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BENZEMA DE RETOUR EN BLEU

Il est certains déserts plus longs, plus chauds, plus dangereux que d’autres. Celui que vient de traverser Karim Benzema loin de l’équipe de France touche à sa fin. Rappelé à 33 ans par Didier Deschamps pour disputer l’Euro après cinq ans et demi de ban,

- PAR MATHIEU ROLLINGER. PHOTOS: ICON SPORT

Contre toute attente, l’attaquant du Real Madrid a été convoqué pour le prochain Euro par Didier Deschamps. Incroyable, mais pourtant réel.

Pour la première fois de l’histoire, aucun joueur du Real Madrid n’a été appelé à rejoindre les rangs de la Roja. Nacho, Asensio, Odriozola, Vázquez et surtout Ramos, pas suffisamme­nt remis de ses pépins physiques, devront supporter depuis chez eux la jeune garde appelée par Luis Enrique pour cet Euro. Ils pourront alors demander des conseils à leur collègue Karim Benzema, habitué des soirées canapé pendant les matchs internatio­naux, puisque privé d’équipe de France depuis octobre 2015 et les prémices de ce qui deviendra “l’affaire de la sextape” (voir encadré). “À chaque rassemblem­ent internatio­nal, 25 joueurs sur 26 partaient en sélection. Et moi, je m’entraînais avec la réserve, avec les jeunes, soufflait le Nueve à L’Équipe. Mais je ne pouvais pas baisser les bras.” Bien lui en pris, puisqu’aujourd’hui, ce sont les Français de la Maison-Blanche qui forment le contingent le plus fourni des Bleus pendant le mois de juin. Sans Ferland Mendy, en convalesce­nce, mais avec l’indéboulon­nable Raphaël Varane et… l’ex-tricard Karim Benzema. Ce retour, aussi surprenant soit-il, marque le point final de mois de débats et d’incompréhe­nsions. Le 18 mai dernier, la rumeur de la présence de Benzema dans la liste des 26 a pris de l’épaisseur d’heure en heure. C’est d’abord L’Équipe qui l’annonçait au conditionn­el dans ses pages du matin, avant que Le Parisien ne se montre plus affirmatif. Et à 20h20, sur les antennes de TF1 et de M6, c’est un Didier Deschamps tout pimpant qui déroulait le nom des Euro élus. Placé entre Wissam Ben Yedder et Kingsley Coman comme on réciterait l’alphabet, le nom de Karim Benzema est alors lâché sans intonation particuliè­re par le Basque. “Moi, j’attendais comme tout le monde, devant la télé, et avec tous mes proches au téléphone, ma mère, mon père, raconte l’ancien Lyonnais. Je ne vais pas vous mentir, c’est allé super vite. Ça a été un très gros sentiment de joie et de fierté. Très vite, j’ai repensé à tous ces moments où je n’avais jamais lâché. C’était un petit choc, ça faisait longtemps!”

“Par rapport à Karim, il y a une étape importante, c’est le fait qu’on puisse se voir et discuter ensemble.”

Didier Deschamps

De son côté, le boss des Bleus le savait très bien: il serait sommé de s’expliquer dès les secondes suivantes. L’argumentai­re est préparé, solide, construit. “Qu’il y ait des gens qui soient surpris par mes choix, ça a toujours été le cas. Qu’il y en ait plus ce soir que les autres fois, pourquoi pas, concédait le sélectionn­eur. Par rapport à Karim, il y a une étape importante, c’est le fait qu’on puisse se voir et discuter ensemble.” Une réponse qui pose plus de questions qu’elle n’y répond, après des années à esquiver avec plus ou moins d’imaginatio­n, mais toujours autant de constance les relances des journalist­es sur le cas Benzema. Alors, monsieur le sélectionn­eur, quand a eu lieu cette discussion entre les deux hommes? “Je ne vous donnerai ni l’heure, ni le lieu, ni la date, mais c’était il y a un moment quand même.” Si on sait aujourd’hui que ça remonte à la fin du mois d’avril dernier, qui a provoqué ces retrouvail­les? “Pourquoi faudrait-il mettre plus en valeur l’un que l’autre? Que ça soit lui ou moi, ça n’a aucune importance.” Quand a-t-il pris sa décision? “Sincèremen­t, si je vais au bout de la question, la décision a été prise aujourd’hui. Mais dans ma tête, elle a été prise depuis un bon petit moment.” Pourquoi ce timing, à quelques jours de l’Euro, dans

une équipe pleine de certitudes? “Je ne suis pas un magicien, lui non plus. Ça s’est passé là, aujourd’hui, on ne peut pas faire machine arrière. Voilà, c’est fait.”

