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Portrait Mohamed Salah

- PAR ALEXIS BILLEBAULT. PHOTOS: PANORAMIC

L’attaquant de Liverpool est en feu. À la lutte pour le titre de meilleur buteur de Premier League avec Harry Kane, il est également le nouveau héros de la sélection égyptienne.

Né dans un petit village près du Caire, Mohamed Salah appartient aujourd’hui au cercle des meilleurs attaquants du monde. L’Égyptien, flamboyant avec Liverpool et efficace avec sa sélection, a reçu début janvier le Trophée du meilleur joueur africain de l’année 2017. Dans son pays, il est devenu une véritable icône nationale.

Ce soir du 4 janvier 2018, Nagrig est un peu devenue la capitale de tout un continent. Ce village, perdu dans le gouvernora­t de Gharbeya, a vu naître Mohamed Salah, élu joueur africain de l’année 2017. Une distinctio­n qui le hisse parmi les meilleurs footballeu­rs égyptiens de l’histoire. Mohamed Salah, qui n’a encore rien gagné avec son pays, mais dont le palmarès tient déjà en quatre lignes (deux titres de champion de Suisse, un d’Angleterre et une Coupe de la Ligue anglaise) est perçu comme la grande star du moment et de demain dans une Égypte dingue de foot. “Il est très populaire et très apprécié ici, confirme Ahmed Hassan, ancien dirigeant d’Ismaily, un des meilleurs clubs du pays, aujourd’hui agent FIFA. Il est vraiment perçu comme l’un des meilleurs joueurs de l’histoire du foot égyptien. Et il n’a que 25 ans!”

Al Ahly a tout tenté

Le gaucher de Liverpool est aussi l’un des rares footeux égyptiens à réussir loin de chez lui. “Il n’y a encore pas si longtemps, les Égyptiens, à l’image d’El Hadary, Mido, Zaki ou Hossam Hassan, avaient du mal à s’exporter. Ils ne réussissai­ent pas forcément à l’étranger, car, outre la barrière de la langue, le changement de culture, ils bénéficiai­ent en Égypte d’un vrai confort: ils étaient reconnus,

adulés, et souvent très bien payés”, explique un agent sous couvert d’anonymat. La révolution de 2011 et la chute d’Hosni Mubarak ont changé le cours des choses. Le football égyptien a directemen­t été touché par les événements politiques: le championna­t a été interrompu, les clubs ont souffert financière­ment et la reprise des compétitio­ns s’est d’abord effectuée sans public, pour des raisons de sécurité. À l’époque où la révolution éclate, Salah a 19 ans. Il joue depuis qu’il en a 14 dans le petit club d’Arab Contractor­s, équipe du Caire qui a connu ses heures de gloire dans les années 1980 et 1990. “Pendant des années, tous les jours, il faisait le trajet entre son domicile et Le Caire pour jouer au foot, tout en continuant à aller à l’école. À chaque fois en étant accompagné d’un de ses parents, des gens modestes qui l’ont toujours soutenu. Il avait vraiment l’envie de réussir, il s’est donné beaucoup de mal”, résume Hassan.

En 2009, il fait ses grands débuts en première division égyptienne. Et marque tout de suite les esprits. “Il n’avait disputé que quelques rencontres du championna­t égyptien avec son club d’Arab Contractor­s, mais on avait tout de suite compris qu’il avait quelque chose en plus”, se souvient Ahmed Hassan. Ces premières fulgurance­s attirent immédiatem­ent l’oeil des deux mastodonte­s du Caire, Zamalek et Al Ahly. Mais le président d’Arab Contractor­s calme vite les deux courtisans. “Il a estimé que Salah, avec son talent et son potentiel, méritait d’aller jouer en Europe”, ajoute Hassan. Ainsi, à l’été 2012, au lieu de renforcer Zamalek ou Al Ahly, le président d’Arab Contractor­s préfère vendre sa pépite pour 2,5 millions d’euros aux Suisses du FC Bâle, habitués de la Ligue des champions et réputés pour favoriser l’éclosion de leurs jeunes joueurs.

Explosion dans la Ville Éternelle

Presque six ans plus tard, les faits donnent raison au club de Nasr City. En Suisse, pour sa première saison, Salah inscrit dix buts et délivre onze passes décisives, toutes compétitio­ns confondues. Vincent Rüfli, le défenseur internatio­nal suisse aujourd’hui à Dijon, l’a souvent croisé quand il évoluait au FC Sion. “Comme je joue latéral gauche, je l’ai vu de près… Personne n’avait entendu parler de lui quand Bâle l’a fait venir. Il s’est vite fait remarquer, notamment avec sa vivacité et sa technique. J’avais été surpris par

sa capacité d’accélérati­on”, détaille-t-il. Ses premiers pas dans un pays dont il ne parle aucune des trois langues laissent suggérer un avenir prometteur, même si le jeune Salah, qui se met à l’anglais pour mieux communique­r, rate encore pas mal de choses devant le but. “On sentait que dans

“Tous les jours, il faisait le trajet entre son domicile et Le Caire pour jouer au foot, tout en continuant à aller à l’école. Il avait vraiment l’envie de réussir.” Ahmed Hassan.

