So Foot Club

L'épopée: Aberdeen 1983

À cette époque, Alex Ferguson avait 42 ans, et emmenait le petit club écossais d'Aberdeen en finale de Coupe d'Europe face au Real Madrid.

- PAR FLORIAN LEFÈVRE. PHOTOS: PANORAMIC / DR

Quand il n’avait pas encore les moyens de vivre du football, à ses débuts de joueur à St Johnstone, Alex Ferguson travaillai­t chez Remington, un fabricant de rasoirs, et du haut de ses 19 ans, le jeune syndicalis­te convainqua­it déjà tous les apprentis de l’usine de se mettre en grève. Preuve que l’Écossais est un meneur d’hommes dans l’âme, charismati­que, malicieux. Il l’avait d’ailleurs prouvé la veille de la finale de Coupe des coupes 1983, entre sa modeste équipe d’Aberdeen et le prestigieu­x Real Madrid, annoncé grand favori. Ce soirlà, les deux équipes se croisent dans le couloir du stade de Göteborg, en Suède. Les coachs se saluent. D’un côté, Alfredo Di Stéfano, la légende merengue double Ballon d’or (1957 et 1959), de l’autre, Alex Ferguson, 41 ans, ancien attaquant dont la carrière s’est limitée au championna­t d’Écosse. L’Espagnol ne parle pas anglais, l’Écossais ne parle pas espagnol, mais Fergie a un cadeau à faire: il offre une bouteille du meilleur whisky écossais à son homologue madrilène. Par amabilité? Bien sûr que non. C’est pour flatter Di Stéfano. Pour lui faire croire qu’Aberdeen est “juste

venu en finale faire le nombre”… Pour mieux le surprendre le soir de la finale venu.

Seuls contre tous

L’idylle entre Aberdeen et Ferguson avait commencé cinq ans plus tôt. En 1978, l’Écossais débarque dans cette ville portuaire isolée du nord de l’Écosse. Cette métaphore géographiq­ue, il va en faire son leitmotiv. “Le Celtic et les Rangers ne nous aiment pas, lance-t-il lors de son premier discours devant ses nouveaux joueurs. Eh bien nous ne les aimerons pas non plus.” Mieux, Aberdeen va les battre, en remportant le championna­t en 1980 et la Coupe d’Écosse en 1982. “Ferguson

nous a inculqué cette notion du seul contre tous, comme si nous défendions un siège, explique l’ancien défenseur d’Aberdeen Alex McLeish. Quand on a gagné cette coupe en 1982, ça nous a persuadés que l’on

pouvait battre n’importe qui.” Après avoir mis les Rangers et le Celtic au tapis, il s’agit désormais de se frotter à l’Europe. Bayern Munich, Barcelone, Real Madrid, Tottenham… la cuvée 1982-1983 de la Coupe des vainqueurs de coupes est particuliè­rement relevée. Au tour préliminai­re, les Dons s’offrent une promenade de santé face au FC Sion: 7-0 à l’aller, 4-1 au retour. Puis vient le KS Dinamo Tirana. La veille du match retour, en Albanie, la rumeur se propage qu’un coup d’État se prépare à Tirana. “On voyait des militaires armés dans les rues, mais on ne savait pas vraiment ce qu’il se passait. Finalement, ça ne nous a pas vraiment affectés pour le match”, précise Alex

“Peut-être que vos hommes sont des trous du cul de maris, mais ils vont disputer le match de leur vie, alors si vous avez un problème à la maison, passez par moi!” Alex Ferguson “Je ne pars pas en vacances cette année…”

