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Yoan Cardinale: À 23 ans, le gardien de l'OGC Nice s'est retrouvé propulsé sur le devant de la scène, alors qu'il en était le 5e gardien il y a encore trois ans.

“Même les plus grands font des erreurs”

- PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLAS JUCHA, À NICE. PHOTOS: PANORAMIC

“L’erreur du gardien fait une différence au tableau d’affichage. Un attaquant peut rater neuf fois mais marquer un but, l’équipe gagne 2-1, on va dire qu’il a fait un super match.”

Depuis deux saisons, il a fait son trou dans les cages niçoises. Une progressio­n calée sur celle de son club. Alors qu’il pourrait découvrir la Ligue des champions avec l’OGC Nice, Yoan Cardinale a accepté de se livrer sur son poste, son jeu au pied ou encore les risques qu’il a pris pour en être là aujourd’hui. À quel âge et pour quelle raison es-tu devenu gardien de but?

Dès ma deuxième année de foot. On fait un tournoi où on n’avait pas de gardien, on tournait chacun notre tour. L’entraîneur me dit: “Toi, tu es meilleur dans la cage que devant, tu vas y rester.”

Ensuite, j’ai été surnommé “Spiderman” à Air Bel parce que j’arrêtais des penalties. Malheureus­ement, je n’en ai pas encore arrêté un seul en Ligue 1. Les penalties, c’est un jeu entre l’attaquant et le gardien, un jeu de regards. Je ne dis pas que les gardiens tentent d’intimider les attaquants, mais on essaie de les faire tirer là où on a envie. Cela marchait plus facilement en jeunes (rires), à Air Bel j’en avais arrêté 13 sur 13.

Qui étaient tes modèles quand tu as commencé dans les buts?

Buffon, Barthez... La Coupe du monde 1998 et l’Euro 2000 pour Barthez, Buffon qui monte en puissance à l’époque. Barthez, c’était le gardien le plus regardé en France, il était énorme et fou complet. Buffon, car il a un charisme, c’est un modèle pas seulement pour les gardiens, mais pour tout joueur. Ce qu’il fait encore à 39 ans, c’est exceptionn­el.

Tu as rencontré Fabien Barthez...

Une fois. Dans un match pour une associatio­n, il y a quatre ans je pense. J’étais en fin de contrat stagiaire, je jouais en CFA. Il m’a conseillé de ne pas me prendre la tête pour des conneries, que si je devais passer pro, cela passerait. Il m’a dit de ne pas écouter ce que les gens disaient, de ne pas me prendre la tête pour des erreurs.

Assimiler ses erreurs, c’est le secret de la réussite des gardiens?

Quand on fait une erreur, il y a deux solutions: baisser la tête et couler, ou alors se dire: “J’ai fait une erreur, mais c’est fini.” Même les plus grands font des erreurs, cela arrive même en Ligue des champions, comme pour Danijel Subašić face à Manchester City. Derrière, il relève la tête et montre à ses coéquipier­s que oui, il a fait une erreur, mais il est toujours là. Cela ne les a pas empêchés de se qualifier. Même Buffon en a déjà fait de belles, notamment face à l’Espagne où il veut tacler le ballon et le laisse passer. Cela pourra encore lui arriver. La différence avec un attaquant, c’est que l’erreur du gardien fait une différence au tableau d’affichage. Un attaquant peut rater neuf fois, mais marquer un but, l’équipe gagne 2-1, on va dire qu’il a fait un super match. Gardien, c’est un poste à risques avec beaucoup de responsabi­lités.

Tu es arrivé à Nice à 15 ans, à l’époque tu as pris en compte la tradition des gardiens locale?

Clairement. Deux ou trois clubs m’avaient proposé quelque chose, Toulouse, Metz et Nice. En parlant avec mon père, je lui dis: “À Nice, il y a quand même de grands gardiens qui ont été formés, Hugo Lloris, Lionel Letizi, Damien Grégorini un niveau

en dessous...” Lui m’a parlé de Dominique

Baratelli (ancien gardien de l’équipe de

France, né à Nice, ndlr), c’était la référence pour lui. On a pris la décision de signer à Nice, mais cela n’a pas été tout simple.

À cause de tes origines marseillai­ses?

Pas du tout. On fait la préparatio­n de début de saison, et le coach Manu Pirès, entraîneur des U17 nationaux, fait la hiérarchie des gardiens. “Toi Yoan, tu

es numéro 4 bis.” Histoire de ne pas dire numéro 5. Quand on quitte sa famille et qu’on entend cela, ça fait mal. Je n’avais pas signé pour ça, mais on ne m’avait pas donné de garanties à la signature de mon

contrat aspirant. Le recruteur m’avait dit: “Quand on a ce contrat, cela veut dire que l’on mise sur toi plutôt qu’un autre”...

Finalement, le gardien numéro 1 a eu une pubalgie, il a raté six mois, le numéro 2 s’est un peu embrouillé avec le coach, je suis passé devant le 3 et le 4. Une fois que je suis entré, le coach m’a laissé finir la saison.

À quel moment tu as commencé à travailler intensivem­ent le jeu au pied?

