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Portrait Sergej Milinkovic-Savic

Le géant serbe de la Lazio est l'une des sensations de la saison en Serie A. À tel point que le PSG et Manchester United en ont déjà fait une cible prioritair­e pour l'été prochain.

- PAR MAXIME BRIGAND ET ADRIEN CANDAU. PHOTOS: PANORAMIC

25juillet 2015, stadio ArtemioFra­nchi de Florence. Ce jourlà, le soleil laisse glisser de fines gouttes sur les crânes et, derrière son bureau, Daniele Pradè, le directeur sportif de la Fiorentina, s'agace: “Nous n’avons jamais eu à supplier quelqu’un pour

le faire signer chez nous. Jamais.” Face à lui, Sergej Milinković- Savić, 20 ans, champion du monde U20 avec la Serbie quelques semaines plus tôt, s'apprête à s'engager pour la Fiorentina. Mais, pour l'une des premières fois de sa carrière, il tremble. Il hésite. À ses côtés, son agent, Mateja Kežman, ancien attaquant du PSG, tente de résoudre la situation. Des minutes intenses, déjà décisives dans une carrière. Puis Milinković- Savić craque. Il fond en larmes. “Désolé, mais je ne peux pas, je ne pense pas que ce soit le bon choix…”

Un refus inattendu et jamais vraiment expliqué. Le lendemain, le couple Kežman – Milinković- Savić change de cap, s'envole pour Rome, et le joueur s'engage avec la Lazio pour quelque 10 millions d'euros. “Il

n’avait connu que six mois de haut niveau, la majorité des joueurs pensait que c’était trop tôt pour lui, mais on sait aujourd’hui qu’il a

fait le bon pas. Le grand pas même”, explique son ancien coéquipier au KRC Genk, Timothy Castagne, désormais à l'Atalanta. Mieux: à Rome, Sergej Milinković- Savić va donner raison à Kežman, qui avait flashé sur lui quelques années plus tôt, estimant qu'il avait “quelque chose de spécial” là où beaucoup ne voyaient qu'un joueur “trop lent pour le haut niveau”.

L’élève et le mystère

Lorsqu'il s'avance face à la presse pour son premier jour dans la Ville éternelle, Milinković- Savić est donc une sorte d'objet mystérieux. Et ses premières déclaratio­ns ne vont en aucun cas permettre de rassurer les observateu­rs: “Le club a payé une somme d’argent importante pour moi, peut-être trop.” Ce sera, en effet, l'impression laissée en bouche par la première saison en Italie du joueur, au terme de laquelle personne n'est véritablem­ent capable de répondre

à cette question: que vaut-il vraiment? Étrangemen­t, ce n'est pas la première fois depuis le début de sa carrière que l'on s'interroge sur son niveau. Déjà, quand il débarque à Genk en juin 2014, c'est l'interrogat­ion. Qui est donc ce géant au visage enfantin, fils d'un ancien footballeu­r pro (Nikola) et d'une ancienne basketteus­e (Milana), qui vient de sortir de l'usine formatrice du FK Vojvodina? Son CV de l'époque affiche alors des promesses,

“Il est un leader technique, qui assume de vouloir porter le ballon, mais qui n’a pas besoin de gueuler pour s’imposer. Avec lui, ça vient naturellem­ent.” Julien Gorius, ex-coéquipier à Genk

quelques espoirs, un Euro U19 remporté face à la France en 2013, une Coupe de Serbie glanée avec Vojvodina, trois buts en D1 serbe, et c'est tout. “Quand il est arrivé, c’était un peu la caution mystère du mercato justement, personne ne le connaissai­t vraiment… Il était vraiment très jeune, et avec lui, tout s’est fait sur la pointe des pieds”, rembobine le milieu français Julien Gorius, à l'époque cadre du KRC Genk. En réalité, Sergej Milinković- Savić est surtout un pari à moindre frais recruté pour quelques cacahuètes par un club passé maître dans l'art de la plus-value (Courtois, Benteke, De Bruyne, Koulibaly…) et qui sort d'une saison moyenne en Jupiler Pro League. Débarqué sur le banc de Genk en remplaceme­nt d'Emilio Ferrera au soir de la première journée de la saison 2014-

2015, le technicien écossais Alex McLeish

se souvient. “Quand je suis arrivé, Sergej n’était pas dans l’équipe, il évoluait en réserve. Comme souvent, j’ai commencé mon travail en allant jeter un oeil aux matchs de la B et j’ai découvert ce joueur un peu nonchalant, presque paresseux dans les efforts, mais chez qui on sentait un vrai potentiel. J’ai immédiatem­ent demandé à mon adjoint de s’en occuper.”