McLeish. Après la courte victoire de l’aller (1-0), le match nul 0-0 suffit au bonheur d’Aberdeen. À la faveur d’un nouveau tirage au sort favorable qui leur propose les Polonais de Lech Poznań, les Dons se qualifient (2-0, 1-0) pour la première fois de leur histoire en quarts de finale d’une Coupe d’Europe. Et cette fois, la bande à Fergie tombe sur un os: le Bayern Munich de Paul Breitner et Karl-Heinz Rummenigge. “Le match-clé de notre parcours, c’est le 0-0 à Munich, tranche Willie Miller, qui était le capitaine d’Aberdeen. On avait face à nous la meilleure équipe européenne des eighties!” Si Aberdeen a tenu le choc en Bavière, le match retour tourne pourtant à l’avantage des Allemands. Le Bayern mène 2-1 jusqu’à un quart d’heure de la fin, mais Aberdeen parvient à égaliser par Alex McLeish, à la suite d’une drôle de combinaiso­n sur coup franc, répétée à l’entraîneme­nt. “Quand on la travaillai­t à l’entraîneme­nt, on rigolait parce qu’on se disait: ‘Ça ne marchera jamais.’ Mais Alex Ferguson nous répétait: ‘Vous DEVEZ essayer!’ Et quand Gordon a fait mine de tirer, la défense du Bayern s’est déconcentr­ée, nous, on était prêts”, narre le buteur Alex McLeish. Un coup de poker qui a tellement chamboulé le Bayern, qu’une minute plus tard, John Hewitt, à peine entré en jeu, donne la victoire ( 3-2) et donc la qualificat­ion à Aberdeen, devant 24 000 supporters en délire au Pittodrie Stadium. Le favori de la compétitio­n désormais accroché à leur tableau de chasse, les outsiders écossais prennent conscience qu’ils ont un trophée européen à bout de bras. En demi-finales, les Belges de Waterschei – tombeurs du PSG en quarts – se font broyer en Écosse, 5-1. La courte défaite au retour (0-1) devient anecdotiqu­e: Aberdeen est en finale. Par le ciel ou par la mer, par la route ou par la voie ferrée, tous les moyens sont bons pour rallier Göteborg. “La ville entière

bouillonna­it, racontera quelques années plus tard Cathy Ferguson, la femme du coach. (…) En tendant l’oreille dans les magasins, vous pouviez entendre: ‘Je ne pars pas en vacances cette année, parce qu’il [mon mari] va au match.’” Le jour J, l’écrasante majorité des 18 000 spectateur­s du Ullevi Stadion sera vêtue de rouge. De son côté, Alex Ferguson est prêt à tout pour préparer ses ouailles dans les meilleures conditions. Il réunit les femmes des joueurs: “Peut-être que vos hommes sont des trous du cul de maris, mais ils vont disputer le match de leur vie, alors si vous avez un problème à la maison, passez par moi!” Et le grand soir arrive. Il pleut des cordes avant la rencontre. Un temps écossais qui présage la foudre qui va s’abattre d’entrée sur le Real Madrid. Corner de Strachan, tête puissante de McLeish repoussée par le gardien, Eric Black surgit en renard pour propulser la balle au fond, 1-0 (6e). Mais Madrid ne tarde pas à revenir au score sur penalty, à la suite d’une passe en retrait foirée de McLeish. La suite, c’est une domination d’Aberdeen sans réussite. 1-1, la finale se jouera en prolongati­on. À la 112e, personne n’arrête Mark McGhee, qui déborde et centre pour la tête de Hewitt; le gardien se troue, 2-1. À la dernière minute, tout le stade retient son souffle devant le dernier coup franc du Real Madrid: la balle de match passe à quelques millimètre­s du cadre. Aberdeen tient son exploit, Alex Ferguson a réussi son coup. Le lendemain, les magasins et les écoles de la ville écossaise sont fermés. Il s’agit de célébrer les héros comme il se doit. Partis en Suède en avion, les Dons reviennent à la maison à bord du bateau St Clair, ils portent en triomphe Alex Ferguson, qui brandit fièrement la Coupe des vainqueurs de Coupes. Beau joueur, Alfredo Di Stéfano reconnut à Aberdeen “ce que l’argent ne peut acheter: une âme et un esprit d’équipe construits dans une tradition familiale”. .

L’entraîneur madrilène pu se consoler avec la belle bouteille de whisky offerte par Fergie. PROPOS DE MCLEISH ET MILLER RECUEILLIS PAR FL, CEUX DE CATHY FERGUSON TIRÉS DU LIVRE “THE BOSS”, ET CEUX D’ALEX FERGUSON RAPPORTÉS PAR MARK MCGHEE, DANS LE DOCUMENTAI­RE “THAT WAS THE TEAM THAT WAS”.

 ??  ??
 ??  ?? Les joueurs d'Aberdeen posent fièrement avec la Coupe.
Les joueurs d'Aberdeen posent fièrement avec la Coupe.
 ??  ?? Un jeune (et déjà rouge) Alex Ferguson avec son pote Gordan Strachan.
Un jeune (et déjà rouge) Alex Ferguson avec son pote Gordan Strachan.

Newspapers in French

Newspapers from France