FRANÇAIS LV1
PORTRAIT Gernot Rohr n'a plus le monopole de l'Allemand sympa de service. Ancien prof de francais, Peter Zeidler promene sa francophilie sur les bancs de ligue 2 du cote de Sochaux. Une evolution logique pour un homme qui a toujours prefere Platini a Rumm
À quoi reconnaît-on la fin d’une histoire? Au Football Club Sochaux-Montbéliard, il suffit de jeter un oeil à la sortie du parking des joueurs et voir débouler des berlines allemandes, des sportives italiennes ou un Hummer indiquant que son propriétaire emmerde le concept d’empreinte carbone. Il y a encore dix ans, Karim Ziani se faisait réprimander par ses dirigeants pour être apparu dans Stade 2 avec une Golf. C’était l’époque où Benoît Pedretti était prié de garer sa Renault Mégane à l’entrée du stade Auguste-Bonal afin de ne pas dépareiller au milieu des 406, 607 ou autres 807 de bons pères de famille. Le 6 juillet 2015, PSA officialise la vente au groupe chinois Ledus d’un club qui a été depuis sa création le prolongement sportif du paternalisme social de la famille Peugeot. Depuis, la mixité automobile est de mise et les quelques véhicules de la marque au lion sont surtout garés devant les bureaux de l’administration. Peter Zeidler est peut-être originaire de Stuttgart, berceau de Mercedes-Benz ou Porsche, le technicien préfère son vélo de route pour venir au boulot. Le plus souvent, il l’embarque dans le TER en partance de Belfort, où il vit. “Il m’arrive aussi de tout faire à vélo”, avance celui qui a pris place sur le banc du FCSM en juillet dernier. À 55 ans, l’Allemand affiche une silhouette de jeune homme, un physique sec et un crâne lisse qui contraste dès le premier contact avec l’amabilité du personnage. Zeidler est du genre curieux, bavard même. Mais il a une excuse, toujours la même depuis bientôt quarante ans: “Il faut pratiquer et encore pratiquer une langue étrangère, profiter de toutes les occasions.” Et chez lui, le football reste le meilleur médium pour progresser encore, “même si je garderai toujours mon accent et que le français ne sera jamais ma langue maternelle”.
Parce qu’il a longtemps enseigné la langue de Molière outre-Rhin, Zeidler trimbale l’étiquette de l’entraîneur
gentiment intello. “Oui, j’aime Camus, Maupassant, Stendhal, mais je n’étais pas forcément un grand littéraire, coupe-t-il. On va me donner cette image parce que je connais les Fables de La Fontaine, mais c’était surtout pour les faire étudier à mes élèves. Je lis beaucoup moins maintenant. C’est dommage, mon esprit est focalisé sur le foot, comme tous les entraîneurs: ce n’est pas bien.”
Saccomano, Kastendeuch et Maisons Phénix
Aujourd’hui, l’ancien adjoint de Ralf Rangnick à Hoffenheim confesse surtout éplucher
L’Équipe, une lecture presque sacrée qui le renvoie à son adolescence et à ses premiers émois. Avant d’aimer la France, sa langue et sa culture, Peter Zeidler a d’abord rencontré son football. Une drôle d’idée à la fin des années 70 pour un représentant de la République fédérale d’Allemagne. Internet s’appelle encore Arpanet, l’information se mérite, et la D1 apparaît comme un continent inconnu qu’il explore en épluchant l’édition du quotidien sportif de la veille, dénichée à la gare centrale de Stuttgart. “C’était comme une quête.” Avant, il y a eu les premiers samedis passés à brancher le transistor en grandes ondes pour entendre le multiplex d’Europe 1. Les premiers mots de français prennent l’accent tonitruant d’Eugène Saccomano. Le permis en poche, le jeune Allemand roule jusqu’à cette colline au-dessus de chez lui pour mieux capter. Il n’a alors que l’imagination et la poésie de quelques noms propres pour développer une certaine d’idée de la France et de son foot. “J’imaginais le style de joueurs que je n’avais jamais vus, comme Chalana à Bordeaux par exemple. Je me souviens aussi du Stade Lavallois de Michel Le Milinaire avec Erwin Kostedde, l’Allemand qui ne venait que pour les matchs.” Et quand ses compatriotes plébiscitent la Costa Brava pour les vacances, lui opte toujours pour la France, et peu importe où, “du moment
que je pouvais lire L’Équipe le jour même”. Même dans un résumé d’un Nantes-Marseille, il discerne toutes les “nuances et les subtilités du français par rapport à l’allemand pour décrire le jeu, le mouvement…”.