Dès l’arrivée en formation. C’est le coach Pirès, encore lui. On a 15 ans, on sort de Air Bel, Luynes, des clubs où l’on mettait de grands scuds devant et les attaquants se débrouilla­ient avec ça. Et là, il nous dit: “On veut jouer comme Barcelone.” Alors on s’est regardés, on s’est dit: “Il est fou?” On a commencé les entraîneme­nts, il m’a dit: “Toi, tu n’as pas le droit de dégager, 50 euros chaque dégagement.” À l’attaquant: “Toi, tu n’as pas le droit de tomber.” Aux milieux de terrain: “Vous, deux touches maximum.” Forcément, quand tu ne peux pas dégager, tu commences à prendre des risques, à faire des petites passes, des crochets. Cela a pris, et aujourd’hui cela prend en Ligue 1. On travaillai­t beaucoup la conservati­on de balle sur de petits périmètres pour prendre les informatio­ns plus vite, pour voir avant de recevoir la balle.

Pour travailler ton jeu au pied, tu bosses avec des balles de tennis...

Lionel Letizi le fait beaucoup. C’est lui qui dicte ses séances, il y a des jours où il arrive avec des ballons de rugby, parfois des balles de tennis. Le ballon de rugby, c’est pour le rebond, les balles de tennis pour

“Quand on te balance une balle de tennis, tu n’as pas le temps de réfléchir, c’est l’instant, cela part tout seul.”

la surface réduite, il faut être plus vif, plus attentif. Quand on te balance une balle de tennis, tu n’as pas le temps de réfléchir, c’est l’instant, cela part tout seul. Cela m’aide notamment à être bon sur ma ligne.

Début de saison 2015-2016, tu te souviens de ton rang dans la hiérarchie à Nice?

Troisième gardien, je fais mon premier match le 18 octobre, je suis titulaire à partir de décembre. Je ne m’attendais pas à ce que cela se décante aussi vite. Simon Pouplin se blesse à la première journée, et Mouez Hassen se blesse en équipe de France espoirs. Les médecins disent: “Deux semaines”, je m’attends à ne faire que les trois matchs prévus, cela se passe bien. Quand Mouez revient, il prend un rouge à Toulouse, et là le coach décide de me laisser dans la cage.

Quand tu joues ton premier match de Ligue 1 contre Rennes, tu penses à quelque chose en particulie­r? Quelques années plus tôt, tu devais faire tes débuts, mais tu t’étais blessé...

Un ou deux ans avant, je suis le 5e gardien de pros, je joue en CFA, c’était ma dernière année stagiaire et on m’avait plus ou moins fait comprendre qu’on ne me prolongeai­t pas. C’était l’année pour prendre du plaisir, m’éclater. Début octobre, sur un contact, je me pète le ligament externe du genou. Le chirurgien m’annonce quatre mois d’absence. Je pleure, mais le dimanche suivant, Luca Veronese, troisième gardien des pros, prend un rouge en CFA. Trois matchs de suspension. Le vendredi suivant, Mouez se pète la veille d’aller jouer à Bastia. Anthony Mandrea, 16 ans, part comme remplaçant avec les pros. Je pleure, je pleure, je pleure. Pour moi, faire un banc à cette époque-là, cela aurait été exceptionn­el. Le week- end d’après, David Ospina se pète en plein match, Mandrea entre, cela aurait pu être moi. Alors contre Rennes, j’ai repensé à tout cela, à toutes les galères avec mon petit frère, à toutes les embûches qui sont passées, et j’ai savouré. Mon père m’a alors dit: “Mon fils, la chance, elle se présentera une fois, il faudra la saisir.”

Le club ne devait pas te prolonger en 2013, finalement tu as fait quoi pour que l’on te garde à Nice?

Quand je me suis pété le genou, que Mouez s’est blessé pour trois mois, Ospina trois mois aussi, il ne restait que Veronese et Mandrea. Je suis allé voir le chirurgien, j’ai regardé le calendrier et je lui ai dit: “Cela fait un mois et demi que je suis blessé, le 22 novembre, il y a Nice- Saint-Étienne,

je serai sur le banc.” Il me dit: “Impossible,

ton genou ne tiendra pas.” J’ai repris contre l’avis de tout le monde la course, les spécifique­s avec Lionel Letizi. Puel ne m’a pas pris dans le groupe, car il estimait que c’était trop juste, je n’avais qu’une semaine avec le groupe, mais il m’a dit: “La semaine

suivante, c’est bon.” À partir de là, pendant trois mois, je suis seul avec Luca Veronese à l’entraîneme­nt, et le coach Puel a décidé de me donner un contrat pro d’un an. C’est lui qui m’a accordé une chance. Le fait de batailler pour revenir plus vite, cela l’a convaincu. Si je n’avais pas fait ça, je serais revenu en février, Mouez et Ospina auraient déjà été là. J’aurais repris avec la CFA comme prévu. Pendant trois mois, Claude Puel a pu voir mes qualités et mes défauts, savoir s’il fallait me donner ma chance ou non. Sans ce forcing, je n’aurais pas eu cette chance. Une sacrée prise de risques, mais ma vie se résume à ça.

“Mon premier mach en L1 contre Rennes? J’ai repensé à toutes les galères avec mon petit frère, à toutes les embûches qui sont passées, et j’ai savouré.”

 ??  ?? Le ballon-savonnette.
Le ballon-savonnette.
 ??  ?? Poing Cardinale.
Poing Cardinale.
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Sans les mains.

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