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L'épopée : Ipswich Town 1981

En 1981, un petit club de campagne va bousculer la hiérarchie en proposant le jeu le plus alléchant d'Angleterre, et remporter une Coupe UEFA.

- PAR FLORIAN LEFÈVRE. PHOTOS: DR

Nombreux sont les films sur le football. Rares sont les bons films traitant de football. À nous la victoire, de John Huston, sorti en 1981, en fait partie. C'est l'histoire d'une bande de prisonnier­s pendant la Seconde Guerre mondiale qui va affronter des soldats allemands lors d'un match tant attendu, l'occasion pour eux de planifier un plan d'évasion. Le casting en impose: Sylvester Stallone – meilleur boxeur que gardien, selon ses compères – partage l'affiche avec des stars du ballon rond comme le Brésilien Pelé, l'Anglais Bobby Moore, l'Argentin Osvaldo Ardiles, mais aussi une partie de l'équipe anglaise d'Ipswich Town, entraînée alors par Bobby Robson. “Le coach nous a demandé si on voulait participer. ‘Pas de problèmes', on pensait jusque que c’était pour faire quelques doublages, rejoue le défenseur central Russell Osman. On est allés à Budapest, sauf qu’on est restés cinq semaines!” En effet, à la fin du printemps 1981, Osman et ses coéquipier­s passeront leurs vacances en Hongrie au rythme des tournages et des soirées animées par Pelé à la guitare. Un été original pour couronner une saison brillante.

L’AJ Auxerre à l’anglaise

S'il fallait trouver un double français à Ipswich Town, ce serait l'AJ Auxerre. Comme Auxerre, aujourd'hui, Ipswich Town ne déchire pas les passions en deuxième division. Comme Auxerre, Ipswich se situe à la campagne, dans le comté de Suffolk, face à la mer du Nord. D'ailleurs, les joueurs d'Ipswich Town sont surnommés les Tractor Boys – les “Garçons au tracteur”. Au tournant des années 1970 et 1980, en revanche, l'équipe n'avait rien d'un tracteur, mais ressemblai­t davantage à une Formule 1 dans l'aspiration du grand Liverpool FC. “On était la deuxième équipe préférée de beaucoup de supporters,

avance Russell Osman. À l’époque, les fans de Liverpool, MU, Arsenal, Chelsea ou West Ham nous aimaient. Pourquoi? Pour

notre beau jeu.” Grâce à la confiance de ses dirigeants, Bobby Robson (le futur mentor d'un certain José Mourinho), arrivé en 1969, a eu le temps de façonner une solidité toute britanniqu­e couplée à la folie de ses deux internatio­naux néerlandai­s Arnold Mühren et Frans Thijssen.

“Bobby Robson disait toujours qu’il voyait son équipe comme un puzzle, explique

Osman. Toutes les pièces doivent s’assembler les unes avec les autres – le latéral gauche avec le central, qui doit s’assembler avec le milieu défensif, qui doit s’assembler avec le milieu offensif, qui doit s’assembler avec le buteur, etc. – pour faire de cette somme d’individual­ités pas extraordin­aires une

“À l’époque, les fans de Liverpool, MU, Arsenal, Chelsea ou West Ham nous aimaient. Pourquoi? Pour notre beau jeu.” Russell Osman.

grande équipe.” À l'aube de la saison 1980-1981, il semble que le puzzle soit complet. Après avoir remporté la Cup en 1978 et acquis de l'expérience en Coupe d'Europe, Ipswich Town rayonne sur tous les tableaux: championna­t, Coupe d'Angleterre et Coupe UEFA. En quarts de finale de la C3, les Anglais vont écrire le dernier chapitre de la grande époque de l'AS Saint-Étienne. Emmenés par Michel Platini, les Verts bombent le torse après avoir torché Hambourg, un des favoris, sur le score de 5-0. Mais, cette fois, ce sont eux qui vont recevoir une leçon à domicile: 1-4! Les buteurs se nomment Paul Mariner (deux fois), Arnold Mühren et John Wark. À la fin du match, l'entraîneur stéphanois, Robert Herbin, n'en revient pas: “Ils étaient à 10 derrière et à 10 devant. Extraordin­aire!”

Whisky, champagne et saison marathon

Contre Saint-Étienne, Ipswich Town perpétue une bonne habitude: celle de faire la différence dès le match aller, comme ce fut le cas à domicile contre les Grecs de l'Áris Salonique ( 5-1), les Tchèques des Bohemians ( 3-0) et les Polonais du Widzew Łódź ( 5-0). En perdant 2-0 au retour à Prague en 16es, les Anglais ont eu chaud et froid à la fois. “La températur­e était de -8/-10°C, c’était glaçant, se rappelle

Osman. Avant le match, le coach a insisté pour que chacun prenne une gorgée de whisky. Il avait acheté et posé sur la table du vestiaire une grosse bouteille de Bell’s Whisky! C’était une manière de relâcher la pression.” En vérité, les Bleus ont surtout l'habitude de trinquer après le match. Quand ils gagnent, le président apporte une bouteille de champagne dans le vestiaire. Quand ils perdent, il en apporte deux. “C’était sa façon très classe de regarder la défaite”, dira

Bobby Robson dans sa biographie.

Les joueurs n'ont jamais le gosier sec: cette saison-là, l'équipe dispute pas moins de 66 matchs officiels! “J’ai joué les 66 matchs sur 66, plus sept matchs internatio­naux”,

balance le marathonie­n Osman. En avril, c'est un calendrier démentiel, 8 matchs se succèdent en l'espace de 16 jours: West Brom en D1, la demi-finale aller de Coupe UEFA contre Cologne, la demi-finale de Cup contre Man City, Aston Villa en D1, Arsenal en D1, Norwich en D1, la demifinale retour contre Cologne et Man City en D1. Pas étonnant qu'Ipswich Town laisse filer le titre de champion d'Angleterre dans la dernière ligne droite. Mais il reste cette finale de C3 face aux Néerlandai­s de l'AZ après deux victoires étriquées en demies (1-0, 0-1).

Un dernier déplacemen­t à Budapest

Ipswich Town ne va pas tout perdre. Car, encore une fois, les hommes de Bobby Robson vont enflammer leurs supporters à Portman Road: victoire 3-0 à l'aller grâce à un penalty de Wark, une tête de Thijssen et un but de renard de l'inévitable Mariner, auteur de six réalisatio­ns dans la campagne européenne. Au retour, les Hollandais partent à l'abordage, mais le succès 4-2 ne suffit pas à renverser la vapeur: Ipswich Town remporte la Coupe UEFA. La suite, c'est une foule en liesse pour accueillir les héros dans les rues du comté de Suffolk… À. avant que certains ne rallient Budapest.

eux la victoire.

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Photo de famille
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Harald Schumacher, un an avant France-RFA 1982.
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Face à Saint-Étienne

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