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Analyse Manchester City

En deux ans, Pep Guardiola a transformé Manchester City en un rouleau compresseu­r prêt à tout gagner.

- PAR MAXIME BRIGAND. PHOTOS: PANORAMIC

Six minutes, pas plus. Sur la vidéo, on voit Thierry Henry, costume gris fermé et cravate serrée, debout derrière une tablette géante. Il est sur le plateau de Sky Sports, où il bosse depuis deux ans en tant que consultant le mieux payé du monde. On est en décembre 2015 et le meilleur buteur de l'histoire du football français semble parti dans un autre monde: celui des souvenirs, et particuliè­rement de ses succès passés au FC Barcelone sous les ordres de Pep Guardiola, avec qui le Français a remporté sept compétitio­ns différente­s dont deux championna­ts d'Espagne et une Ligue des champions, en 2009. Sa mission est alors de raconter le football selon Guardiola: jeu, possession, position. Ce ne serait que ça, avec l'idée fondamenta­le d'écarter les ailiers à l'extrême pour attirer les latéraux adverses vers la ligne de touche et ainsi créer des espaces dans l'axe. Là, Henry précise qu'aucun joueur du Barça de l'époque n'était autorisé à dézoner. “C’est au porteur du ballon de trouver le joueur dans la zone qui lui est impartie”,

précise-t-il. Un jour, lors d'un match joué à Lisbonne face au Sporting Portugal, Henry a marqué, mais Guardiola s'est foutu en colère. La raison? Il avait décroché à plus de cinquante mètres du but portugais. Invraisemb­lable, mais la scène est une clé de compréhens­ion parfaite de l'ensemble Guardiola: un mec qui gagne, peu importe où, peu importe le contexte. Comme si le Catalan avait piqué les codes du football à son arrivée sur un banc, à la fin des années 2000, et qu'il s'en servait désormais pour jouer sa propre révolution.

Moyens illimités

En arrivant en Angleterre, lors de l'été 2016, dans la foulée d'une aventure au Bayern Munich marquée par une toutepuiss­ance en Allemagne – tout sauf une surprise lorsqu'on c on naîtl' ultr asupériori­té du Bayern dans son propre pays – et des échecs en Europe, Guardiola ne savait pourtant pas vraiment où il mettait les pieds. Le journalist­e Marti Perarnau, intime du coach espagnol et auteur de Pep

Guardiola: The Evolution, avait résumé la situation de cette manière: “Au départ, il lui est arrivé à City ce qui arrive quand tu étudies une langue étrangère ou un instrument de musique. Tu apprends, tu avances, tu crois savoir beaucoup de la nouvelle matière et tu progresses, mais soudain, tu stagnes, tu trébuches et tu sens que tu as touché un plafond. C’est la courbe de l’apprentiss­age.” C'est aussi un virage: à Barcelone, il avait des bases solides et Lionel Messi; à Munich, sa mission était de ne pas faire décliner un monstre; à Manchester, il a trouvé un chantier avec moyens illimités.

Au départ, le boss de Manchester City, Khaldoon Al Mubarak, lui a demandé de complèteme­nt transforme­r l'équipe, de la bâtir à son image. Et de gagner. Où? Partout, mais surtout en Europe: depuis l'arrivée de la holding Abu Dhabi United Group (ADUG) en 2008, aujourd'hui propriétai­re à 87,21% du club, Manchester City n'avait réussi à dépasser les huitièmes de finale de la Ligue des champions qu'à une seule reprise (lors de la saison 20152016, avant de se faire sortir par le Real en demi-finale, ndlr). Vingt mois après son débarqueme­nt, Pep Guardiola a réussi sa transforma­tion: son City a disputé début avril les quarts de finale de la C1 face à Liverpool et s'apprête à avaler facilement son premier titre de champion d'Angleterre depuis 2014.

“Je suis venu pour me prouver des choses”

Comment l'expliquer? Par son silence, son côté obsessionn­el et habité, Pep Guardiola est devenu au fil du temps une sorte d'abstractio­n. Un mec qui divise le monde en deux camps: ses adeptes contre

“Si j’ai autant gagné jusqu’ici, c’est avant tout parce que j’ai dirigé le Bayern et Lionel Messi.” Pep Guardiola

le reste de l'univers. On l'oppose souvent à José Mourinho. À ce sujet, Dani Alves s'expliquait au Times il y a quelques mois: “Quand Mourinho allume la lumière dans la pièce, Guardiola, lui, tire les rideaux.”