De ces premiers jours,

Gorius dit: “Il avait vingt ans, il changeait complèteme­nt d’univers. Il était calme, sans être timide, il lui a fallu du temps pour s’acclimater. Néanmoins, on a tout de suite vu qu’il avait un truc, il fallait juste faire le nécessaire pour que ça remonte à la surface.” Ainsi, McLeish attrape le joueur, le fait bosser à la vidéo, le replace et le secoue mentalemen­t. “L’idée était de mettre au maximum à profit sa vision

“Le club a payé une somme d’argent importante pour moi, peut-être trop.” Sergej Milinkovic-Savic, à son arrivée à la Lazio

du jeu, précise celui qui a été récemment

nommé sélectionn­eur de l'Écosse. Il m’a expliqué qu’en Serbie, on le voyait surtout comme un numéro dix, mais, pour moi, c’était un huit. Là, il m’a dit: ‘Ok coach,

qu'est- ce que je dois faire?' On a bossé sur son aspect défensif, sa couverture du terrain, sa vitesse de replacemen­t et je dois dire que Sergej a été le meilleur élève possible.” Au point de s'imposer en équipe première dès décembre, de devenir rapidement une référence auprès des supporters, un mec qui fait lever la Luminus Arena et à qui “on file le ballon” quand tout tourne mal. “Un leader technique, qui assume de vouloir porter le ballon, mais qui n’a pas besoin de gueuler pour s’imposer. Avec lui, ça vient naturellem­ent”, glisse Julien Gorius. La fusée est lancée.

“Il fait ce qu’il veut sur le terrain”

Mais pour entrer définitive­ment en orbite, il faut s'imposer dans un championna­t exigeant tactiqueme­nt comme la Serie A. Lors de sa première saison, Milinković- Savić est justement une énigme tactique. Son coach, Stefano Pioli, ne sait pas où le placer dans son 4-23-1 où des joueurs comme Keita Baldé, Felipe Anderson et Antonio Candreva occupent déjà les postes offensifs. En janvier 2016, un premier sourire, malgré tout: le Serbe inscrit son premier but en Serie A sur la pelouse… de la Fiorentina. Il tire la langue et fixe son doigt sur le blason de la Lazio, histoire de remettre les mâchoires sceptiques sur son choix de carrière en place. Mieux, le gosse ne doute pas, comme s'il savait, quoi qu'il arrive, que son heure viendrait. “C’est sa plus grande force, il ne se met jamais de pression, car il a une énorme confiance en lui,

affirme son ami Aleksandar Čavrić, avec qui Milinković- Savić a notamment joué à Genk. Je n’ai jamais vu un joueur avec une telle foi dans ses capacités. C’est aussi pour ça qu’il ose et tente beaucoup.” Bingo: sa seconde saison à Rome est un révélateur, le nouveau coach Simone Inzaghi plaçant en lui une confiance presque aveugle et le joueur embrassant définitive­ment le cadre si particulie­r du foot italien. “C’est quelque chose de presque irréaliste, s'amuse Sergej

Milinković- Savić. Ici, c’est vraiment d’abord tactique, tactique et seulement tactique. C’est quelque chose qui a été crucial dans ma progressio­n parce que mon jeu était encore un peu trop naïf et relâché.”

Dans le 3-4-1-2 d'Inzaghi, réglé comme une partition où le meneur serbe évolue souvent en retrait de Ciro Immobile, il prend les commandes du jeu et s'éclate. Il devient même progressiv­ement “le

Sergent”, grâce à des buts célébrés en mimant un salut militaire devant la Curva Nord. Pour asseoir la chose, il claque deux buts au printemps 2017 face à la Roma en demi-finales aller et retour de la Coupe d'Italie, qui balancent la Lazio en finale, étape qui achève de le “rendre

populaire auprès des tifosi” comme l'assume SMS. La saison 2017-2018 en cours est une confirmati­on: l'internatio­nal serbe a progressé en tout, mais surtout dans le réalisme offensif. Quelques grands clubs européens rêvent désormais de lui tirer la jupe. “Franchemen­t, j’ai joué contre lui avec l’Atalanta cette saison, il nous a mis deux buts magnifique­s et il a fait ce qu’il voulait sur le terrain. Il est en pleine confiance”, ajuste Castagne. Au point d'être de plus en plus comparé à Paul Pogba tout en assumant un mode de vie plus simple: passer des moments avec son frère, Vanja, gardien du Torino, ou écouter de la Turbo Folk, mix de musique traditionn­elle et électroniq­ue des Balkans. On l'annonce aujourd'hui au PSG, à Manchester United, pour des sommes avoisinant les 100 millions d'euros. Lui affirme vouloir rester à Rome, où son contrat file jusqu'en 2022 et où il continue d'enchaîner les scènes ouvertes, ce qui lui a permis de décrocher sa première sélection internatio­nale en novembre dernier. “Je pense vraiment qu’il peut devenir le prochain gros talent du bloc de l’ex-Yougoslavi­e,

signe Mateja Kežman. Il ne stagne pas, techniquem­ent, il me fait penser à des joueurs comme Dragan Stojković ou Vladimir Jugović.” Sûrement une preuve ultime fi. qu'en Italie ou ailleurs, le Sergent n'a pas ni de monter en grade. TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR MB ET AC, SAUF CEUX DE SMS, TIRÉS DE MOZZART SPORT.

“J’ai joué contre lui cette saison, il nous a mis deux buts magnifique­s et il a fait ce qu’il voulait sur le terrain. Il est en pleine confiance.” Timothy Castagne, joueur de l'Atalanta

 ??  ?? Après son but dans le derby face à la Roma.
Après son but dans le derby face à la Roma.
 ??  ?? Face à Chiellini, un sacré client.
Face à Chiellini, un sacré client.
 ??  ?? Jeunesse belge.
Jeunesse belge.
 ??  ?? Sa mère était basketteus­e...
Sa mère était basketteus­e...

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