“Il est plus efficace sur le côté. Non seulement il va vite avec le ballon, mais il a cette capacité à revenir à l’intérieur et à se mettre en position de tir.” Frédéric Bompard

le dernier geste, il ne faisait pas toujours le bon choix. Mais comme il était très jeune, on savait aussi qu’il allait s’améliorer”, précise Rüfli.

De fait, Salah progresse et, en janvier 2014, Chelsea, auquel l’Égyptien avait inscrit deux buts en Ligue des champions quelques mois plus tôt, signe un chèque de 17 millions d’euros pour le faire venir à Stamford Bridge. Mais, à Londres, l’acclimatat­ion est compliquée. Salah joue onze matchs, marque deux fois, mais la concurrenc­e fait de lui un remplaçant de luxe, un statut qui ne lui convient pas. En janvier 2015, les Blues décident donc de le prêter à la Fiorentina, où l’expérience se révèle plutôt concluante, mais pas assez aux yeux des Londoniens, qui décident de le prêter de nouveau à un autre club transalpin, l’AS Roma. Dans la Ville Éternelle, Salah ne déçoit pas son public. À peine deux mois après son arrivée, les dirigeants romains annoncent être prêts à lever l’option d’achat fixée à 15 millions d’euros par leurs homologues anglais. Frédéric Bompard, l’adjoint de Rudi Garcia à l’époque, n’a pas oublié sa collaborat­ion avec celui que le Real Madrid suit avec de plus en plus d’intérêt. “Son passage à la Fiorentina lui avait fait du bien. Il avait commencé à retrouver son niveau. À Rome, je pense qu’il a franchi un cap supplément­aire.”

Salah n’oublie pas les siens

Garcia utilise l’Égyptien sur le côté droit, alors que la Fiorentina n’hésitait pas à le

faire évoluer dans l’axe. “Je pense qu’il est plus efficace sur le côté. Non seulement il va vite avec le ballon, mais il a cette capacité à revenir à l’intérieur et à se mettre en position de tir.” À Rome, sous les ordres d’un entraîneur adepte d’un jeu offensif et qui ne jure que par le 4-3-3, Mohamed Salah travaille beaucoup devant le but lors des entraîneme­nts. “On a pu voir que cela lui avait profité. Il a inscrit 9 buts lors de la première saison et 12 en 2016-2017”,

ajoute Bompard, remercié (avec Garcia) en janvier 2016. Liverpool, dont les finances peuvent lui permettre ( presque)

toutes les folies, décide de redonner à Salah une nouvelle chance en Premier League, chèque de 42 millions d’euros à l’appui. Depuis, les propriétai­res des Reds ne regrettent pas une seconde leur investisse­ment, pour un joueur dont la valeur marchande est aujourd’hui estimée à 140 millions d’euros. “Ce qu’il réalise avec Liverpool ne me surprend pas. Et il a encore une vraie marge de progressio­n. En plus, c’est un mec charmant, agréable, plutôt timide. Je ne garde que de bons souvenirs de lui.” Arnold Bouka Moutou, défenseur du Congo qui l’a affronté deux fois en qualificat­ions au Mondial (1-2, 1-2), un

peu moins. “Il est infernal. Le suivre, c’est compliqué. Il est toujours en mouvement, il va vite, on voit qu’il s’est amélioré devant le but. La preuve, il a marqué trois fois contre nous,

explique le joueur de Dijon. Par contre, il ne se prend pas pour une star. Sur le terrain, il est cool, pas chambreur, pas provocateu­r. L’Égypte sans lui, ça ne doit pas être la même chose…”

C’est aussi l’avis d’Ahmed Hassan: “Sans lui, c’est différent. Et puis, ici, tout le monde estime que l’équipe ne joue pas bien, alors qu’elle possède des joueurs de talent. Héctor Cúper, le sélectionn­eur, est trop défensif. Mais comme les résultats sont là, avec la finale de la CAN (1-2 face au Cameroun)

et la qualificat­ion pour la Coupe du monde,

ça passe mieux…” En Russie, Salah sera l’un des joueurs les plus observés, même si l’Égypte ne fait ni partie des favoris ni même des outsiders. Et à Nagrig, où il a fait construire une mosquée, une école qui porte son nom et où les plus pauvres bénéficien­t de son aide financière, la p. nouvelle étoile du football égyptien sera un

eu plus regardée qu’ailleurs… TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXIS BILLEBAULT

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