Lens, Lille, Bordeaux, Toulouse, Nice ou Strasbourg, l’étudiant sillonne, seul ou avec des amis, la France, ses campings et surtout ses stades. Proximité frontalière oblige, il y a bien sûr La Meinau –“Strasbourg était à peine à deux heures et demie de chez moi. Je pouvais faire l’aller-retour dans la journée”–, où il assiste au début du jeune et chevelu Zidane avec son maillot Maisons Phénix de l’AS Cannes ; mais aussi SaintSymphorien, ses odeurs de merguez et l’élégance de Sylvain Kastendeuch, “le Beckenbauer messin”, selon l’Allemand. Forcément, le 8 juillet 1982, Peter Zeidler a le coeur qui bat à l’encontre de son passeport. Quand cette montagne de Horst Hrubesch prend Ettori à contre-pied, le francophile a la défaite lourde et amère. Il exècre les Schumacher et Breitner, leur football viril, leurs manières de mauvais garçons avec les histoires d’alcool, de moeurs et de primes qui vont avec. “Cette équipe a atteint deux fois la finale de la coupe du monde, mais elle n’était pas très aimée”, avance celui qui préfère le romantisme à une touche de balle des Giresse, Platini et Rocheteau. “Il y avait cette envie de continuer à jouer sans tenir compte du résultat. Le football français l’a un peu perdu depuis.” Au fond, Zeitler aurait aimé être un footballeur tricolore, lui qui se décrit comme un meneur “qui comprenait le jeu”, mais trop lent et “pas assez puissant” pour émerger plus haut que la D4 locale, malgré quelques sélections en jeunes avec sa région du Bade-Wurtemberg. À défaut de devenir pro, Zeidler décide très vite d’enseigner le foot. À 24 ans, il cumule les casquettes d’entraîneur et de joueur à Tübingen, puis intègre le VfB Stuttgart, où il devient éducateur en parallèle de l’enseignement. Nous sommes au milieu des années 90 et l’Allemagne vit encore des certitudes affichées par Franz Beckenbauer au lendemain du titre de 90. “Divisés, nous étions les meilleurs. Réunifiés, nous serons invincibles”, clame alors le Kaiser. La victoire à l’Euro 1996 entretient cette illusion avant que les crashs de 1998 et 2000 viennent rappeler que le football germanique a un métro de retard avec son libero, son marquage individuel et son système de formation d’un autre temps. “On ne s’est pas remis en cause et on a vu
“À la radio, j’imaginais le style de joueurs que je n’avais jamais vus, comme Chalana à Bordeaux par exemple. Il y avait aussi le Stade Lavallois de Michel Le Milinaire avec Erwin Kostedde” Peter Zeidler, auditeur d’Europe 1
“Les joueurs français viennent des centres de formation avec leurs codes. Ils sont parfois unidimensionnels, j’aimerais bien qu’ils s’ouvrent à d’autres domaines que le foot…” Peter Zeidler, ancien professeur des écoles
le résultat à l’Euro 2000, quand on a perdu 3-0 contre l’équipe B du Portugal”, pointe un Zeidler qui se trouve alors au coeur du changement.
“Je faisais partie de ces ‘fous’ cités par Klopp”
Depuis quelques années déjà, quelques hérétiques professent qu’un autre football allemand est possible. Il y a bien sûr Ralf Rangnick, Joachim Löw, et un milieu offensif de Mayence (mais natif de Stuttgart) qui prépare ses diplômes d’entraîneur. Son nom: Jürgen Klopp. “Dans son autobiographie, Jürgen raconte qu’il
y avait ‘quelques fous dans la région’ qui pensaient
autrement. J’en faisais partie à mon niveau”, avance Peter Zeidler, qui devient en juillet 1998 le responsable du centre de formation de Stuttgart. Les Bleus sont sur le toit du monde et la formation française le modèle à suivre. L’ancien numéro 10 ne se contente pas de montrer des VHS de l’équipe d’Aimé Jacquet aux pensionnaires du centre du VfB, il adopte le modèle français qu’il est allé observer sur place, à Metz, Nancy ou Auxerre. Son constat est simple: le jeune Allemand
manque d’heures de football. Voici sa théorie: “Dans les années 60 et 70, comme il n’y avait pas d’école l’aprèsmidi, les gamins jouaient dans la rue ou sur les terrains, mais ça a commencé à changer dans les années 80. Ils restaient davantage à la maison. Ils avaient trois ou quatre séances dans la semaine avec les clubs, mais il n’y avait aucun suivi. Le retard qu’on prend tout jeune, on ne le rattrape jamais. Les Français l’avaient compris. Chez nous, le football était presque considéré comme un hobby avant 18 ans. Il fallait considérer la formation bien en amont.” En pratique, l’Allemagne adopte le modèle des centres de formation, mais avec ses spécificités. S’il loue le savoir-faire français dans la formation technique et physique, Zeidler y repère tout de même quelques faiblesses. Il les a constatées lors de sa première expérience sur un banc de ligue 2, à Tours, entre 2011 et 2012, puis aujourd’hui à Sochaux. S’il n’aime pas trop généraliser, l’Allemand trouve que le footballeur made in France manque d’autonomie et de curiosité. La faute à un système où il vit en vase clos. “Tout est bien organisé, hyper discipliné. Les jeunes étudient sur place pour ne pas perdre de temps
dans les transports, comme ici à Sochaux, observe-t-il. On sent qu’ils viennent des centres de formation avec leurs codes. Ils sont parfois unidimensionnels, j’aimerais bien qu’ils s’ouvrent à d’autres domaines que le foot. Quand il n’évolue pas en ligue des champions, un joueur de foot a le temps de s’intéresser à d’autres choses. C’est bien de faire la sieste pour récupérer, mais si tu ne fais que ça, tu deviens passif et ton cerveau aussi. Pourquoi ne pas suivre une formation, par exemple?” Il en est persuadé, un meilleur homme fera un bien meilleur joueur. Il cite l’exemple de l’une de ses recrues,
“complètement perdue en dehors du terrain”. Surtout, il estime que cette fois, c’est à la France de lorgner chez son voisin. “Actuellement, j’essaye de faire comprendre l’importance de la diététique. Dans les centres, ils mangent bien, mais c’est plus compliqué dès qu’ils vivent seuls. Je leur donne pour exemple Timo Werner (attaquant révélation de Leipzig et de la Mannschaft, ndlr), que je connais bien. Il a 21 ans et il est très pointu dans ce domaine.” Au chaud dans son bureau, où une carte de France Michelin lui fait face, le formateur développe encore sur l’aspect “humain” du footballeur, sur le “développement de sa personnalité” et sur cette politique de réussite au bac des clubs français qui ne veut rien dire: “L’élève suit des cours, il passe son bac, mais au final, qu’est-ce qu’il a retenu?”