Le droit à la deuxième chance

Le tumulte autour de la relation BenzemaDes­champs, et plus largement autour de la relation entre Benzema et la France, a mis du temps à se dissiper. Parce que son cas cristallis­ait beaucoup de choses que le pays ne voulait plus voir au sein de son équipe nationale. En 2015, Knysna était un fantôme pas encore complèteme­nt rangé dans les placards, même si la qualificat­ion héroïque des Bleus contre l’Ukraine en novembre 2013 pour le Mondial brésilien avait permis de passer un peu de pommade. Si Karim Benzema n’était pas de la mutinerie sud-africaine, il payait ici le climat alors ambiant. Le chantage qu’il aurait exercé sur son coéquipier Mathieu Valbuena renvoyait à l’image de voyous que dénonçait l’ancienne ministre des Sports, Roselyne Bachelot. Ainsi, Didier Deschamps et le président de la FFF Noël Le Graët n’avaient d’autre choix que de se montrer intransige­ant avec les joueurs n’entrant pas dans la nouvelle ligne de conduite, celle de l’exemplarit­é. De sorte qu’entre le dernier match de Karim Benzema avec les Bleus contre l’Arménie le 8 octobre 2015 à Nice (victoire 4-0 avec un doublé et une passe décisive de KB9) et son retour le 2 juin 2021 contre le pays de Galles, toujours à Nice, c’est un véritable feuilleton qui s’est joué.

Du haut de ses 81 capes, l’attaquant pouvait se sentir trahi par ce sélectionn­eur qui l’avait pourtant soutenu dans les moments difficiles, comme lorsqu’il avait observé une disette de 1222 minutes sans marquer avec les Bleus entre juin 2012 et octobre 2013. Les portes de l’EDF fermées, le Madrilène réclamait des explicatio­ns et accusait Deschamps dans la presse espagnole d’avoir “cédé à la pression d’une partie raciste de la France”. Un discours repris par Éric Cantona ou par les individus ayant tagué la maison de vacances bretonne du champion du monde 1998.

Ça, Deschamps ne l’aura jamais digéré. “Ça restera, assurait-il sur Europe 1. On vit avec, mais, à ce moment-là, j’ai considéré que la ligne blanche avait été franchie, et quand on franchit la ligne blanche, il y a un point de non-retour.” Pourtant, retour il y eut. Peut- être parce que le temps est passé. “Que Karim ait gagné en maturité, en sérénité, qu’il ait changé certaines choses, sans doute, avançait DD. Ce qu’on fait à 20 ans ou 25 ans, on ne le fait pas à 30. On gagne de l’expérience aussi. Tout le monde se construit.” La parole a aussi aidé à remettre tout ça à plat. “Ça nous a fait du bien de discuter, d’échanger et de voir qu’on avait beaucoup de choses à se dire, confie le joueur. Au bout de trois minutes, tout était redevenu comme avant. Alors que ça faisait plus de cinq ans qu’on ne s’était pas croisés.” Pourtant fan inconditio­nnel du joueur, Noël Le

Graët n’y croyait plus, estimant en octobre 2018 dans Ouest-France que “les Bleus, c’est terminé pour lui”. Aujourd’hui, dans L’Équipe, le président de la FFF se félicite du virage qu’a pris l’histoire: “J’ai toujours à peu près souhaité que ça se termine comme cela, vous le savez bien.”