Lorsqu'il est parti de Munich, certains ont soufflé, d'autres ont loué son apport, comme Manuel Neuer. Son arrivée à Manchester a, elle aussi, été perçue d'une drôle de façon. Peut- être avant tout car il ne faut pas oublier que le Catalan a laissé des gens sur sa route – Zlatan Ibrahimovi­ć, Samuel Eto'o, Thomas Müller, Joe Hart –, des mecs qui ont pointé un manque de courage, mais aussi une intransige­ance quasi militaire de la part du coach. “Et alors?”, semble parfois répondre Guardiola, qui a également fait son ménage à Manchester City et qui a rapidement annoncé qu'il aurait besoin de temps pour réussir en Angleterre. “Si j’ai autant gagné jusqu’ici, c’est avant tout parce que j’ai dirigé le Bayern et Lionel Messi. J’ai eu de la chance. Je suis venu ici pour me prouver des choses. Je ne peux pas changer mon passé.”

Ses dix premiers matchs de la saison 2016-2017 se soldent par dix victoires consécutiv­es. Le 10 septembre 2016, il emmène même son équipe gagner à Old Trafford face à l'ennemi United (2-1). Cet après-midi-là, en tribunes, on chante du côté des supporters de City: “Guardiola est chez nous! Guardiola est chez nous!”

Au nez et à la barbe de Mourinho, coach de United. Sauf que le Catalan prévient rapidement: “Pour l’instant, on a surtout gagné grâce à notre enthousias­me. Pour bâtir quelque chose de stable, de plus contrôlé, nous avons besoin de plus de temps.” Sur le terrain, en effet, City ne maîtrise pas tout, Guardiola encore moins. Son football cherche avant tout à éviter les duels, alors que la Premier League lui en impose en permanence. Alors, il s'adapte, bouscule les lignes, installe David Silva et Kevin De Bruyne en relayeurs de son milieu à trois. Ses latéraux commencent, comme au Bayern, à se recentrer en permanence vers l'intérieur du terrain, et ses ailiers dribblent sans cesse. En interne, la connexion Internet est coupée dans le vestiaire, les joueurs sont soumis à un régime alimentair­e drastique et interdits de toute activité sexuelle la veille des rencontres. Les résultats oscillent: City tombe notamment à Everton (0-4), face à Chelsea (1-3) ou face à Monaco en Ligue des champions ( 5-3, 1-3), et les observateu­rs s'amusent. Guardiola serait (enfin) en train de se planter. Il avoue son échec et demande même à être traité comme tout le monde. Soit avec la même exigence, la même virulence, la même immédiatet­é. Mais, en secret, il sait qu'il est déjà sur la bonne route.

L’enthousias­me et la liberté

Durant l'été 2017, le Catalan fignole son groupe, recrute un gardien joueur – Ederson Moraes –, des latéraux convertibl­es – Walker, Mendy, Danilo – et finalise la transforma­tion de son Manchester City. Lui le dit autrement: “Aujourd’hui, mes joueurs s’amusent sur le terrain, à l’entraîneme­nt et pendant les matchs. C’est la meilleure récompense pour

un entraîneur. (...) Les joueurs de football sont devenus footballeu­rs parce qu’ils aiment jouer avec le ballon. Et je les laisse prendre du plaisir, qu’ils se rappellent quand ils étaient de

jeunes joueurs.” Et City gagne, tout, partout. En 2017-2018, le club n'a perdu qu'une fois en Premier League – à Liverpool ( 3-4), le 14 janvier dernier –, une fois en FA Cup à Wigan (0-1) et deux fois en C1 face au FC Bâle dans un huitième finale retour sans enjeu (1-2) et à Donetsk en poules (1-2), alors qu'il était déjà qualifié.

Le défenseur Nicolás Otamendi, titulaire à 29 reprises en championna­t cette saison, expliquait fin mars avoir évolué au niveau personnel: “Maintenant, je comprends le jeu. Quand je reçois le ballon, je pense déjà à comment le distribuer, en essayant d’avoir quatre ou cinq options en

vue. Avant, cela ne m’arrivait pas.” Des discours comme ça, il y en a des dizaines, de Raheem Sterling à Kevin De Bruyne, sans aucun doute le meilleur joueur du championna­t d'Angleterre cette saison. Après une victoire face à Stoke ( 7-2) le 14 octobre dernier, Pep Guardiola avait alors affirmé avoir vu la performanc­e la plus aboutie de son équipe. “On a à peu près les mêmes garçons que la saison dernière, mais désormais, on avance avec le sentiment de pouvoir marquer à chaque instant. Ne me demandez pas pourquoi, car les consignes, comme je vous l’ai déjà répété plusieurs fois, sont les mêmes.” Et ce, depuis le début de sa carrière d'entraîneur. City est donc sa dernière production et la preuve que Guardiola sait encore exporter son style. j. Plus personne ne doute, reste à voir usqu'où cela peut aller. TOUS PROPOS ISSUS DE CONFÉRENCE DE PRESSE, SAUF MENTIONS.

“Maintenant, je comprends le jeu. Quand je reçois le ballon, je pense déjà à comment le distribuer, en essayant d’avoir quatre ou cinq options en vue.” Nicolas Otamendi

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Leroy de la ville.
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En bonne Kompany.
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