Depuis quelques années, ce sont toujours les mêmes en demi-finales. Pourquoi?
Chaque année, la musique se répète: les mêmes clubs se retrouvent dans le dernier carré de la Ligue des champions. Et c’est tout sauf un hasard. Suivez l’argent…
ans une boîte de nuit branchée, le carré VIP, c'est l'espace idéalement placé en surplomb du dancefloor, où les clients les plus fortunés et les mieux sapés se prélassent en buvant du champagne servi par une hôtesse élégante. Un espace réservé aux habitués, qui semble inaccessible pour le reste de la clientèle. Depuis quelques années, c'est comme si on le retrouvait aussi en Ligue des champions. Le tableau final est devenu tellement sélectif qu'il faut s'appeler Real Madrid, Bayern Munich, Atlético (sauf cette année) ou FC Barcelone pour atteindre le dernier carré. À eux quatre, ces “Very Important Persons” totalisent dix-sept des vingt- quatre places en demi-finales de la C1 depuis la saison 2011-2012 jusqu'à la saison dernière. Il faut même remonter à 2004 pour débusquer une finale inattendue: cette année-là, le Porto de José Mourinho avait mis fin ( 3-0) à l'épopée du Monaco de Didier Deschamps. Depuis, les outsiders se font rares: Schalke 04, tombeur de l'Inter en quarts en 2011, Monaco, qui bat coup sur coup Manchester City et Dortmund en 2017… et c'est à peu près tout. Alors, pourquoi n'y a-t-il plus de surprises?
L’impact des droits TV
La bascule intervient au début du siècle. En 2001, l'UEFA réforme la Ligue des champions. Dans l'ancienne formule, la compétition se déroulait sous la forme de deux phases de poules consécutives avant les quarts de finale. À cause des audiences TV en baisse, l'instance européenne a décidé de remplacer la deuxième phase de poules par des huitièmes de finale aller/retour. Une bonne nouvelle pour le spectacle, mais pas pour les intérêts financiers des clubs: moins de matchs = moins de billetterie, donc moins de sponsoring, de médiatisation… Bref,
un gâteau plus petit à se partager. “Les quatorze plus gros clubs européens s’étaient unis dans une organisation, le G14, pour faire du lobbying contre la suppression de la deuxième phase de poules, parce que ça allait réduire leurs ressources financières”, rembobine l'économiste du sport Pierre Rondeau. À l'époque, le G14 menace de créer une ligue fermée. Alors, pour satisfaire les grands clubs malgré la suppression de la deuxième phase de
“L’UEFA a trop besoin de répondre aux demandes des grands clubs, pour éviter qu’ils créent une ligue européenne fermée.” Pierre Rondeau
poules, l'UEFA change le système de redistribution des droits TV de la C1. Et c'est ce qui va creuser un fossé entre les puissants et les autres.
“Avant, on donnait à tout le monde en fonction des performances, décrypte Pierre
Rondeau. Depuis 2001, les droits TV sont distribués en fonction de la puissance économique de ton championnat. En France, Canal et beIN payent très cher. Il y a deux ans, Lyon, qui a été éliminé de la phase de poules, a touché 25 millions d’euros. La même année, le BATE Borisov n’a touché que six millions d’euros, parce que c’est la Biélorussie…” En résumé, comme ils sont puissants, les gros clubs gagnent beaucoup d'argent, et comme ils gagnent beaucoup d'argent, ils peuvent continuer d'acheter les meilleurs joueurs et se maintenir au sommet. Ce sont les grandes écuries de Premier League, Liga, Serie A et Bundesliga. Ceux qui n'évoluent pas dans ces grands championnats sont les grands perdants.
Les conséquences de l’arrêt Bosman
Il fut un temps où fouler la pelouse de Glasgow ou Rotterdam inspirait autant de crainte qu'un déplacement au Camp Nou ou au Bernabéu. En 1970, le Celtic et Feyenoord composaient la finale de la C1. Cette saison, les deux clubs se sont fait rouler dessus en phase de poules. Outre le manque de moyens par rapport aux cadors du football moderne, les clubs prestigieux des championnats mineurs subissent les conséquences de l'arrêt Bosman, qui a acté la libéralisation des joueurs de foot en 1995. “Des institutions comme le Celtic, Feyenoord ou l’Ajax se maintenaient sportivement grâce à leur formation. Maintenant, dès lors qu’un joueur formé localement surperforme, il se fait acheter par un club étranger. Les joueurs partent dans les meilleurs clubs, qui ont les moyens de les acheter et qui ont en plus les meilleures dotations financières”, note Pierre Rondeau.
Des solutions existent pour retrouver de l'équité et de l'intérêt sportif. Un retour de la dotation des droits TV de la C1 en fonction uniquement des résultats sportifs – comme c'est le cas en Bundesliga – serait un bon début vers plus d'équité. Le nouveau président de l'UEFA, Aleksander Čeferin, avait affiché une volonté de changer les choses, mais encore faut-il que les grands clubs acceptent. Les pistes envisageables? Un salary cap à l'échelle européenne, une taxe sur les transferts mirobolants ou encore rétablir un système de quota de joueurs formés au club. Dans ce cas, un club comme Manchester City, qui vise la victoire en Ligue des champions à court terme sans s'appuyer sur la formation, verrait d'un très mauvais oeil qu'on lui impose un quota de joueurs locaux.
Le spectre de la ligue fermée
Au- delà des questions d'équité sportive, l'UEFA est coincée entre le marteau et l'enclume. Entre le besoin de satisfaire les grands clubs qui font la vitrine de la compétition et celui de relancer l'intensité compétitive. Force est de constater que le suspense disparaît. Les audiences de Celtic-PSG ne seraient- elles pas meilleures si la confrontation offrait plus d'incertitude? Évidemment que si. À partir de l'année prochaine, la nouvelle réforme de l'UEFA va privilégier les performances sportives dans la redistribution des droits TV. Une bonne nouvelle. En revanche, le nouveau mode de qualification assurera quatre places directes vers la phase de poules à chacun des quatre grands championnats, et donc moins de tickets pour les clubs des autres championnats. En conclusion, selon Pierre Rondeau, “l’UEFA a trop besoin de répondre aux demandes des grands clubs, pour éviter qu’ils créent une ligue européenne fermée”. Mais, à force de céder aux caprices des puissants, le
finale.. paradoxe, c'est que la Ligue des champions ressemble déjà à une ligue fermée à partir des quarts de