La langue de Goethe et les Chinois
De sa première expérience à Tours, Peter Zeidler a lui retenu l’impatience des dirigeants. Après une première année encourageante avec une sixième place, il prend la porte l’été suivant au bout de quatre journées. Une expérience qu’il ne regrette toujours pas aujourd’hui. Et pour cause, après avoir secoué la Bundesliga avec Hoffenheim dans l’ombre de son ami Rangnick, l’adjoint voulait vivre l’expérience française sur et en dehors du terrain: “Je parlais la langue d’un pays dans lequel je n’avais jamais vraiment vécu.” Sa famille le suit. Le soir, il donne des cours particuliers de français et d’histoire à ses deux filles, au départ décontenancées par le système éducatif local. En Touraine, le père de famille découvre ce mode de vie à la française –“parler, manger, discuter, rester quatre heures à table
le dimanche”– qu’il n’avait qu’effleuré lors de ses périples entre deux stades. Sa famille ne l’a pas suivi en Franche-Comté. Sa femme effectue des allers-retours depuis Stuttgart, sa fille aînée étudie en Allemagne et la cadette bénéficie d’une bourse pour jouer au soccer en Floride. L’idéaliste ne veut pas imposer son mode de vie aux siens, d’autant qu’il connaît trop bien la réalité du métier d’entraîneur: en 2016, l’imprévisible Christian Constantin, président du FC Sion, le vire avant la finale de coupe de Suisse. Il ne devrait pas connaître le même sort à Sochaux puisque, à la moitié de saison, son équipe a la place de barragiste à portée de tir. Une performance dans un contexte pas évident quand on connaît les incertitudes à propos des ressources du frêle propriétaire chinois, dans ses petits souliers lors du passage devant la DNCG en décembre. Pas le contexte rêvé pour fêter les 90 ans du premier club professionnel français. Zeidler doit vivre avec ce passé pas si jauni, et avec des supporters en âge d’avoir vu les Lionceaux rouler sur Dortmund (4-0) en 2003 en coupe de l’UEFA. “On rêve trop de la ligue 1, on est
trop nostalgiques”, déplore-t-il, alors que ses joueurs ont récemment enfilé six buts en 32es de finale de coupe de France à Amiens, un pensionnaire de l’élite. En bon Allemand qu’il reste, Zeitler fait preuve de pragmatisme et préfère garder les pieds sur terre plutôt que de s’attarder sur ces portraits géants des anciennes gloires du club qui flottent un peu partout dans Bonal. Ligue 1 ou pas, l’ancien auditeur des multiplex d’Europe 1 dit mesurer sa chance de vivre cette nouvelle expérience dans son pays d’adoption. Il peste parfois de ne pas trouver le bon mot, la nuance qu’il a juste dans la langue de Goethe, pour s’adresser à ses joueurs ou interlocuteurs. Au quotidien, cet Européen convaincu trouve que le couple franco-allemand ne fonctionne pas si mal que ça. “Je vois qu’il y a un grand respect pour l’Allemagne. Les gens sont curieux de connaître mon pays. On est sur la bonne voie je pense, on commence à aller au-delà des préjugés, même si certains subsistent encore, peut-être parce qu’ils sont vrais. Oui, on a un chômage plus faible, on réussit mieux sur l’emploi des jeunes, mais les raisons, je ne les connais pas toutes. Il ne faut pas réduire un Allemand à la réussite économique. Il faut que vous gardiez votre spécificité”, plaide celui qui aimerait juste trouver le temps de lire de nouveau un bon roman français. “Si vous avez des auteurs à me conseiller, je suis preneur.” • TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR AP
“Je vois qu’il y a un grand respect pour l’Allemagne. Les gens sont curieux de connaître mon pays. On commence à aller au-delà des préjugés, même si certains subsistent encore” Peter Zeidler, coach de Sochaux