L’histoire sans F1

Ceci dit, la réhabilita­tion de Karim Benzema n’est pas que symbolique ou politique. Elle s’explique aussi et surtout sportiveme­nt. À 33 ans, il vient de signer une de ses meilleures saisons dans la capitale espagnole, portant à bout de bras les Merengues avec ses 30 buts claqués. La sélection du quadruple champion d’Europe permet aussi de rassurer un sélectionn­eur qui a vu Kylian Mbappé ne pas être encore calibré pour jouer à la pointe de son attaque, un Wissam Ben Yedder pas pleinement convaincan­t et surtout un

“On m’a toujours un peu reproché l’absence de Karim Benzema, cette rivalité supposée, montée de toutes pièces par certaines personnes.” Olivier Giroud

Olivier Giroud de plus en plus en difficulté avec son club de Chelsea. Puisqu’on parle de Giroud, voilà un autre dossier qu’il faudra rapidement classer. Alors qu’on a opposé les deux attaquants pendant des années, que l’un s’est comparé à une F1 en cataloguan­t l’autre comme un karting, il y a fort à parier que les deux sauront faire bonne figure, comme lorsqu’ils évoluaient ensemble dans le temps d’avant. “On m’a toujours un peu reproché l’absence de Karim Benzema, cette rivalité supposée, montée de toutes pièces par certaines personnes, expliquait l’ex-Montpellié­rain en octobre dernier à Téléfoot. L’histoire du karting et de la F1? Ça m’a fait marrer le connaissan­t. Je n’ai aucune rancune par rapport à ça. Peut-être que ma carrière aurait été meilleure avec Karim, tous les deux devant. Mais on ne le saura jamais.” Ne jamais dire jamais. Les deux “concurrent­s” se sont croisés dernièreme­nt au cours d’une demifinale de Ligue des champions et ont pu aussi crever quelques abcès. “On a parlé, tranquille. Il m’a félicité pour mon but. C’était bon esprit, c’était cool, relatait KB9. J’ai déjà joué avec lui, là, ça va être pareil qu’avant.”

“L’humilité, il faut tout le temps l’avoir, maillot ou pas maillot, débutant ou ancien, grand joueur ou petit joueur, toujours! Ça fait partie de moi.”

Karim Benzema

Pareil ou presque, car entre-temps, l’avant- centre des Blues a claqué 34 buts en sélection et est devenu vice- champion d’Europe et surtout champion du monde. Chose que Karim Benzema ne pourra jamais lui enlever. Aujourd’hui, si son retour fait du bruit, lui compte revenir sur la pointe des pieds, conscient que ce groupe s’est construit sans lui. C’est dans cette optique qu’il a récupéré le numéro 19. “L’humilité, il faut tout le temps l’avoir, maillot ou pas maillot, débutant ou ancien, grand joueur ou petit joueur, toujours! Ça fait partie de moi, assure-t-il. Oui, j’avais un numéro avant, mais des joueurs sont venus et ont eu ce numéro-là (le 10 est porté par Mbappé aujourd’hui, NDLR).

Je ne me sentais pas de revenir et de dire: ‘Donne-moi ton numéro’, non surtout pas. Ça ne m’intéresse pas de faire ça. Je prends ce qu’il y a. Et puis le 19, c’est celui de mes débuts à Lyon. Et ça fait 10+9. Donc voilà, les deux numéros que j’aime en un seul!” Voici sûrement de quoi rassurer Didier Deschamps quant à l’intégratio­n de Karim Benzema dans cette équipe de France qui a bien grandi sans lui. De toute façon, le boss n’aurait jamais pris cette décision si l’équilibre qu’il y a apporté pouvait être menacé. “Quoi qu’il arrive, quand je fais des choix, ma responsabi­lité est importante et amène des conséquenc­es, ajoute-t-il. Et ces choix-là sont toujours fait en fonction de ce que je pense être le bien de l’équipe de France. J’ai toujours été animé par cet état d’espritlà.” Pour sûr, une associatio­n GriezmannM­bappé-Benzema ne risque pas de faire de mal à cette équipe de France et pourrait même la rendre plus grande encore.

Propos de Deschamps recueillis par MR sauf mention, ceux de Benzema par L’Équipe et Marca.

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Pour son dernier match en Bleu, le 8 octobre 2015 contre l’Arménie, Benzema avait inscrit un doublé, avant de sortir sur blessure.
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