments dans l’esprit de la Coupe.
Votre rapport à la France est un peu singulier: vous êtes né apatride, puis vous avez acquis la nationalité française en 2005, quand vous étiez adulte…
Tout joueur a envie de gagner la Coupe de France, c’est la coupe de notre pays, mais dans mon cas, c’est vrai que l’ironie de l’histoire, c’est que j’ai été naturalisé français seulement cinq ans avant de la gagner! Devenir français était très émouvant, un moment exceptionnel. Il y avait d’autres personnes avec des parcours particuliers. Chacun repense alors au chemin parcouru, et puis il y a l’hymne national… Le réentendre ensuite à Saint-Denis pour la finale, aller là-bas quand beaucoup de joueurs n’auront jamais l’occasion d’y jouer, c’est beau. Au Stade de France, je vois
bien que les jeunes sont très impressionnés, c’est normal: c’est là où jouent les Bleus!
Un match de Coupe, est-ce différent dans la préparation des matchs en sélection?
Tout se joue sur un match, c’est vrai, ça peut ressembler à un match couperet d’une compétition internationale, car si tu te rates: “Adios!” Mais en match international, l’impact est plus fort, le niveau de jeu aussi, et puis, c’est tout ton pays qui est derrière toi…
Est-ce qu’avec le brassard, on parle différemment aux joueurs en Coupe. Dans la causerie, les mots, on choisit quel registre?
On essaye de sensibiliser les joueurs avant, les jeunes mecs surtout… Parce que, quand on est un club de Ligue 1 important, il y a pas mal de rotation, et la Coupe de France, c’est l’occasion rêvée pour les jeunes joueurs de s’aguerrir en cours de saison. La Coupe permet beaucoup de choses! Je dis souvent aux jeunes de saisir leur chance en Coupe, car en championnat, ils n’auraient pas joué… Quand tu es jeune, tu as la chance de montrer de quoi tu es capable en Coupe. Honnêtement, le plaisir du jeu, c’est très important. C’est une aventure humaine, ça n’a pas de prix. J’essaie de leur raconter le mieux possible ce que j’ai vécu.
Parlons de l’édition 2011 avec Lille. En 32es, vous jouez contre Forbach (3-1), puis contre Wasquehal, un club dont le président dit que “Lille ne (nous) respecte pas, ne s’intéresse pas au foot d’en bas”…
Bon, il avait un peu abusé, mais c’était de bonne guerre. C’est le tour d’après, contre Nantes, qui a été un tournant. Mickaël Landreau a stoppé quelques penaltys (trois,
ndlr), puis on se prend au jeu, on ne pense pas à la finale du tout, hein, ni à un éventuel doublé, on est la tête dans le guidon…
En quarts, vous passez encore aux tirs au but contre Lorient (5à 3), puis arrive une demi-finale très intense à Nice…
L’ancien stade du Ray était plein. En championnat, un peu plus tôt, on avait gagné 2-0 et on les avait bien fait tourner! Tout le monde était dedans, on le sentait bien: les gens à Lille, la presse régionale, tout le monde. On a eu l’ascendant psychologique, un joueur s’est blessé, Eden (Hazard, ndlr) est rentré et… Pfff, avec son talent, il fait la différence, à 2-0 on a commencé à rêver: on se retrouve en finale, la première depuis 1955 je crois…
Et là…
Là, c’est totalement différent: on retrouve sa ville au Stade de France, il y avait 25 000 Lillois… La pression est là, la Coupe est attendue par toute la région, ça dépasse le statut du club, faut pas se manquer sur ce match-là… Et on joue le PSG! La préparation est différente. Ce qui avait été sympa à l’époque, c’est qu’un des adjoints de Rudi Garcia, Fred Bompard, avait fait un montage vidéo avec les encouragements de nos enfants et de nos familles qui nous saluaient… C’était beau. Ensuite, l’entraîneur n’en fait pas trop, il donne les consignes de match, mais tout est clairement motivant. Les remplaçants sont déçus de ne pas jouer, mais tout le monde est là, on est ensemble. Moi, j’étais capitaine, mais je ne pensais même pas au fait que j’allais rencontrer le président de la République… C’était un contexte particulier, avec Nicolas Sarkozy…
Et vous gagnez 1-0 sur un coup franc d’Obraniak à la 89e minute…
Le lendemain, on est sur la place François Mitterrand devant 15 000 personnes, mais on n’a pas le temps de faire la fête. Le championnat, où Marseille nous collait, reprenait le mardi ou le mercredi! Mais ça n’a pas été vraiment trop difficile de se re-mobiliser. On a présenté la Coupe de France à la mi-temps du match, on sentait la fierté et la joie de tous les Lillois, quand le président l’a présentée… Mon souvenir le plus fort, c’est lors d’une sortie de l’entraînement. Je croise une famille de supporters qui me disent que leur vie n’est pas facile, mais qu’ils nous remercient pour le bonheur qu’on leur a donné… Tu transmets de la joie et du plaisir aux gens, et même si ça ne dure que 48 heures, au moins, tu les as rendus heureux… Cette année, celui qui gagne la Coupe des 100 ans, ce sera forcément aussi!. historique. Ce sera peut- être nous, qui sait. Jouer le maintien et gagner la coupe, c’est une forme de doublé
“Je ne pensais même pas au fait que j’allais rencontrer le président de la République…” “Cette année, celui qui gagne la Coupe des 100 ans, ce sera forcément historique.”